Le déploiement des vaccins contre la COVID-19 met en évidence le décalage entre la façon dont les Canadiens perçoivent leur rôle dans le monde et la concrète réalité de la santé des siens, selon des experts en affaires internationales.

Le premier ministre Justin Trudeau se vante que le pays a obtenu plus de vaccins par habitant que tout autre pays. Les accords d’options d’achats du Canada pour près de 400 millions de doses lui permettraient de vacciner cinq fois la population entière – si tous ces vaccins étaient certifiés.

Mais alors qu’Ottawa fait face à des pressions pour aider les pays les plus pauvres à accéder aux précieux vaccins, les provinces exigent également que leurs citoyens soient vaccinés le plus rapidement possible. Les plus récents délais chez Pfizer augmentent la tension.

Le gouvernement fédéral a annoncé qu’il versera des centaines de millions de dollars pour aider les pays en développement à vacciner leurs citoyens. Mais la ministre fédérale de l’Approvisionnement, Anita Anand, a déclaré que le Canada ferait « tout ce qu’il faut » pour faire livrer plus de vaccins plus vite au pays – y compris, a-t-elle dit, en augmentant le prix qu’Ottawa est prêt à payer.

David Hornsby, professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton, estime que la pandémie a mis en lumière une tendance égocentriste qui se développait dans le pays depuis des décennies.

Au cours des 25 à 30 dernières années, le Canada est passé d’une « définition très large et inclusive de l’intérêt national » à une définition « très étroite et très centrée sur ce qui est immédiatement pertinent pour les Canadiens », soutient le professeur Hornsby.

Le rôle du Canada au sein des organisations internationales a également diminué au cours de cette période.

David Hornsby, professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton

Un « échec moral catastrophique »

Le Canada n’est certainement pas le seul à vouloir aider d’abord ses citoyens. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, a estimé lundi que « le monde est au bord d’un échec moral catastrophique », alors que les pays riches concluent des accords pour sécuriser « leurs » vaccins et faire grimper les prix.

Alors que plus de 39 millions de doses de vaccin ont été administrées dans 49 pays « riches », a déclaré M. Tedros, un seul pays que l’OMS considère comme « à plus faible revenu » a administré des vaccins – un total de 25 doses.

Mais mardi, Justin Trudeau déclarait que le Canada avait pris la bonne décision en signant des accords bilatéraux avec des fabricants – précisément le type d’accords critiqués par M. Tedros. « Nous avons pris un soin particulier à signer plus de contrats avec plus de fabricants de vaccins potentiels que la plupart de nos alliés et nous avons obtenu de fait plus de doses par personne que tout autre pays », a déclaré M. Trudeau aux journalistes.

Jason Nickerson, conseiller aux affaires humanitaires pour Médecins sans frontières, craignait déjà que des pays riches comme le Canada vaccinent des personnes à faible risque de développer des cas graves de COVID-19, avant que l’on puisse vacciner les personnes à haut risque dans les pays plus pauvres – « ce qui serait une obligation morale pure et simple ».

Pour la ministre fédérale du Développement international, Katerina Gould, il n’est pas incompatible de vouloir vacciner rapidement les Canadiens tout en aidant d’autres pays à accéder aux vaccins, en soutenant les efforts multilatéraux mondiaux « pour vacciner ceux qui autrement n’auraient pas accès aux vaccins », a-t-elle déclaré en entrevue lundi.

Pas que de l’altruisme

Anne-Catherine Bajard, gestionnaire des politiques à Oxfam Canada, rappelle que le Canada s’est fermement engagé envers COVAX, l’organisation internationale qui vise à aider les pays à faible revenu à accéder aux vaccins. Mais elle aimerait voir le Canada commencer à contribuer immédiatement aux stocks de vaccins COVAX, plutôt que d’attendre d’avoir vacciné d’abord tous les Canadiens. Et pas seulement dans un geste de pur altruisme. « Nous n’allons pas arrêter la pandémie si nous le faisons un pays à la fois », a-t-elle déclaré en entrevue.

Alors que le gouvernement fédéral a « sécurisé l’accès » à près de 400 millions de doses, la ministre Gould rappelle que la plupart de ces doses restent hypothétiques. Seuls deux des sept vaccins qu’Ottawa a le droit d’acheter ont été approuvés jusqu’ici par Santé Canada. « Nous n’avons pas des placards remplis de vaccins », a-t-elle déclaré. « Ces doses n’existent pas encore. »

La ministre, qui copréside un organe de gouvernance de COVAX, a soutenu que le Canada était l’un des cinq principaux donateurs à « Accélérateur ACT », l’organisation internationale qui gère COVAX.

Au total, Ottawa soutient qu’il a engagé 865  millions en financement pour l’organisation, en plus des dons de ses vaccins excédentaires.

Bien que le gouvernement fédéral n’ait pas fourni de calendrier pour cet engagement, le Canada a promis de fournir un financement direct de 600  millions entre 2021 et 2025, et à fournir 246 millions à COVAX cette année, selon l’alliance GAVI sur les vaccins.

Cet article a été produit avec l’aide financière des Bourses Facebook et La Presse Canadienne pour les nouvelles.