Un auxiliaire en soins à domicile a été sermonné parce qu'il portait un masque N95 au travail.

Après avoir reconnu au début de janvier que les aérosols jouent un rôle, mais limité, dans la transmission de la COVID-19, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) révise ses recommandations quant à la protection des travailleurs de la santé. Un avis fort attendu, alors que plusieurs syndicats réclament depuis des mois qu’on étende l’usage du masque N95. Et qu’un employé qui a choisi de porter le N95 s’est fait demander de ne plus le porter, a appris La Presse.

« Ça ne va pas assez vite. On n’arrête pas d’intervenir auprès du ministère de la Santé et de la CNESST pour dire : “ Qu’est-ce que vous attendez pour resserrer les règles de protection ? ” », lance Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN).

« On veut avoir accès à une protection respiratoire auprès des patients COVID. On attend toujours qu’ils changent leur politique », dénonce Linda Lapointe, vice-présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Elle dit avoir écrit au ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, le 12 janvier, pour lui dire de presser le pas dans ce dossier.

Début janvier, l’INSPQ a certes recommandé le port d’un masque chirurgical plus performant (niveau 2) chez les travailleurs œuvrant auprès de patients atteints de la COVID-19. Mais les syndicats réclament plus.

Des travailleurs inquiets

Depuis le début de la pandémie, 36 872 travailleurs de la santé ont contracté la COVID-19 au Québec. Dieu Huy Phan est auxiliaire en soins à domicile depuis 11 ans en Montérégie. Son travail, il l’adore. C’est pourquoi il continue à l’exercer en temps de pandémie, et ce, même s’il a 61 ans, qu’il est diabétique et qu’il est aidant naturel auprès de sa mère malade.

Par protection, M. Phan a toutefois décidé de porter un masque N95 au travail durant la deuxième vague plutôt que les masques chirurgicaux fournis par son employeur. Il paye ses masques de sa poche. Sans cette protection, il craint de contracter la maladie.

M. Phan note par exemple qu’il se rend dans des résidences privées pour aînés, des endroits à risque. Il est proche des patients quand il donne les soins. Or, il a été choqué il y a quelques semaines quand une supérieure lui a demandé de ne pas porter ces masques.

Elle m’a dit que ça allait faire peur aux autres. Que j’envoyais un mauvais message.

Dieu Huy Phan, auxiliaire en soins à domicile

M. Phan ne se considère pas comme un « chialeux ». Il reconnaît que plusieurs mesures mises en place depuis le début de la pandémie par son CISSS et par le gouvernement sont efficaces et valables. Mais pour les masques, il ne comprend tout simplement pas. « On nous dit qu’on est chanceux de nous avoir au front. Mais moi, si on m’interdit de porter le N95, je vais partir. Je suis à risque », dit-il.

Pour M. Phan, tous les préposés aux bénéficiaires travaillant étroitement auprès de patients devraient avoir accès à des masques N95.

PHOTO CHARLES KRUPA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Au ministère de la Santé, on affirme que « le port du masque N95 n’est recommandé que lors de la réalisation d’interventions médicales générant des aérosols ».

Au CISSS de la Montérégie-Est, où travaille M. Phan, on signale que « les masques N95 doivent toujours faire l’objet d’un test d’essai (“ fit test ”) » et que « les équipements de protection individuelle utilisés dans nos installations doivent être approuvés et fournis par l’établissement ». Au ministère de la Santé, on ajoute qu’« à ce jour, le port du masque N95 n’est recommandé que lors de la réalisation d’interventions médicales générant des aérosols (IMGA) », comme une intubation.

Un débat scientifique

Dans un rapport publié le 8 janvier, l’INSPQ concluait que la COVID-19 « est transmise principalement lors de contacts rapprochés entre les personnes, à moins de deux mètres de distance, et prolongés durant plus de 15 minutes ». Les données « suggèrent aussi qu’une transmission par aérosols à distance pourrait survenir », peut-on lire, mais « il est peu probable que ce soit au-delà de quelques mètres ».

