Retarder la deuxième dose du vaccin contre la COVID-19 pourrait compromettre son efficacité, estiment des chercheurs consultés par La Presse. Certains craignent que ce retard favorise l’émergence de nouveaux variants.

« Si vous laissez un virus se reproduire chez une personne partiellement protégée, le virus ne sera pas complètement bloqué et va se reproduire en mutant au hasard », explique Benoît Barbeau, professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal et expert en virologie. Un plus long délai entre les deux doses pourrait engendrer une immunité moins forte et représenter un terrain plus fertile pour l’apparition de variants, ajoute-t-il.

Le 14 janvier dernier, Québec a indiqué que le délai entre l’administration de la première et de la deuxième dose du vaccin contre la COVID-19 sera de 42 à 90 jours dans le but de vacciner un maximum de Québécois rapidement. « Sachant qu’aucun essai clinique et qu’aucune donnée probante n’existe sur l’efficacité de l’immunité associée au report de la deuxième dose, c’est une décision inquiétante », soutient Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Selon Nathalie Grandvaux, chercheuse au laboratoire de recherche sur la réponse de l’hôte aux infections virales du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), une seule dose du vaccin pourrait permettre au virus de muter plus facilement. « Les virus cherchent une façon de s’échapper de la réponse immunitaire. Quand la réponse immunitaire de l’individu est totale, ils ne peuvent pas s’échapper. Quand elle est partielle, notamment lorsqu’on donne une seule dose, ils trouvent des voies de contournement en mutant », illustre-t-elle.

Le débat a été lancé dimanche à l’émission Les coulisses du pouvoir, lorsque la conseillère scientifique en chef du Canada, Mona Nemer, a indiqué que la stratégie de retarder la deuxième dose du vaccin peut entraîner le développement de variants. Mme Nemer a précisé que les individus qui ont reçu la première dose acquièrent une immunité partielle, surtout lorsqu’il s’agit de personnes qui n’ont pas un bon système immunitaire.

On se ramasse avec des milieux où le virus circule parmi des gens qui ont une immunité partielle. C’est un peu comme ça qu’on a commencé à générer les variants britannique et de l’Afrique du Sud.

Mona Nemer, conseillère scientifique en chef du Canada

Les différents variants sont apparus chez des personnes immunosupprimées, avec traitement par transfert de plasma de convalescent ou après une seconde infection au coronavirus, explique Benoît Barbeau.

L’opinion de Donald Vinh, infectiologue et microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), n’est pas aussi tranchée. « Je suis d’accord avec l’inquiétude de Mme Nemer que retarder la deuxième dose plus longtemps que nécessaire peut compromettre l’efficacité du vaccin. Par contre, je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’immunité partielle. » Il soutient que ce n’est jamais arrivé dans l’histoire qu’une seule dose d’un vaccin modifiait la réponse immunitaire au point de rendre un virus plus résistant. « Ce serait unique », ajoute-t-il.

Au moment où les deux seuls vaccins autorisés au pays font toujours face à des retards de livraisons, la société pharmaceutique Novavax, du Maryland, a soumis vendredi une demande à Santé Canada pour approuver son vaccin qui serait efficace contre les variants britannique et sud-africain du virus. Il y a moins de deux semaines, Ottawa a finalisé une entente avec l’entreprise pour acheter 52 millions de doses du vaccin, avec l’option de s’en procurer 24 millions supplémentaires.

Le bilan s’alourdit

Alors que le Québec est toujours en attente de doses de vaccins supplémentaires, le nombre de nouveaux cas de COVID-19 reste stable. Dimanche, 84 doses de vaccins ont été administrées pour un total de 238 227. La province a également rapporté 1223 nouveaux cas de COVID-19 et 31 décès supplémentaires liés au virus. Le Canada compte désormais plus de 20 000 décès liés à la COVID-19, alors que le Québec en compte près de la moitié avec 9794.

La région de la Montérégie compte à elle seule une dizaine de nouveaux décès, suivie de près par Montréal, qui recense huit morts supplémentaires. Dans les Laurentides, cinq personnes sont mortes après avoir contracté la COVID-19. À Laval, on en compte trois. Les régions de Québec, du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de l’Estrie, de Chaudière-Appalaches et des Lanaudière signalent chacune un nouveau décès.

Le nombre de personnes hospitalisées a baissé de 27. On précise que 57 patients sont entrés à l’hôpital et 84 en sont sortis. Au total, 1136 personnes contaminées sont hospitalisées. Parmi celles-ci, 191 sont aux soins intensifs – une diminution de 10 par rapport à samedi.

C’est « 200 [hospitalisations] de moins par rapport à la [semaine] dernière. Cette tendance nous permet de reprendre graduellement les chirurgies dans nos hôpitaux où c’est possible », a précisé le ministre de la Santé Christian Dubé sur Twitter.

Réouverture des commerces

Le gouvernement prévoit la réouverture de certains commerces jugés non essentiels dès le 8 février, comme le rapportait La Presse samedi. Les magasins et les salons de coiffure seront soumis à des mesures sanitaires strictes et le nombre de visiteurs sera restreint. Les mesures touchant les rassemblements et le couvre-feu demeureront en vigueur.

M. Vinh demeure prudent. « Si on regarde les chiffres, on peut voir une diminution du nombre de cas confirmés au cours des dernières semaines, mais il y en a quand même plus qu’à la fin de décembre. C’est une victoire partielle », indique-t-il.

Il ajoute que les hospitalisations sont encore élevées. « Si on ne peut pas diminuer les cas d’hospitalisations dans la prochaine semaine et qu’on rouvre [les commerces] trop tôt, ça peut annuler les gains qu’on a faits dans les dernières semaines. »

Exigences de quarantaines

Le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, a déclaré que les voyageurs aériens devraient être préparés pour le test de COVID-19 à leur arrivée au Canada et que les exigences de quarantaines dans les hôtels entreront en vigueur dès jeudi. « Je demanderais aux gens de se préparer dès le 4 février », a-t-il déclaré sur les ondes de Rosemary Barton Live dimanche. Ce scénario est envisagé, a-t-on confirmé à La Presse. « Je ne peux pas vous dire si c’est exactement à ce moment-là que ça va commencer, mais je demanderais aux gens d’être prêts pour ça dès que possible. » Vendredi dernier, Ottawa a annoncé la suspension de vols vers des destinations soleil et l’imposition d’une quarantaine surveillée à l’hôtel. Tous les voyageurs qui rentreront au pays devront se soumettre à un test de dépistage de la COVID-19 à l’aéroport où ils atterriront et devront rester en quarantaine trois jours dans un hôtel supervisé, au coût de 2000 $.

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