L’histoire commence dans l’allée numéro 16 d’une quincaillerie de Montréal, au mois de mars, quand le DRené Caissie cherche de quoi bricoler un masque de protection.

J’en ai raconté ici quelques épisodes. Le premier se termine dans une usine de CCM, qui a fabriqué des masques de protection au tout début de la pandémie, quand l’équipement manquait partout.

Mais sept mois plus tard, on n’en est plus à l’artisanat.

Vendredi, l’usine de Sherbrooke de MI Intégration commencera la production en série d’un masque recyclable et réutilisable plus efficace que le fameux « N95 ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Dr René Caissie

Les autorisations de Santé Canada ont été obtenues, et la firme du DCaissie, Dorma Filtration, détient sa « licence d’établissement d’instruments médicaux » (LEIM).

Des commandes pour 80 000 masques ont été passées par le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et le CISSS de la Montérégie-Est – une commande de plus de 3 millions.

Le masque dont on parle est de format unique, en résine, et ajustable sur tous les types de visage.

Un N95 filtre, comme son nom l’indique, 95 % des particules ; celui-ci est un « N99 », donc beaucoup plus performant.

« La beauté de l’affaire, c’est qu’il est réutilisable, parce qu’il peut être stérilisé, et il est recyclable aussi », dit le chirurgien maxillo-facial.

Les tests confirment qu’il peut être utilisé et stérilisé 30 fois. Le DCaissie est convaincu qu’il peut l’être davantage encore, mais il faut des confirmations coûteuses en laboratoire pour pouvoir l’affirmer, et ces tests n’ont pas encore été faits. Même à 30 utilisations, il supplante largement le masque N95 actuel. Une fois son cycle d’utilisation terminé, le masque est recyclable – il peut être « fondu », en quelque sorte, et moulé à nouveau.

Autre avantage non négligeable, donc : il pourrait permettre des économies.

Les N95 en « papier » se vendent cette semaine 5 $ l’unité (au pire de la pénurie, le prix a déjà atteint le double) pour les hôpitaux et ne sont pas stérilisables. Ils sont donc jetés après utilisation.

À l’unité pour les particuliers, ce nouveau masque N99 se détaillera 85 $, mais au gros volume pour les organisations, le prix sera probablement de la moitié.

Des commandes sont en attente d’hôpitaux canadiens, et l’intérêt se manifeste aussi à l’étranger.

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« Je suis particulièrement fier de dire que c’est aussi un produit conçu et fabriqué entièrement au Québec, et qu’on peut produire en quantité illimitée, dit le chirurgien maxillo-facial. Pas une entreprise n’aurait pu faire ça seule et pas dans un court délai. Il y a eu un travail d’équipe de gens de partout au Québec. »

MI Intégration, spécialisée dans la fabrication de pièces pour l’étanchéité des voitures, prévoit une capacité de fabrication de 500 000 par mois et 1 million d’ici la fin de l’année.

C’est un concours de circonstances qui a fait évoluer les différents projets de masque du DCaissie vers ce « N99 » réutilisable.

Il cherchait une membrane de filtration pour fixer à l’embouchure. Une chercheuse de l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Geneviève Marchand, lui a signalé un filtre hautement performant fabriqué au Saguenay. Sefar BDH fabrique des filtres industriels pour l’industrie minière et les usines d’aluminium, comme Rio Tinto Alcan (qui est partie prenante du projet). Des filtres, pour les intéressés, fabriqués en « poly-tétra-fluoro-éthylène ».

MI Intégration a dessiné des moules et fournit la chaîne de montage, Sefar fournit les filtres, et les tests ont commencé cet été au Conseil national de recherches du Canada et au laboratoire CTT de Saint-Hyacinthe, pour faire certifier le matériel.

« Ça paraît simple comme ça, mais il a fallu tellement de gens pour réaliser ce masque. Des designers, des chimistes, des spécialistes en polymères, des informaticiens, des gens de 3D », dit le DCaissie.

« On s’est rendu compte par exemple qu’il y a une pénurie mondiale d’élastiques. On ne peut pas mettre n’importe quelle sorte d’élastique, il faut que ce soit à niveau pour les normes médicales, comme la résine utilisée, pour que ça n’irrite pas la peau. Finalement, c’est une compagnie d’extrusion de polymères de Magog, eLab, qui a conçu l’élastique. Il résiste à au moins 30 utilisations, il revient en place… Ça semble un détail, mais c’est indispensable. »

Ottawa et Québec appuient le projet – Investissement Québec a fourni des fonds.

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La deuxième vague commence à frapper en Occident, ce qui entraînera de nouvelles pressions sur les équipements de protection. Mais en plus, lundi, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), instance fédérale de la santé publique américaine, ont finalement déclaré que le coronavirus de la COVID-19 se transmet par aérosol. Plusieurs experts l’affirment depuis des mois, mais le fait que les instances de santé le déterminent officiellement aura un impact sur les politiques de protection et les normes de filtration.

« Les masques, c’est un produit que tout le monde médical connaît et que tout le monde cherche à obtenir. Le fait qu’il soit fabriqué au Canada, ça devient plus important que jamais » – on l’a vu au printemps avec les marchandises coincées dans des ports ou des aéroports étrangers.

Ceux-là partiront des Cantons-de-l’Est dès vendredi pour se rendre dans les hôpitaux du Québec… pour commencer.

Rectificatif:
Dans une version antérieure de cette chronique, nous avions écrit que le DrCaissie était un dentiste, il est plutôt un chirurgien maxillo-facial. Nous avions également écrit « Elab », alors que l’entreprise se nomme « eLab », et nous avions indiqué le « Centre national de recherches du Canada », qui est plutôt le « Conseil national de recherches du Canada ».