(Joliette) « Ma femme m’a confié que c’est une véritable ambiance de guerre à l’intérieur. »

Devant l’un des CHSLD les plus touchés au Québec, sur le boulevard Manseau à Joliette, l’ambiance est calme en ce mardi après-midi. Pendant que des cols bleus installent des décorations de Noël, des employés sortent de temps à autre pour prendre une bouffée d’air avant de retourner travailler.

Le passant qui ignore ce qui s’y passe ne peut deviner l’ambiance qui règne à l’intérieur.

Le Centre d’hébergement de Joliette dénombre 148 cas confirmés de la maladie au total. Pas moins de 89 de ces cas sont des résidants, dont 9 sont de nouveaux cas recensés dans les dernières 24 heures. On compte ainsi 59 travailleurs de la santé affectés par le virus.

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Les employés du CHLSD de Joliette ont reçu une bonne dose d’amour.

« Les patients pleurent », raconte Maryse, une préposée aux bénéficiaires qui travaille dans la zone chaude du CHSLD Saint-Eusèbe, à Joliette, croisée devant l’établissement. « Ils ont peur, on les entend souffrir. »

Elle aussi pleure, après chaque quart de travail, lorsqu’elle revient à la maison où l’attendent ses trois enfants, dont un handicapé et un autre qui a des troubles respiratoires. « C’est sûr que j’ai peur de ramener le virus à la maison. »

Elle déplore la gestion du CHSLD.

Ils nous disaient qu’ils allaient s’ajuster… Mais ça fait deux semaines qu’il y a des cas. Faudrait vraiment qu’ils arrivent à s’ajuster !

Maryse, préposée aux bénéficiaires au CHSLD Saint-Eusèbe

Même si elle a été récemment en contact avec une personne infectée par la COVID-19, elle affirme que ses patrons lui ont dit de rentrer au travail en attendant le résultat de son test. À n’y rien comprendre, a-t-elle confié.

Une employée en sanglots

Comme pour faire écho aux interrogations de Maryse quant à la gestion de l’établissement, le premier ministre François Legault a d’ailleurs prévenu, mardi, que les grands patrons des établissements et les gestionnaires locaux « ont le devoir » de faire respecter les règles. Face à la présence grandissante du virus dans les CHSLD, il a levé le ton : ils seront « imputables des résultats ».

Une collègue de Maryse, Anne-Marie, qui préfère elle aussi taire son nom de famille par crainte de représailles et qui travaille également auprès des patients atteints du coronavirus, en veut à l’administration de ne pas leur fournir des masques N95. Elle a d’ailleurs porté plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Lorsque La Presse a appelé à la réception du CHSLD pour parler à un responsable, c’est une employée en sanglots qui a répondu au téléphone, tout en donnant le numéro de la personne à contacter.

« Ma femme me dit que c’est une ambiance de guerre à l’intérieur », lance un homme retraité qui a profité de sa marche pour venir saluer, à travers une fenêtre, sa femme qui travaille au CHLSD.

Près de la porte d’entrée, il y a aussi Luigi, dont la femme non voyante qui réside dans l’établissement de santé est infectée par le virus. « Je viens ici tous les jours… mais je ne rentre pas, parce que j’ai peur de l’attraper », a-t-il confié en ajoutant qu’heureusement, elle a pris « du mieux ».

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La femme de Luigi est une des personnes infectées par la COVID-19 qui vit dans le CHSLD.

Puis soudainement, en milieu d’après-midi, des camions de pompiers sont apparus sur le boulevard Manseau, sans ménager le bruit de leurs sirènes. Des dizaines et des dizaines de voitures suivaient, également bruyantes. Vitres ouvertes, les passagers criaient des mots d’encouragement, faisaient connaître leur appui.

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Les employés ont commencé à sortir, de plus en plus nombreux, pour voir cette haie d’honneur qui leur était réservée. « Ça me touche tellement », a confié Maryse, en applaudissant et en formant des cœurs avec ses mains. Pendant environ 15 minutes, elle a regardé défiler tous ces gens qui se sont déplacés pour leur rendre hommage.

