Ce qui est excessif devient insignifiant, dit-on. Mais les excès aident quand même à attirer l’attention.

Ce n’est pas tout le monde qui a braillé en entendant l’Association des pédiatres qualifier les adolescents de « génération sacrifiée » à cause de l’annulation temporaire des activités sportives et parascolaires, ainsi que de l’enseignement à temps partiel à distance en 4e et 5e secondaire.

En effet, il y a pire. Par exemple, les vieux en CHSLD qui peinent à se faire nourrir et laver…

Spontanément, on se dit : les jeunes sont sacrifiés par qui et pourquoi ? C’est plutôt le contraire. Québec impose ces restrictions justement afin que les écoles soient assez sécuritaires pour rester ouvertes. Il s’agit d’ailleurs de la grande priorité de François Legault.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’Association des pédiatres du Québec craint que les adolescents actuels deviennent une « génération sacrifiée » à cause de l’annulation temporaire des activités sportives et parascolaires et de l’enseignement à temps partiel à distance en 4e et 5e secondaire.

Mais ce serait bête de juger les pédiatres à la qualité de leur métaphore. Car ils ont mis le doigt sur plusieurs bobos.

Au fond, tout dépend de votre niveau de pessimisme.

Les pédiatres craignent que la seconde vague dure longtemps et que le vaccin tarde. Il faudrait alors apprendre à vivre avec le virus et accepter un certain risque de propagation. Un défi de seulement « 28 jours », ils n’y croient pas.

Les pédiatres nous forcent aussi à réfléchir aux limites des fameuses « données probantes ». Vrai, ces médecins ne sont pas en mesure de prouver qu’il y aura une hausse du décrochage scolaire, de l’anxiété, de la cyberdépendance ou des troubles alimentaires. Mais c’est pour une bonne raison : on le saura seulement quand il sera trop tard. Ils se rabattent donc sur les cas cliniques récemment observés. Cela relève autant de l’intuition que de la science.

Par contre, les pédiatres vont un peu vite en minimisant le risque d’éclosion avec le sport étudiant. Ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas eu beaucoup que leur nombre n’augmentera pas. Difficile toutefois d’avoir un portrait précis, car l’accès à ces données reste lent et partiel. Cela, les pédiatres le révèlent bien malgré eux.

Depuis le début de cette crise, on parle de « la Santé publique ». Mais la Santé publique ne parle pas d’une seule voix, et elle dit bien des choses indécises.

« La » Santé publique, ce sont différentes antennes régionales qui ne s’entendent pas sur les recommandations faites au directeur national, le sous-ministre Horacio Arruda. Et il existe aussi l’Institut national de santé publique, un centre d’expertise indépendant, en plus des chercheurs universitaires.

Pour équilibrer les avantages et inconvénients d’une décision, ces médecins doivent en prédire les conséquences sur une multitude de secteurs qu’ils étudient à distance, comme le décrochage scolaire. Ce sont à la fois des experts et des généralistes. D’où l’importance d’écouter ceux qui travaillent avec les jeunes sur le terrain, comme les pédiatres.

On le constate, ce calcul ne relève pas de la science expérimentale. Il est en partie artisanal et politique.

Par réflexe professionnel, les pédiatres risquent d’accorder plus de poids aux jeunes. Ils ne voient pas les préposées aux bénéficiaires et les infirmières des CHSLD au bord de l’épuisement et la souffrance des personnes âgées.

Dans un monde idéal, chaque point de vue serait considéré par la cellule de crise du gouvernement. Mais contrairement à l’image qu’on peut en avoir, ce n’est pas une grosse machine… Il s’agit d’un petit groupe de gens stressés qui s’étourdissent depuis mars à essayer de faire le tour de chaque scénario, en démêlant des avis contradictoires.

Mais la question la plus délicate posée par les pédiatres, c’est celle de la valeur à donner à chaque individu. Les 12 ans et moins ne les inquiètent pas trop. Ils se soucient surtout des ados qui finissent le secondaire. C’est une période courte et intense où la personnalité se consolide et les destins se forgent. Rater sa 4e ou 5e secondaire, ce n’est pas comme échouer au début du secondaire. On tombe de plus haut et le temps manque pour se relever.

Les pédiatres disent : acceptons collectivement de risquer quelques éclosions de plus pour les aider à réussir ce passage décisif de leur vie.

C’est gros… Mais en même temps, quel poids donner à des crises d’anxiété, à des dépressions, à des abandons scolaires ?

Cela mérite une délicate réflexion collective, et les pédiatres viennent de la lancer.