(Québec) L’application Alerte COVID que le gouvernement du Québec vous demande depuis lundi de télécharger sur votre téléphone intelligent soulève encore bien des questions. Des députés d’opposition doutent de son utilité et de sa fiabilité, après que des experts eurent plaidé en commission parlementaire qu’Alerte COVID pourrait nuire plutôt qu’aider à combattre le virus. Entrevue avec le ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale, Éric Caire.

Alerte COVID avertit l’utilisateur lorsqu’il a été en contact avec une personne atteinte de la COVID-19 pour l’encourager à aller se faire tester. Si les Québécois téléchargent en masse cette application, ne risque-t-on pas de générer une vague de « fausses alertes » et d’engorger les cliniques de dépistage ?

Je ne crois pas que ça va être le cas. Est-ce qu’il va y avoir des cas où on va enregistrer un contact alors que la situation était sécuritaire ? Oui, très certainement. Mais je vais citer (l’informaticien) Yoshua Bengio qui, en commission parlementaire, est venu dire que lui non plus ne croyait pas à une déferlante de faux positifs. […] On va s’adapter en conséquence de la demande, mais il faut que le système de dépistage soit prêt. J’en veux quand même pour preuve qu’on est passé de 7000 tests au printemps à 30 000 tests. […] Faire plus de tests, ce n’est pas une mauvaise nouvelle, ça devrait être au contraire un objectif.

Craignez-vous de faire naître chez les utilisateurs de l’application un faux sentiment de sécurité ? Par exemple, la personne pourrait se dire : « Je n’ai pas besoin de faire des efforts particuliers, j’ai l’application Alerte COVID, je suis bien protégé ».

Non. On a utilisé le même argument quand il a été question de porter le masque et je ne pense pas que ça ce soit concrétisé. Maintenant, ce qu’il faut comprendre, c’est que l’application ne vous empêchera pas d’attraper la COVID-19, elle va vous prévenir si vous avez été en contact avec quelqu’un. Donc, je ne vois pas comment un faux sentiment de sécurité pourrait émerger de ça.

Selon le spécialiste en cybersécurité Claude A. Sarazin, la concentration d’une grande quantité de données — aussi insignifiantes puissent-elles paraître — est sûre d’attirer les cybercriminels. L’usage de la technologie Bluetooth à longueur de journée constituerait une porte d’entrée pour des attaques sur les systèmes informatiques des gens et des entreprises pour lesquelles ils travaillent. Êtes-vous d’accord ?

Non seulement je ne suis pas d’accord, mais cette affirmation-là ne passe pas l’épreuve des faits. Il y a trois millions de téléchargements au Canada, 2,5 millions en Ontario depuis deux mois et il n’y a aucun cas rapporté de hacking. (Si un hacker réussit), il va avoir accès à un fichier qui contient deux colonnes de numéros générés aléatoirement. Ça va intéresser qui ? Personne. […] Il va faire quoi avec ça ? Il va aller sur le « dark net » en disant : « Fichier de chiffres encryptés inutile à vendre, prix à discuter » ?

Les Québécois qui n’ont pas de téléphone intelligent, ou qui ont un vieux téléphone, pensons aux personnes âgées, ne pourront jamais recevoir de notification. N’y a-t-il pas un problème d’accessibilité et un potentiel discriminatoire ?

Écoutez, la situation actuelle prévaut. Les gens qui n’ont pas de téléphone intelligent vont continuer à recevoir le service qui est mis en place présentement, donc ce n’est pas discriminatoire dans le sens où tous ceux qui peuvent avoir un service ont accès au service. Maintenant, je pense que comme société on serait irresponsable de ne pas se donner des outils additionnels pour des raisons personnelles, parce qu’il faut bien comprendre que d’avoir un téléphone intelligent, c’est un choix personnel.

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse s’inquiète que des employeurs, propriétaires d’immeubles et commerçants exigent l’application pour transiger avec eux, car rien dans la loi actuelle ne l’interdit. Allez-vous adopter une loi ou un décret pour combler ce vide juridique ?

Oui, absolument. Le décret va être adopté, c’est déjà prévu, il est déjà rédigé, il reste à l’adopter. Ce sera interdit par décret pour quiconque d’obliger quiconque à télécharger cette application-là. On a bien entendu la recommandation. […] À terme, lorsque l’Assemblée nationale aura complété ses travaux (sur le projet de loi 64), on pourra compter sur une loi pour assurer une meilleure protection des droits des individus et de leurs renseignements personnels.