Que se passe-t-il donc au Québec pour qu’on soit encore « les pires » ?

Mercredi, un peu exaspéré de se faire poser la question, le premier ministre Legault a parlé à nouveau de la semaine de relâche scolaire… du début du mois de mars. L’argument avait une apparence de validité au printemps, encore qu’il faudrait faire une analyse fine de cette triste vague.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

File d’attente devant une clinique de dépistage à Terrebonne

Mais rendu en octobre, désolé, ça ne tient pas la route, ni logiquement ni statistiquement. Le nombre de cas était passé sous celui de l’Ontario à la fin du mois d’août. Et là, on est les champions encore…

C’est quoi, alors ?

On est bien obligé de regarder les choses en face : toutes proportions gardées, on a deux fois plus de cas que l’Ontario.

C’est peut-être notre côté latin, avançait l’autre jour sur un ton normand le ministre de la Santé Christian Dubé. On aime faire la fête… p’t’être bien que oui… p’t’être bien que non…

Sur le plan généalogique, ça ne tient pas la route, puisque l’immigration des colons français en Nouvelle-France n’était pas particulièrement méridionale. Les Canadiens français sont plutôt des Nordiques.

Mais sérieusement, pensez-vous qu’on ne fait pas la fête à Vancouver ? À Winnipeg ? À Toronto ? Pense-t-on que les Allemands ressemblent à des pasteurs protestants sinistres dans un film de Bergman ? Avez-vous déjà vu à quoi ressemblent les rues de Londres, ou d’Édimbourg, ou de Séoul, tiens, tard, tard le soir ? Ça fête très fort en Corée, y a bien des gens là-bas qui pourraient coucher tous les amateurs de karaoké de la Capitale-Nationale sans avoir la moindre trace d’héritage latin.

Bref, c’est pas ça.

C’est quoi le problème, alors ?

* * *

Des experts avancent l’explication génétique. Et en effet, les chercheurs observent des réponses immunitaires très différentes selon le bagage génétique national. Les peuples de l’Europe du Nord, paraît-il, seraient mieux à même de lutter contre le coronavirus. Donald Trump, descendant allemand, serait particulièrement bien doté en gènes, selon cette hypothèse.

Ah bon ? Curieux quand même que la Suède et la Norvège, deux peuples de valeureux Vikings, aient des bilans si extraordinairement différents. Norvège (5,4 millions d’habitants) : 15 000 cas ; Suède (10,2 millions) : 97 000 cas. Ramené à un ratio de population, c’est trois fois plus en Suède.

En Norvège, 275 personnes en sont mortes. En Suède, c’est 5800. Dix fois plus par habitant.

Pour fascinantes qu’elles soient sur le plan médical, les explications génétiques ne sont pas très concluantes…

Ma foi… serait-ce… politique ?

* * *

La vérité très plate, c’est qu’on a pris ici des décisions différentes. Le « reste du Canada » nous a regardés ce printemps quand on s’est remis à rouvrir les trucs plus vite que tout le monde, comme marmotte au soleil, comme des cigales en route vers la chorale de Noël, même si on avait le pire bilan au pays.

On a fait des choix.

On a permis des rassemblements de 250 personnes. Ontario ? 50.

Les bars intérieurs ont été rouverts avec des restrictions, mais rouverts quand même. Plein de gens nous regardaient les yeux écarquillés : sont pas un peu fous, ces Gaulois ?

Quand l’école a recommencé, l’Ontario a imposé le port du masque à tous les élèves à partir de la quatrième année. Ici, on a attendu d’être en zone rouge pour l’imposer aux élèves du secondaire. Et nos pédiatres en parlent comme du débarquement de Dieppe. Peut-être ont-ils raison, remarquez. Je dis simplement ceci : les mêmes causes provoquent les mêmes effets. On a tardé à imposer le masque dans la population générale. C’était donc terrible de faire ça dans le métro. On trouverait jamais assez de masques !

Ben…

On en est là.

* * *

Je sais, c’est facile d’analyser le match le lendemain matin. Mais ça fait un bout de temps qu’on prend le train des mesures en retard. Le masque, moi qui n’y connais rien, j’écrivais là-dessus en avril ; les bars intérieurs, il fallait les fermer cet été, selon… ce que je voyais partout ailleurs.

Depuis trois semaines, on voit le gouvernement nous dire : attention, on vous suggère de changer, sinon on va être obligés de sévir… et on sait d’avance qu’ils vont le faire une semaine plus tard.

Une semaine trop tard.

Et j’écris ceci même pas pour critiquer le gouvernement. Vraiment. Je me sens partie prenante de leur mouvement.

Ce n’est pas ça, ma question. Je me demande ce qu’il y a en nous qui amène ce gouvernement à être aussi mou. Pas négationniste. Non, non, depuis le début, le message du sérieux de l’affaire est bien véhiculé.

C’est comme si on n’osait pas tirer toutes les difficiles conséquences de l’état pénible des choses. Ni en avril, ni en mai, ni en juin, ni même maintenant.

Ça va mal, ça va mal, ça va mal… Mais on vous suggère ceci…

C’est quoi, notre maudit problème ?

On doit aimer ça : c’est le gouvernement le plus populaire de l’histoire moderne.

Il doit y avoir quelque chose dans la psyché nationale qui appelle ça. Un refus de ce qui pourrait avoir l’air sévère. Trop dur. Peut-être l’Église catholique ne s’est pas effondrée si violemment ici pour rien…

Me semble qu’en attendant de creuser ça, on peut quand même faire mieux.