À l’intérieur, c’est par les grandes fenêtres de l’établissement de santé que les patients et d’autres employés ont reçu cette dose d’amour. Une des dames âgées a visiblement été touchée lorsqu’elle a reconnu ses proches dans une voiture. Ces derniers pleuraient en formant des cœurs avec leurs mains.

Johanne, préposée aux bénéficiaires qui s’occupe de la femme de Luigi, affichait un immense sourire. « C’est merveilleux ! Ça fait chaud au cœur de recevoir toute cette énergie ! », a-t-elle lancé, en ajoutant qu’elle adore prendre soin de « nos grands-pères et grands-mères ».

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Pascale Fafard, organisatrice de la haie d’honneur

La femme derrière cette haie d’honneur, Pascale Fafard, est arrivée à pied, avec des ballons aux couleurs de l’arc-en-ciel. « Mon amie travaille ici, alors je sais qu’ils vivent un moment difficile. Il manque de staff et ils font ce qu’ils peuvent », a expliqué l’organisatrice de cet évènement improvisé en 24 heures.

Une priorité pour Dubé

Au moins 59 % de la clientèle est touchée au CHSLD Saint-Eusèbe, derrière le CHSLD Cap Saint-Ignace dans Chaudière-Appalaches, qui est à 67 %. Dix personnes y sont mortes depuis le début de l’éclosion.

« C’est un dossier qui est directement sur mon bureau », a assuré le ministre de la Santé, Christian Dubé. « Quand j’aurai l’assurance que je comprends exactement ce qui est arrivé dans ce CHSLD, on pourra poser les gestes qu’on aura à poser », a-t-il dit en conférence de presse, lundi.

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Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

M. Dubé a notamment commandé un « rapport détaillé » pour comprendre ce qui a pu se passer dans cet établissement de Lanaudière. Une équipe du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a aussi été envoyée en soutien et pour vérifier si les mesures en place pour juguler l’hémorragie sont suffisantes.

Selon un rapport préliminaire, deux employés de la santé auraient travaillé au sein de l’établissement alors qu’ils étaient atteints du virus, mais asymptomatiques, a relaté M. Dubé sans vouloir entrer davantage dans les détails à ce stade.

Il a aussi demandé de comparer les mesures en place au CHSLD Saint-Eusèbe aux meilleures pratiques en matière de prévention et contrôle des infections (PCI).

Des fonctionnaires « imputables »

Le premier ministre et lui ont martelé que les grands patrons des CISSS et CIUSSS « ont le devoir » de s’assurer que les mesures de PCI sont respectées sur le terrain, en commençant par vérifier avec les gestionnaires des CHSLD.

« Je le répète, puis le ministre de la Santé et moi, on est sur la même longueur d’onde, les PDG sont imputables des résultats », a lancé M. Legault.

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François Legault, premier ministre du Québec

Dimanche, Christian Dubé a écrit à tous les dirigeants du réseau pour s’assurer qu’ils réitéraient aux employés l’importance d’appliquer les mesures de PCI. « Ce que j’avais entendu de l’ensemble des PDG, c’est qu’on avait un certain relâchement des employés », a répété mardi le ministre Dubé.

« Ce n’est pas la faute des employés, c’est une question de responsabilité conjointe », a-t-il nuancé. Sa missive n’était pas étrangère au fait que le virus commence à s’infiltrer dans les milieux de soins et de vie de la province. « Quand ça rentre, c’est là qu’il faut être capables d’aller très, très rapidement », a-t-il prévenu.

Un total de 51 CHSLD sont sous surveillance au Québec, dont 11 qui se trouvent en « situation critique » avec plus de 25 % de leurs résidants touchés, en date du 9 novembre.

Une éclosion importante a été déclarée mardi dans le Centre d’hébergement de Lajemmerais, à Varennes, alors que le nombre de cas positifs à la COVID-19 est passé de zéro à 18 en 24 heures. C’est un dépistage massif ordonné après le résultat positif d’un employé qui explique la forte hausse en une seule journée.

Le CISSS de la Montérégie-Est assure « appliquer toutes les mesures de prévention et contrôle des infections nécessaires en lien avec cette éclosion ».