(Ottawa) Les bonnes nouvelles sur le front vaccinal se font aussi rares que les doses de vaccins au Canada. À une nouvelle crainte de retard dans les livraisons s’est ajoutée une controverse, jeudi, alors même que l’on apprenait que les grandes pharmaceutiques avaient refusé de produire leurs vaccins ici au pays.

La journée a commencé avec un aveu du major-général Dany Fortin, le grand responsable de l’opération de vaccination au pays, reconnaissant en conférence de presse que le gouvernement ignorait combien de doses du vaccin Moderna seraient livrées dans la semaine du 22 février.

Déjà, cette semaine, on a reçu moins de doses de Moderna que prévu, soit 180 000 au lieu de 230 400 – un ralentissement qui venait s’ajouter à celui des livraisons de l’autre vaccin approuvé par Santé Canada, celui de Pfizer-BioNTech.

Pendant ce temps, les renforts tardent à arriver sur le front vaccinal. Santé Canada, qui évoquait vendredi passé un feu vert « dans les prochains jours » pour le vaccin d’AstraZeneca, n’avait rien de neuf à annoncer à ce chapitre, jeudi.

Et comme pour ne rien arranger, les libéraux ont une nouvelle épine au pied. Ils ont été inondés de critiques après que l’on a appris que le Canada puiserait près de 2 millions de doses de vaccins à même la réserve du COVAX, initiative visant à donner un accès mondial et équitable au vaccin.

Puisqu’aucun autre pays du G7 ne s’était jusqu’ici prévalu de cette option, le gouvernement s’est retrouvé sur la sellette. Non seulement il s’est attiré les foudres de tous les partis de l’opposition en Chambre, mais en plus, il s’est fait sévèrement réprimander par le milieu humanitaire, jeudi.

« J’ai mal à mon pays »

« C’est extrêmement gênant », a lâché le député Alain Therrien, du Bloc québécois, pendant la période des questions en Chambre. Sa collègue Julie Vignola s’est quant à elle dite sidérée que « le Canada, ce gentleman », agisse de cette façon.

À son tour de parole, le député conservateur Gérard Deltell a évoqué une situation « déshonorante » et « humiliante » pour le Canada.

« J’ai mal à mon pays », a-t-il laissé tomber.

La stratégie d’Ottawa ne passe pas plus dans le camp humanitaire.

« Le Canada ne devrait pas prendre le vaccin des pays pauvres pour atténuer les pressions politiques au pays. Recevoir 1 ou 2 millions de doses ne résoudra pas les problèmes de vaccination du Canada », a déclaré par communiqué Diana Sarosi, conseillère principale chez Oxfam Canada.

Des livraisons pas coulées dans le béton

Il est prévu que les 1,9 million de doses de vaccins du COVAX arrivent au Canada d’ici le 22 juin.

Dans l’intervalle, la cadence de l’approvisionnement en vaccins devrait s’accélérer, d’après les projections du gouvernement. Et « si le Canada reçoit une quantité de doses suffisante, nous donnerons les doses en extra à COVAX », a indiqué en entrevue la ministre du Développement international, Karina Gould.

Elle prévient par ailleurs qu’au jeu des comparaisons, il faut être prudent.

Car au sein du G7, les États-Unis n’adhèrent pas à l’initiative COVAX, le Japon n’a encore approuvé aucun vaccin, tandis que les pays de l’Union européenne et le Royaume-Uni ont conclu des accords bilatéraux avec AstraZeneca, énumère la ministre.

« Je ne crois pas que ce soit une comparaison appropriée. Et une partie de la décision du Canada, c’est aussi de manifester sa confiance à l’endroit d’un mécanisme multilatéral. On veut qu’il fonctionne », a-t-elle insisté à l’autre bout du fil.

Ottawa boudé par Big Pharma

Toujours jeudi, la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand, a affirmé pour la première fois que les géants pharmaceutiques comme Pfizer, Moderna et Johnson & Johnson avaient refusé de produire leurs vaccins au Canada parce qu’ils jugeaient les capacités manufacturières insuffisantes.

Devant un comité parlementaire, elle a révélé que le gouvernement fédéral avait tenté de convaincre ces sociétés de lancer une production de leurs vaccins au pays durant les négociations visant à acheter des millions de doses de leurs vaccins.

Chaque fois, le Canada a buté contre la même réponse, a-t-elle relaté.

« Le Ministère a, d’une manière proactive et soutenue, approché les fabricants de vaccins en leur offrant la possibilité de produire ici au Canada. Nous avons soulevé cette possibilité à chaque occasion à la table des négociations », a-t-elle expliqué aux députés.

Mais les fabricants ont examiné les atouts et les capacités manufacturières ici et ils ont tous conclu que les capacités biomanufacturières étaient trop limitées pour justifier des investissements de capitaux et d’expertise pour lancer une production au Canada.

Anita Anand, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

Après avoir offert un survol historique de l’étiolement des capacités manufacturières de l’industrie au pays au fil des cinq dernières décennies, son collègue François-Philippe-Champagne a voulu se montrer optimiste pour la suite des choses.

En ce moment, « ce qu’on est en train de reconstruire, c’est cette base manufacturière de la biofabrication qui va nous permettre de faire face à l’avenir avec beaucoup plus de résilience », a fait valoir le nouveau titulaire du portefeuille de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie.

Le gouvernement Trudeau a annoncé en début de semaine que Novavax comptait lancer la production de son vaccin, s’il est approuvé par Santé Canada, dans les nouvelles installations du Centre national de recherches du Canada à Montréal d’ici la fin de 2021.