Le Québec s’apprête à franchir le cap symbolique des 10 000 morts de la COVID-19. Comment expliquer ce lourd bilan, le pire au Canada ?

La Presse a posé la question à des experts qui rappellent que ce n’était pas inévitable. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la province voisine. Jeudi, le gouvernement de Doug Ford déplorait un total de 6393 morts depuis la pandémie, pour une population de 14,6 millions, soit un taux de décès de 434 par million, contre 1168 au Québec, des taux qui augmentent chaque jour à mesure que s’ajoutent des décès.

Si le Québec avait résisté à la pandémie comme l’Ontario et avait eu le même taux de mortalité, la COVID-19 aurait fait environ 3700 victimes au lieu de 10 000 depuis le début de la crise sanitaire.

« Au mois de mars, si vous m’aviez dit qu’on aurait 10 000 morts au Québec en moins d’un an, j’avoue que je ne l’aurais pas nécessairement cru », lance le DQuoc Dinh Nguyen, médecin gériatre-interniste et épidémiologiste spécialisé en vieillissement au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

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Le DQuoc Dinh Nguyen, médecin gériatre-interniste et épidémiologiste spécialisé en vieillissement au CHUM

À partir du mois d’octobre, par contre, qu’on arriverait à 10 000 morts au Québec, c’était une évidence, malheureusement.

Le DQuoc Dinh Nguyen, médecin gériatre-interniste et épidémiologiste spécialisé en vieillissement au CHUM

L’échec de la première vague, qui a fait près de 5800 morts, a été bien analysé : établissements de soins de longue durée déficients et vétustes, mobilité du personnel, manque d’équipement de protection… Une horreur décrite par la protectrice du citoyen, Marie Rinfret, dans un rapport dévastateur, déposé à la mi-décembre, sur la gestion gouvernementale dans les CHSLD.

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Le DRéjean Hébert

Près de 10 % des résidants de ces foyers sont morts de la COVID-19, insiste le DRéjean Hébert, médecin gériatre et gérontologue, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, qui a été ministre de la Santé et ministre responsable des Aînés, de 2012 à 2014, dans le gouvernement Marois.

Au milieu du classement

Cependant, pour faire le bilan, il faut distinguer les deux vagues. Car si le Québec avait l’un des taux de mortalité attribuable à la COVID-19 les plus élevés du monde au printemps dernier, ce n’est plus le cas avec la deuxième vague, où il s’en tire même un peu mieux que la moyenne des pays.

« On fait encore moins bien que les autres provinces, mais la différence est moins grande. Et on se situe plutôt dans le milieu du classement quand on fait des comparaisons internationales », souligne le démographe Robert Choinière, expert-conseil en santé des populations.

En termes strictement numériques, la deuxième vague a en effet fait moins de victimes que la première. Si, du 1er mars au 31 août, la pandémie a provoqué 5800 morts, la deuxième, depuis le 1er septembre, quand on aura atteint le cap des 10 000 décès plus tard cette semaine, en aura fait 4200. Ces décès sont également répartis dans le temps et dans les régions, ce qui en a atténué quelque peu l’impact sur le système de santé.

Et c’est ainsi que le taux de mortalité cumulé de la première vague au 31 août était de 679 décès pour 1 million d’habitants, tandis que, du 1er septembre au 23 janvier, d’après les données compilées par M. Choinière, il s’établissait à 433.

Sur la plan international, le Québec, qui était l’un des pires endroits au monde, le 25e dans un classement de 27 pays, dépassé seulement par la Belgique et le Pérou, est maintenant passé au 11rang sur 27, presque à égalité avec les Pays-Bas, ce qui est mieux que la Suède et l’Allemagne, mais moins bien que les autres pays scandinaves. Pour cette deuxième vague, les taux de mortalité de pays comme le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie ou la Suisse sont deux fois plus élevés que celui du Québec.

Bon dernier au Canada

Par rapport aux États-Unis, le Québec fait bonne figure, mais cela tient essentiellement à la gestion catastrophique de la pandémie chez nos voisins du Sud.

Ces résultats moins désastreux à l’échelle internationale ne doivent toutefois pas faire oublier que le bilan est lourd, et que le Québec fait cavalier seul au Canada. Avec un taux de mortalité de 433 décès pour 1 million d’habitants pour la deuxième vague, du 1er septembre au 23 janvier, il dépasse largement les autres provinces : 294 en Alberta, 200 en Ontario, 181 en Colombie-Britannique.

Comment se fait-il que, malgré des mesures de confinement très sévères, et maintenant un couvre-feu – que l’on ne retrouve pas ailleurs au pays –, on ait encore autant de décès ? Est-ce que, par exemple, cela s’explique par des facteurs culturels, une observance moins stricte des consignes par une population moins disciplinée ?

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La Dre Marie-France Raynault

La Dre Marie-France Raynault, cheffe du département de santé publique et médecine préventive du CHUM, écarte cette idée : « Si je compare [le Québec] aux provinces du Canada, les plus grosses, on a aplati notre courbe pas mal plus vite. Et par rapport à l’Europe, quand ça flambait, chez nous ça ne flambait pas tant que ça. Je pense qu’on a fait beaucoup mieux à la deuxième vague. »

L’explication serait plutôt la suivante : la population du Québec est vieille et plus de gens âgés, fragiles et vulnérables sont en établissement, dans des bâtiments gros et décrépits, propices à la propagation.

« On a été un peu mieux, dans la deuxième vague, mais l’enjeu principal du Québec, quand on le compare aux autres, c’est l’ensemble des milieux collectifs. C’est-à-dire qu’au Québec, on héberge un peu plus qu’ailleurs en CHSLD, mais c’est surtout les résidences pour aînés [RPA] qui sont extrêmement importantes : on héberge 18 % des personnes de plus de 75 ans. C’est trois fois plus que dans le reste du Canada. La moitié de places dans les résidences pour aînés, au Canada, c’est au Québec qu’on les trouve. Et ça, c’est sans comparaison avec d’autres pays industrialisés », explique le DHébert.

« On a plus de résistance de la part des propriétaires des résidences pour aînés, qui sont souvent privées. Ce n’est pas la collaboration du siècle », ajoute la Dre Raynault.

Si le nombre de décès a diminué dans les CHSLD, il est resté stable dans les RPA d’une vague à l’autre.

« Lorsque ça va bien, les RPA empochent les profits. Mais lorsque ça va mal, elles disent que le public devrait venir les aider. Je pense que les RPA sont des milieux qui se sont moins conformés aux directives gouvernementales. Ce sont des milieux sur lesquels on n’a pas beaucoup de contrôle, sauf lorsqu’on est obligés d’aller jouer les pompiers », déplore le DHébert.

À cela s’ajoute le fait que le Québec est très bon pour compter ses morts, mieux que d’autres qui peuvent sous-évaluer les décès liés au coronavirus. « On a fait des efforts importants pour débusquer tous les cas de COVID, souligne la Dre Raynault. On est même allés jusqu’à tester des patients après leur mort. Notre système de déclaration fait aussi que si quelqu’un a la COVID et décède, on attribue sa mort à la COVID. »