La pandémie recule au Québec, mais continue de se répandre dans les arrondissements du nord de l’île de Montréal qui comptent des quartiers très densément peuplés et d’importantes poches de pauvreté. La Presse a passé une journée à Saint-Laurent pour comprendre comment la communauté s’organise contre le virus.

Debout devant la carte de son arrondissement, dans la salle du conseil, le maire Alan DeSousa ressemble à un général avec son plan de bataille.

Ici, un ensemble d’immeubles résidentiels qui accueille beaucoup de nouveaux arrivants défavorisés. Là, l’immense zone industrielle qui couvre 70 % de l’arrondissement et où l’on fabrique des masques depuis peu. Au nord-est, un nouveau quartier qui rassemble des familles de classe moyenne. Alain DeSousa dirige Saint-Laurent depuis 20 ans et en connaît chaque recoin. Un atout important face à un ennemi comme la COVID-19.

Comme d’autres arrondissements au nord de la Métropolitaine, celui-ci est durement frappé par la deuxième vague de la pandémie. Les données de la Santé publique montrent qu’il va mieux que Saint-Michel, Saint-Léonard ou Rivière-des-Prairies, mais il se classe tout de même parmi les plus infectés de l’île de Montréal.

« On n’a jamais lâché », a dit le maire d’arrondissement à La Presse, qui l’a accompagné pendant une journée la semaine dernière. Saint-Laurent a été relativement épargné par la première vague, mais a été durement frappé par la deuxième, avant que la houle ne commence à se retirer. « Même dans les quartiers chauds, comme Chameran, Norgate, Dutrisac et autres, c’est en baisse. » Chameran est un quartier extrêmement dense enclavé juste à l’ouest de l’A15, alors que Norgate est la piste d’atterrissage au Canada de milliers d’immigrants.

Nous avons des secteurs où les gens travaillent dans la santé, nous avons aussi des secteurs où les gens sont plusieurs dans chaque appartement.

Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent, à propos des facteurs de risque de son coin de Montréal face à la pandémie

Appels à la patience

Avec son papier peint jaune, son centre de table en céramique glacée et ses rideaux crochetés, l’hôtel de ville de Saint-Laurent transporte automatiquement ses visiteurs dans les années 1960. Mais les sujets qu’on y aborde sont résolument d’actualité.

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Le maire Alan DeSousa participe à une rencontre virtuelle avec les directeurs de l’arrondissement de Saint-Laurent.

En ce lundi matin, M. DeSousa enchaîne les réunions par téléconférence. D’abord, avec ses collègues locaux pour préparer le prochain conseil d’arrondissement : la question des camps de vacances pour la relâche sera au menu, même si personne ne sait encore à ce moment-là si les écoliers seront en congé. Puis, la réunion hebdomadaire avec la ministre responsable de Montréal, Chantal Rouleau, sur la COVID-19. Plus de 200 personnes – essentiellement des élus de l’agglomération – y ont participé.

Au programme : une réinterprétation des derniers messages du premier ministre Legault et une série de questions des élus locaux, auxquels on demande systématiquement de la patience. Un élu de Côte-Saint-Luc veut s’assurer que les résidants du CHSLD Maimonides – vaccinés les premiers au Québec – reçoivent leur deuxième dose rapidement. Une autre invite le gouvernement à communiquer avec les municipalités quant au choix des lieux de vaccination.

Délai de dépistage trop long

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Porte-à-porte à Place Benoit pour sensibiliser les résidants à la COVID-19 et leur offrir de l’aide

À deux kilomètres de là, Place Benoit est un secteur locatif défavorisé, enclavé entre l’A40 et des voies ferrées.

Aujourd’hui, c’est ici qu’une intervenante du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et un employé du Centre communautaire Bon Courage feront du porte-à-porte pour sensibiliser les résidants et leur offrir de l’aide. Les équipes ont déterminé que c’était le meilleur moyen de joindre une population qui n’est pas branchée sur les mêmes sources d’information que la majorité des Montréalais.