La COVID-19 ne se transmet donc pas par aérosols aussi facilement que des maladies comme la rougeole ou la tuberculose. « Avec la rougeole, tu peux contaminer quelqu’un qui a été dans le même centre commercial que toi, même si tu n’as pas été en contact rapproché avec lui », explique le DJasmin Villeneuve, de l’INSPQ.

Si la COVID-19 s’était transmise par aérosols aussi facilement, les recommandations de protection auraient dû être revues de fond en comble. Mais on n’est pas dans ce registre ici, note le DVilleneuve. Des analyses sont tout de même en cours pour vérifier quelles situations comportent des risques et où les recommandations de protection pourraient être adaptées, explique-t-il. « Comment ça va se traduire sur le terrain ? Des mesures sont en discussion », dit le Dr Villeneuve.

Ce dernier souligne que les avis scientifiques divergent sur le sujet. Aucune tendance claire ne se dessine. « Depuis le début de la pandémie, quand il y a une tendance claire, on n’attend pas la fin des analyses : on change tout de suite nos recommandations », souligne le Dr Villeneuve.

Ce dernier affirme que dans des milieux en éclosion, il est possible de « prendre le contrôle » même si tous les travailleurs ne portent pas le N95.

Certains plaident pour le port du masque N95 pour tous. Mais il y a d’autres solutions qui fonctionnent.

Le DJasmin Villeneuve, de l’Institut national de santé publique du Québec

Le DVilleneuve ajoute que le port du masque N95 ou N100, parfois inconfortable et limitant la communication, comporte aussi des revers qu’il faut analyser.

Microbiologiste, biochimiste et chercheuse en prévention des risques chimiques, biologiques, mécaniques et physiques à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), Geneviève Marchand plaide depuis mars pour une meilleure protection des travailleurs.

Elle explique que si le débat sur la transmission par aérosols a si longtemps duré, c’est que les chercheurs ne s’entendent pas sur la définition d’un aérosol. Certains parlent de particules de 5 micromètres et moins. D’autres de particules dont la taille peut aller jusqu’à 100 micromètres. Début janvier, l’INSPQ a tranché : sont considérées comme des aérosols des particules dont la taille peut aller jusqu’à 100 micromètres.

Mme Marchand se réjouit de cette conclusion. « C’est beau de reconnaître un mode de transmission, mais il faudrait que tu changes ton approche de protection et de prévention », commente-t-elle.

Mme Marchand le reconnaît : le masque N95 « n’est pas la seule solution ».

C’est un des outils qu’il faudrait mettre en place. Mais il faut conserver le lavage des mains, le lavage des surfaces, la distanciation, la ventilation…

Geneviève Marchand, microbiologiste à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail

Même si les aérosols jouent un rôle dans la transmission de la COVID-19, le masque N95 n’est pas nécessaire pour aller faire son épicerie ou pour aller à l’école, ajoute-t-elle. « Mais dans des endroits avec beaucoup de cas, oui. Je pense que le N95 devrait être la voix à prendre », dit-elle.

Dans un article publié mardi, le Syndicat des employés du Centre universitaire de santé McGill affirme que plus de 760 travailleurs de l’hôpital ont contracté la COVID-19 jusqu’à maintenant. « Avec les instituts scientifiques et les spécialistes qui, un à un, arrivent à la conclusion que la COVID se transmet aussi en mode aérosol, la position du gouvernement du Québec est intenable. Il faut des masques N95 ou mieux pour toute personne qui travaille dans une zone rouge ou jaune d’un établissement de santé », écrit le syndicat, qui croit que « les directives actuelles qui limitent sérieusement le port des masques N95 ou supérieur sont en partie responsables de la contamination qui se fait au sein même du réseau de la santé ».

Quelques chiffres

Nombre de masques N95 utilisés chaque jour au Québec : 20 000

Réserve québécoise de masques N95 en date du 20 janvier : 5,7 millions

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec