Les équipes de choc envoyées dans quatre CHSLD de la province aux prises avec des éclosions de COVID-19 arrivent trop tard, selon des médecins gériatres.

« Quand on a 30 % ou 50 % des résidants infectés, c’est plus difficile de contenir l’éclosion », affirme le gériatre David Lussier, qui estime que les équipes de choc du gouvernement arrivent « un peu tard ».

De l’aveu même du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, la SWAT team est arrivée trop tard au CHSLD de Lambton, en Estrie : il n’y avait plus d’éclosion de COVID-19 à son arrivée. « J’aime bien mieux l’avoir envoyée pour rien que de ne pas l’avoir envoyée du tout », a affirmé M. Dubé, jeudi. Le CHSLD de Lambton se situe au palier rouge des établissements en « situation critique », comptant plus de 25 % des résidants infectés, depuis le 10 septembre, il y a six semaines.

Jeudi matin, M. Dubé a confirmé lenvoi déquipes spécialisées en matière d’infections, ou SWAT teams, dans quatre CHSLD particulièrement touchés par la deuxième vague de COVID-19. Il s’agit du CHSLD du Fargy à Québec (35 cas, 7 décès), du CHSLD de Lambton en Estrie (20 cas, 0 décès), du CHSLD Isidore-Gauthier à Alma au Saguenay – Lac-Saint-Jean (15 cas, 7 décès) et du CHSLD Sainte-Croix à Marieville en Montérégie (35 cas, 16 décès).

Réagissant à cette annonce, l’interniste gériatre Quoc Dinh Nguyen a écrit sur Twitter que « [l]’envoi de SWAT teams en CHSLD alors qu’il y a > 50 % des résidants atteints est tout simplement trop tardif. Nous n’avons pas attendu d’avoir les hôpitaux pleins pour prendre des mesures vigoureuses dans la population. Ça devrait être idem pour nos aînés ». Le DNguyen siégeait au comité d’experts mis sur pied par le gouvernement lors de la première vague pour mieux endiguer la pandémie dans les CHSLD.

Des établissements qui n’ont pas tiré les leçons de la première vague ?

Le DLussier constate que les CHSLD particulièrement touchés actuellement avaient été épargnés lors de la première vague.

Dans les CHSLD très touchés au printemps, ça va bien actuellement […] Le plus inquiétant et surprenant, c’est qu’on dirait que l’expertise acquise au printemps ne s’est pas rendue dans les autres CHSLD. […] Ça me fait mal au cœur de voir que les gens vivent ce qu’on a vécu, nous, au printemps.

Le DDavid Lussier, gériatre

Dans plusieurs CHSLD très touchés, les employés sont aussi nombreux à être infectés. Au CHSLD Saint-Augustin à Québec (44 cas, 18 décès), ils sont plus de 50 à avoir reçu un test positif. Au CHSLD du Fargy, 27, et au CHSLD Sainte-Croix, 62.

« Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ça », avance Richard Boissinot, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CIUSSS de la Capitale-Nationale (FSSS-CSN). Dont le fait que les salles de repas et les salles de repos des employés ne sont pas toujours adaptées, selon lui.

Au CHSLD du Fargy, M. Boissinot affirme que le syndicat a dû intervenir parce que la salle où les employés d’une zone rouge devaient dîner était « grosse comme une salle de bain ». « Même si tu es juste quatre, la salle est petite. Et on n’a pas encore trouvé la façon de manger en gardant le masque », ironise M. Boissinot.

Dans une enquête épidémiologique publiée la semaine dernière par l’Institut national de santé publique du Québec, on notait qu’au début de la pandémie, moins du tiers des travailleurs respectaient systématiquement la distanciation physique avec leurs collègues durant les repas et les pauses ou portaient toujours un masque quand ils ne pouvaient rester à deux mètres ou plus. Ce pourcentage a augmenté à la fin du printemps, mais il est tout de même demeuré au-dessous de 60 %.

M. Boissinot assure ne pas sentir de relâchement du côté de ses membres en matière de respect des normes sanitaires. « Au contraire, nos membres sont craintifs et veulent se protéger », dit-il.

« Qu’est-ce qu’on peut faire de plus dans nos CHSLD ? C’est tout d’abord de continuer à s’assurer que les mesures de PCI [prévention et contrôle des infections] par nos employés sont bien suivies. Parce que nos employés, on le dit, ils sont fatigués. Ça fait sept mois qu’ils vivent ces deux vagues-là. Puis c’est… je dirais, c’est normal, je veux faire attention, mais c’est normal qu’ils soient fatigués puis que des fois il y ait un relâchement à l’heure du midi. Puis moi, je veux leur dire qu’on est en appui, mais ce n’est pas facile de toujours être aux aguets parce que le virus est sournois », a dit le ministre Dubé en conférence de presse.

Président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley explique que le virus circule beaucoup actuellement dans la communauté et que les employés peuvent aussi y contracter la COVID-19.

Il confirme que différents CHSLD sont incapables d’offrir des salles de repos ou de repas « où on peut respecter la distanciation ». « On est maintenant censé avoir des gestionnaires dans tous les CHSLD. Peut-on régler le problème ? », demande-t-il.

Christian Dubé rappelle que le premier ministre, en le nommant à la Santé, lui a donné le mandat de « protéger les aînés dans nos CHSLD ». La situation actuelle le préoccupe. « Je dors très mal ces temps-ci », a-t-il laissé tomber.

Il a toutefois fait valoir que l’« on n’est pas du tout dans le même registre » en cette deuxième vague comparativement à la première. « Après 50 jours d’une deuxième vague, on parle d’à peu près 320 personnes contaminées dans nos 40 CHSLD, alors qu’à la 50journée de la première vague, c’était plus de 2700 personnes qui étaient contaminées dans à peu près une centaine de CHSLD », a-t-il souligné.