Une nouvelle directive européenne sur la protection des renseignements personnels entrave la recherche biomédicale internationale. Même les travaux de chercheurs canadiens sur la COVID-19 pourraient être touchés, dénoncent des sommités internationales, dont Bartha Knoppers, bioéthicienne à l’Université McGill, dans Science. Un débat fort à propos, alors que la Coalition avenir Québec envisage de faciliter l’accès aux données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). La Presse s’est entretenue avec Mme Knoppers.

Quelle est cette loi européenne qui complique la recherche sur la COVID-19 ?

C’est le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis deux ans. Il limite l’exportation des données personnelles à l’extérieur de l’Union européenne. Les consortiums modernes de recherche ont besoin de données massives pour l’élaboration de la médecine de précision. Le préambule du RGPD dit que les données personnelles doivent être utilisées pour servir l’humanité, mais des scandales comme Cambridge Analytica, qui a regroupé des données de réseaux sociaux à des fins politiques, ont amené un resserrement des données. Pour moi, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui évoque les bienfaits de la science, est remise en question si on commence à limiter le transfert des données scientifiques. Les chercheurs de chaque pays habitent dans des châteaux entourés de douves.

Comment les chercheurs canadiens arrivent-ils à travailler avec des collègues européens ?

Pour le moment, le Canada bénéficie comme d’autres pays d’une exemption, parce que son système de protection des données privées est considéré comme équivalent à celui de l’Europe, mais cette exemption date du règlement précédent, adopté en 1995. Il ne couvre que la recherche commerciale, pas universitaire. En théorie, les chercheurs européens doivent s’assurer que leurs collègues canadiens n’entreposent pas les données au Canada, c’est un processus très lourd. Et même pour l’exemption actuelle, on ne sait pas ce qui va se passer avec le RGPD de 2018. Ils pourraient par exemple examiner la protection des données par chaque province. En juillet, par exemple, une décision de la Cour de justice de l’Union européenne a annulé le « bouclier » permettant le partage de données entre les États-Unis et l’Europe.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ MCGILL

Bartha Knoppers, bioéthicienne à l’Université McGill

N’y a-t-il pas eu un assouplissement du RGPD pour la COVID-19 ?

Oui, il y a eu des lignes directrices spéciales en avril, mais c’est très temporaire, et on y rappelle la nécessité de protéger les données personnelles.

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a récemment avancé que les données de la RAMQ pourraient être plus facilement accessibles pour la recherche médicale. Comment se compare la RAMQ avec le RGPD, sur le plan de la protection des données ?

Le système québécois est un coffre-fort. On a instauré un guichet unique pour la recherche médicale, qui a besoin de savoir combien de personnes un patient a consultées – un médecin ou un pharmacien, par exemple. Mais le système est basé sur celui de l’Institut de la statistique, il faut y aller avec une clé USB, prendre toutes sortes de mesures de sécurité, partir avec une clé USB différente. C’est très compliqué. Souvent, les chercheurs québécois vont utiliser les données ontariennes, où c’est beaucoup plus facile.

Quand le gouvernement Harper avait enlevé les pénalités pour le refus de répondre aux questions du recensement, des commentateurs avaient vanté les recensements scandinaves. Justement, beaucoup d’études médicales utilisent des données de ces pays. Pourquoi ?

En Scandinavie et en Estonie, les données brutes des patients appartiennent à la société, on les collige de manière sécuritaire et accessible pour servir l’intérêt public. Avec un seul numéro d’identification d’un citoyen, on peut avoir toutes les données sur les lieux où il a habité et leurs caractéristiques environnementales, sa santé, son expérience de travail, le tout étant bien entendu anonymisé. Ces recherches font que chaque patient bénéficie de ce qu’on a appris avec les autres patients. Ici, la vie privée des individus est protégée malgré le fait que chacun bénéficie d’un système universel et accessible de santé et de protection sociale.