Le couvre-feu imposé par Québec s’applique-t-il vraiment aux personnes qui n’ont pas de résidence ?

Voilà la question soulevée lundi matin par la juge Chantal Masse, de la Cour supérieure du Québec, chargée d’entendre la demande de la Clinique juridique itinérante (CJI), qui réclame une exemption du couvre-feu pour les personnes sans-abri.

Avant même d’entendre les arguments de la CJI et du Procureur général du Québec, la juge Masse s’est attardée au caractère permanent du mot « résidence », utilisé dans le décret gouvernemental qui impose le couvre-feu.

« Il est interdit à toute personne, entre 20 h et 5 h, de se trouver hors de sa résidence ou de ce qui en tient lieu », indique le décret.

À qui s’adresse cette interdiction ? Est-ce que ça s’applique bien à une personne qui n’a pas de résidence ou qui n’a pas de lieu qui en tienne lieu ?

La juge Chantal Masse, de la Cour supérieure du Québec

« Où est-ce que je vois dans cette disposition qu’un policier qui intercepte une personne peut lui ordonner de se créer une résidence ? Vous savez, moi, je ne fais pas de politique, mais je fais du droit. Résidence, c’est une notion juridique », a poursuivi la juge Masse, ajoutant qu’il y avait un critère de permanence associé à cette notion.

La CJI demande une exemption au couvre-feu pour les personnes sans-abri, parce qu’elle estime qu’il est « inutile, arbitraire, disproportionné et cruel » et qu’il « cause des préjudices graves et irréparables qui ne sont pas justifiables dans le cadre d’une société libre et démocratique », est-il indiqué dans sa demande à la Cour.

Sa requête cite notamment le cas d’une personne itinérante qui a été exclue de refuges pour sans-abri en raison de problèmes de santé mentale et d’alcool, et qui a reçu deux contraventions de 1550 $ pour non-respect du couvre-feu.

« On leur demande quelque chose qui, pour beaucoup d’entre eux, est carrément impossible », a souligné devant la Cour MBruce Johnston, avocat de la CJI. « On leur dit : ‟Vous devez être en résidence‟, alors qu’ils n’ont pas de résidence, c’est un non-sens. »

Pas de refuge ? Pas de couvre-feu

Le procureur de la Couronne, Me Éric Cantin, a admis que dans le cas où une personne n’a pas accès à un refuge pour itinérants, le décret ne devrait pas s’appliquer.

Mais sinon, des lieux d’hébergement temporaires, comme un hôtel ou un refuge, doivent être considérés comme des résidences, dans le contexte de l’imposition du couvre-feu, a plaidé MCantin.

Selon lui, si une exception était créée, il serait trop compliqué pour les policiers de déterminer qui est sans-abri et qui ne l’est pas.

Un argument rejeté par l’avocat de la CJI. « Pensez-vous vraiment que les policiers ne sont pas capables de faire la différence entre quelqu’un qui est itinérant et quelqu’un qui ne l’est pas ? », a lancé MJohnston.

« Le gouvernement a jugé que ce n’était pas acceptable que des personnes soient à long terme à l’extérieur entre 20 h et 5 h », a rappelé Me Éric Cantin.

La juge Masse a souligné qu’il existait déjà des exceptions à l’application du couvre-feu, notamment pour les propriétaires de chiens.

La personne qui promène son chien pourrait le faire toute la nuit, a-t-elle fait remarquer. « Comment le policier va-t-il faire pour vérifier ça, si elle est à un kilomètre de sa résidence ? » a-t-elle demandé.

La juge Chantal Masse attend d’autres arguments écrits de la part des deux avocats. Elle a fait savoir qu’elle tenterait de rendre sa décision d’ici la fin de la semaine.