Après un message du maire Alan DeSousa à la radio communautaire locale (le dépistage est gratuit, « quel que soit votre statut » d’immigration, rappelle-t-il), le groupe se met en marche.

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Le maire Alan DeSousa livre un message de sensibilisation à la radio communautaire locale.

Céline Coulombe est cheffe de service au CIUSSS. « En ce moment, il y a trop de journées entre le moment où les gens ont les premiers symptômes et celui où ils vont se faire dépister. On observe en ce moment un délai moyen de trois jours, et c’est dans ce délai qu’ils contaminent d’autres personnes », explique-t-elle au maire. « C’est ce qui explique en partie ce qui se passe dans certains quartiers à Montréal, comme Saint-Laurent. »

À la source du problème : la honte d’être identifié comme la source d’une éclosion parmi ses proches, la peur de perdre des revenus en cas de quarantaine et l’inquiétude qu’une infection à la COVID-19 nuise au processus d’immigration.

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Le maire Alan DeSousa discute avec Céline Coulombe, cheffe de service au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal.

Beaucoup de gens viennent de pays où les services de l’État peuvent s’échanger des informations sur les citoyens, alors que ce n’est pas le cas au Canada.

Céline Coulombe, cheffe de service au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal

Les appartements surpeuplés posent aussi problème pour l’isolement des malades. La Croix-Rouge peut fournir de l’hébergement d’urgence pour les malades qui veulent s’éloigner de leur famille.

Parmi les appartements visités, celui de Marie-Thérèse. « Nous sommes sept enfants et deux adultes », explique-t-elle, tout emmitouflée alors qu’elle s’apprête à sortir. Les intervenants lui remettent une grosse pile de kits antivirus, qui comprennent des masques et de la documentation.

1,2 million de masques par jour

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L’usine de Medicom dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal

Pendant que certains combattent la COVID-19 sur le champ de bataille, d’autres travaillent à l’arrière-front, mais toujours à Saint-Laurent, pour assurer leur approvisionnement.

Au printemps 2020, l’entreprise de fabrication de matériel médical Medicom, à Pointe-Claire, s’est retrouvée dans l’œil de la tempête alors que les gouvernements de partout sur la planète s’arrachaient ses masques et ses blouses de protection.

Ce n’était pas la première crise sanitaire à laquelle Medicom faisait face : l’entreprise a été créée en 1988, au moment où l’émergence du VIH/sida forçait les hôpitaux à acheter des tonnes de gants pour protéger leurs employés. Ses dirigeants savaient donc qu’ils devaient réagir rapidement. Un contrat fédéral et un contrat provincial de 10 ans dans leur besace, ils ont choisi un local industriel de l’arrondissement de Saint-Laurent pour y installer leur première usine sur le sol canadien.

De la recherche d’un local au mois d’avril jusqu’au premier masque produit trois mois plus tard, le projet a fait face à « toutes les embûches », dit Normand Gauthier, directeur du site.

La forte demande pour les masques se traduit par une forte demande pour les machines capables d’en produire et même pour la matière textile utilisée dans la fabrication de ceux-ci.

Ce sont les contrats publics de longue durée qui ont convaincu l’entreprise d’installer une usine à Montréal. « C’était important pour nous, parce qu’on sait que produire un masque au Canada, c’est plus cher que produire un masque en Chine », a expliqué Guillaume Laverdure, chef de l’exploitation de Medicom. « On sait que beaucoup d’entreprises qui ont été créées pendant la crise vont cesser leurs activités dès que la crise va s’arrêter. »

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Production de masques d’intervention à l’usine de Medicom, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal

Dans l’usine, des dizaines de machines fabriquent des masques en continu : les fameux N95, mais aussi des masques d’intervention bleus pour adultes et enfants. Les machines chinoises à l’air modeste côtoient les rutilants robots européens complètement automatisés.

Bientôt, 1,2 million de masques sortiront chaque jour de l’arrondissement de Saint-Laurent.