L’Ontario imposera dès jeudi à ses citoyens de rester à la maison pour lutter contre la propagation de la COVID-19, et ce, pour « au moins 28 jours ». Mais le gouvernement se veut clair : il ne s’agit pas d’un couvre-feu. Alors que le Québec frise maintenant le seuil des 1500 hospitalisations, des experts font le point sur les différences entre les mesures de ces provinces voisines.

« Ce sont deux approches très différentes. D’un côté, l’Ontario se fie davantage au bon vouloir des citoyens. Et de l’autre, le gouvernement Legault a vraiment voulu resserrer la vis, envoyer un message fort, même si on est en droit de douter de la pertinence d’un couvre-feu », affirme le virologue Benoît Barbeau.

Pour lui, le choix du gouvernement ontarien s’explique par une série de facteurs et de valeurs qui lui sont propres. « Ils y vont plus progressivement avec les mesures agressives, ce qu’on peut comprendre. Cependant, il y a toujours un risque derrière des mesures moins restrictives. On l’a vu au Québec pendant les Fêtes : on a demandé aux gens de faire attention, mais on sait aujourd’hui que plusieurs ont visité leurs proches quand même. Tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de pénalités, le risque est là », note M. Barbeau.

Si l’état d’urgence décrété mardi en Ontario donne le pouvoir aux autorités d’imposer des contraventions, le premier ministre Doug Ford assure qu’il n’imite en rien la position du gouvernement Legault. Il a soutenu que la population « doit avoir le droit de faire une marche », insistant sur le fait qu’il ne veut pas d’un « État policier ». « Un couvre-feu, ça veut dire que vous ne quittez pas votre maison. Après 20 h, on voit ce qui se passe au Québec : les rues sont vides », a aussi martelé M. Ford, qui ne « croit tout simplement pas » en la pertinence d’un couvre-feu. Au passage, le conservateur a même décoché une flèche directe au gouvernement de François Legault.

Je crois aux gens de l’Ontario. Dès que vous leur dites que vous avez perdu confiance en eux et que la police les poursuivra dans la rue dans leur voiture, c’est fini, la partie est terminée. On pourrait aussi bien lancer le drapeau blanc.

Doug Ford, premier ministre ontarien, à propos du couvre-feu

En Ontario, l’exercice physique fera partie des motifs jugés valables pour sortir de son domicile, tout comme un passage à l’épicerie ou la pharmacie et l’obtention de soins de santé. Les travailleurs essentiels sont aussi exempts de la nouvelle ordonnance.

Une approche plus « volontariste »

Pour l’experte et professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) Roxane Borgès Da Silva, il est difficile de dire quelle approche est la meilleure dans le contexte. « C’est davantage une opposition entre une démarche plus coercitive et volontariste. Le contexte est différent, la culture est différente. Et il y a cet équilibre à trouver partout », soulève-t-elle.

Sur plusieurs autres plans, les mesures de l’Ontario diffèrent. Les commerces non essentiels restent ouverts, mais seulement de 7 h à 20 h. On limite aussi à cinq personnes les rassemblements en plein air, comme pendant la première vague. Pendant qu’au Québec, les écoles primaires ont rouvert lundi et que le secondaire fera de même la semaine prochaine, l’Ontario a prolongé leur fermeture jusqu’au 10 février dans les régions de Toronto, York, Peel, Hamilton et Windsor-Essex.

Au Québec, on a décidé de dire que l’éducation est une priorité, et que comme les jeunes sont moins un vecteur de transmission, on veut subvenir à leurs besoins. En Ontario, la situation est différente : le variant britannique est beaucoup plus en circulation. Le risque serait plus grand si on ouvrait les écoles.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’ESPUM

Coprésidente de la Communauté de pratique des médecins en CHSLD (CPMC), la Dre Sophie Zhang croit pour sa part que le gouvernement Legault aurait pu aller plus loin dans son « traitement-choc ». « Le Québec a serré la vis sur un aspect, mais sur d’autres, comme les écoles, peu de choses ont été faites. C’est ça notre crainte actuellement : que le paquet complet en lui-même ne soit pas assez bon », confie la médecin. Elle soutient qu’un confinement « plus strict et plus bref » aurait davantage fonctionné qu’un plus long confinement moins robuste qui fragilise la confiance et la prudence du public.

« Il n’y a pas de bonnes réponses entre l’Ontario et le Québec. Ça se verra plus tard. Mais ici, ce que le gouvernement a annoncé, j’aurais préféré que ce soit vraiment un traitement-choc », ajoute Mme Zhang.

Comme au Québec, un réseau fragile

Ces nouvelles mesures ont été annoncées par Doug Ford peu de temps après que l’Ontario a publié de nouvelles projections qui montrent que le virus est en voie de faire déborder le système de santé. Selon les modélisations, les décès quotidiens dus au virus passeront de 50 à 100 d’ici à la fin du mois de février si l’on maintient les restrictions sanitaires à leur niveau actuel. Les nouvelles données montrent que le quart des hôpitaux de la province n’ont plus de lits libres dans les unités de soins intensifs et qu’un autre quart n’en a qu’un ou deux.

Le DAdalsteinn Brown, l’un des experts à l’origine de ces projections, a déclaré que si le taux de positivité à la COVID-19 est de 5 %, l’Ontario verra plus de 20 000 nouveaux cas par jour au milieu du mois prochain. Si ce taux grimpe à 7 %, on verra 40 000 nouveaux cas par jour.

Selon lui, les fournisseurs de soins de santé devront faire face à des choix difficiles dans les semaines à venir. « Ce sont des choix qu’aucun médecin ne veut faire et qu’aucune famille ne veut entendre : qui recevra les soins et qui ne les recevra pas. » D’après les scénarios les plus pessimistes, il pourrait y avoir environ 500 malades de la COVID-19 aux soins intensifs à la mi-janvier et plus de 1000 d’ici février.

Ces projections indiquent que 40 % des foyers de soins connaissent des éclosions. Les décès continuent d’augmenter dans ces foyers, avec 198 résidants et 2 membres du personnel morts du virus depuis le 1er janvier. L’Ontario a signalé mardi 2903 nouveaux cas de COVID-19, dont 8 nouveaux cas d’un variant d’abord observé au Royaume-Uni. La province a également signalé 41 autres morts liées au virus.

– Avec La Presse Canadienne