(Montréal) Les opérations reportées dans les hôpitaux du Québec risquent d’avoir un effet boule de neige, craint un urgentologue, membre du C.A. de l’Association médicale canadienne (AMC). Pour reprendre le dessus sur les listes d’attente, l’AMC propose des pistes de solution : investir dans le réseau de la santé pour qu’il cesse de fonctionner avec le strict minimum, et réorganiser la liste des priorités des chirurgies en attente.

Il faut agir dès maintenant, insiste le Dr Abdo Shabah, qui pratique au CISSS de la Montérégie-Centre.

Le délestage des activités hospitalières non urgentes en raison de la pandémie a eu cet effet : la liste d’attente des chirurgies et des examens de dépistage a récemment atteint un sommet : 140 000 personnes selon les plus récents chiffres du ministère de la Santé – contre 114 000 avant la crise sanitaire.

Actuellement, 34 % des chirurgies sont reportées au Québec.

Des interventions électives sont retardées chaque jour, comme des examens de dépistage du cancer du côlon et des remplacements de hanche, a souligné le Dr Shabah.

Avec l’amélioration de la situation épidémiologique au Québec, et la diminution du nombre de patients hospitalisés pour la COVID-19, les hôpitaux s’apprêtent à entamer — ou ont commencé — une atténuation graduelle du délestage en salle d’opération. Le rythme de la reprise varie selon les régions.

« Le délestage sera moins important, mais il est toujours présent », dit le Dr Shabah. Des patients continueront donc d’être ajoutés aux listes d’attente — chaque jour.

Selon lui, il est difficile de savoir quand le Québec reprendra le dessus.

Car la pandémie a eu une espèce d’effet boule de neige. Les chirurgies retardées, même si elles ne mettaient pas en danger la vie des patients, peuvent avoir causé une dégradation de leur état de santé ou d’autres problèmes médicaux, qui seront plus complexes à traiter. Et comme certains Québécois ont évité de consulter pour ne pas être contaminés par la COVID-19, leur état peut maintenant nécessiter plus de soins.

Par exemple, un cancer non diagnostiqué à un stage précoce peut maintenant requérir une chirurgie pour enlever une tumeur, ainsi que de la radiothérapie, des étapes qui n’auraient pas été nécessaires s’il avait été attrapé à temps, explique l’urgentologue.

« Les impacts de non-consultation en raison de la pandémie vont se révéler dans les prochains mois et les prochaines années ».

« Nous, comme professionnels, ça nous inquiète ».

Des solutions ?

Le Dr Shabah cite en exemple la Colombie-Britannique, qui a mis en place en mai dernier un plan pour s’attaquer à la liste d’attente. Elle avait réussi, en novembre, à rattraper 90 % des opérations repoussées au cours de la 1re vague de COVID-19, soutient-elle.

Pour ce faire, elle a investi 190 millions spécifiquement dans ce but, et fait une coordination concertée —et une totale réorganisation — des listes de priorités de chirurgies. La province a aussi engagé et formé du personnel et fait appel au privé pour arriver à ses objectifs.

C’est faisable au Québec ? « Oui », répond le Dr Shabah. Mais il faut avoir une stratégie cohérente, notamment en repriorisant et en ciblant bien les interventions lors de la reprise.

Québec a déjà agi, en signant notamment 22 ententes avec des cliniques privées pour permettre la réalisation de certaines chirurgies, ce qui aide à réduire les listes d’attente.

Sauf que le Québec demeure aux prises avec ce problème, soulevé plus d’une fois par le ministre de la Santé, Christian Dubé : même si les chirurgiens sont disponibles et que les hôpitaux ouvrent les salles d’opération jour et nuit, il manque d’infirmières et de professionnels de soutien.

« Nos ressources humaines sont limitées », convient Dr Shabah.

Une autre piste de solution est ainsi de revoir le mode de fonctionnement du réseau de la santé. Pour contrôler ses coûts, le gouvernement a adopté une gestion « maigre », explique-t-il. « Il faut peut-être repenser cette approche » : si elle peut fonctionner lorsque le système est en vitesse de croisière, la pandémie a montré que cela ne marche pas en temps de crise alors que le réseau craque aux coutures et que le personnel est surmené et épuisé.

Bref, il faut investir, dit-il.

Il est aussi d’avis que les stratégies de prévention et de santé publique demeurent essentielles. Si les cas de COVID-19 et les hospitalisations n’explosent pas, il sera évidemment plus facile de travailler à réduire les listes d’attente en chirurgie.

Ce qui est clair avec le délestage, c’est que « ça va être coûteux » pour l’ensemble de la société », tranche-t-il. Des gens souffrent et doivent vivre avec une qualité de vie réduite, et les interventions pour soigner les complications médicales vont aussi coûter cher.