Au cours de la semaine, le virus a fait irruption dans plusieurs établissements pour aînés au Québec. Sans être comparable à l’hécatombe du printemps dernier dans les CHSLD, cette résurgence ravive les inquiétudes des familles des occupants et du personnel de soin. C’est le cas au CHSLD Idola-Saint-Jean, à Laval, et à la Résidence des Berges, à Boucherville, qui comptaient chacun plus d’une dizaine de cas samedi.

« Je suis juste épuisée », soupire Cathy Vanier, préposée aux bénéficiaires au CHSLD Idola-Saint-Jean, quand on lui demande si l’éclosion dans son établissement l’inquiète. « Après la première vague, j’ai pris une semaine de vacances. On ressent quotidiennement l’atmosphère d’angoisse, mais il faut rester calme malgré tout. Si on laisse notre stress prendre le dessus, ça a un impact sur les services qu’on offre aux résidant.s »

En une journée, le CHSLD de Laval a enregistré 10 cas de COVID-19 chez ses résidants. Au total, 11 occupants et 7 employés de l’établissement ont contracté le virus dans les derniers jours.

Fidèle au poste samedi soir, Mme Vanier attend le résultat de son test depuis mardi. Elle constate avec difficulté un relâchement dans la population, alors que les travailleurs de la santé continuent d’être sur leurs gardes. « Je limite mes contacts. Ma mère a des problèmes cardiaques, je vais prendre mes distances avec elle, considérant la hausse des cas dans mon milieu de travail. »

Moi aussi, ce week-end, j’aimerais ça aller aux pommes, mais je n’y vais pas.

Cathy Vanier, préposée aux bénéficiaires au CHSLD Idola-Saint-Jean

Une trentaine de préposés aux bénéficiaires venus d’agences de placement l’avaient inquiétée il y a deux semaines, confie-t-elle. « Quand j’ai regardé la feuille journalière du personnel, il n’y avait pas un étage où il y avait du personnel régulier. Ça me fait tiquer. Il y a un risque, on ne sait pas où ils ont travaillé la veille. Il faut éviter de déplacer le personnel. Moi, je pense qu’il faut éviter les agences. »

« J’ai peur de demain », s’inquiète Marjolaine Aubé, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS de Laval. « Les employés sont désespérés. On se croise les doigts pour que ça n’augmente pas. »

L’éclosion s’est déclarée au rez-de-chaussée du CHSLD Idola-Saint-Jean, à l’étage même où est située la zone chaude destinée aux patients atteints de la COVID-19. Les 11 patients actuellement infectés se trouvent dans cette zone rouge, qui a une capacité de 15 lits seulement.

L’établissement lavallois avait été relativement épargné durant la première vague, avec un total de neuf cas, dont trois décès. « Ce qu’on a eu en 24 heures, c’est plus que ce qu’on a eu le printemps dernier. Les résultats ne sont pas tous sortis. Si on tombe avec une flopée de membres du personnel malades, on va avoir un manque de main-d’œuvre », s’inquiète Katie Chamberland-Langlois, déléguée syndicale.

Rosella Boucher s’occupe de son mari Jean-Yves au CHSLD Idola-Saint-Jean depuis six ans et demi. Heureusement, il n’a pas contracté la COVID-19. « Pendant que nous, on fait attention, partout dans la population, il y a un relâchement et on écope. Je fais tellement attention chaque fois que je rentre. J’ai tout l’équipement de protection et je limite mes contacts au quotidien pour être sûre de ne pas ramener le virus ici », explique-t-elle.

Samedi après-midi, une femme qui a préféré ne pas se nommer est venue visiter sa grand-mère. « Elle est sur l’étage où il y a eu l’éclosion, mais son test est négatif », a-t-elle confié la gorge serrée. « Les visites sont interdites, mais je vais aller la voir à travers la fenêtre. »

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Jonathan Grenier, délégué syndical CSN santé et sécurité au travail pour le CISSS de Laval, et Katie Chamberland-Langlois, Katie Chamberland-Langlois, déléguée syndicale du CSN des travailleuses et travailleurs du CISSS de Laval

Jonathan Grenier, délégué syndical CSN en matière de santé et sécurité du travail pour le CISSS de Laval, a constaté quelques lacunes quand il a inspecté les lieux samedi. Par exemple, à l’entrée de la zone rouge, il n’y avait pas de table pour l’équipement de protection individuelle (EPI).

Pour entrer dans une zone chaude, il faut une station pour pouvoir s’habiller et une autre table pour désinfecter l’équipement au besoin. Ça veut aussi dire que les gens s’habillent alors qu’ils sont déjà dans la zone rouge. On est censé être déjà habillé.

Jonathan Grenier, délégué syndical CSN santé et sécurité au travail pour le CISSS de Laval

Certaines cloches d’appel des patients n’étaient pas activées, remarque-t-il.

« On pense aussi que les masques N95 devraient être obligatoires dans les zones rouges. Là, ce sont seulement les masques chirurgicaux », explique Mme Chamberland-Langlois.

« N’oubliez jamais que c’est sournois »

À la Résidence des Berges, à Boucherville, dans un cadre idyllique et champêtre, le virus s’est installé au cours de la semaine. L’établissement privé a été épargné lors de la première vague de COVID-19. Dans la journée de vendredi, 7 cas se sont déclarés parmi les résidants répartis dans 42 chambres. Selon la propriétaire, Lilianne Gauthier, on comptait 13 cas samedi.

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Lilianne Gauthier, propriétaire de la Résidence des Berges de Boucherville

Tout a commencé lundi dernier. Une animatrice est venue faire des activités avec certains résidants. Elle était protégée par un masque en tissu, et non par le masque chirurgical plus souvent utilisé. Le soir même, de retour du boulot, elle apprend que son mari a été en contact avec un collègue dont le fils avait contracté la COVID-19. « Elle m’a appelée pour me le dire. Elle n’avait aucune idée qu’elle avait la COVID-19. Elle aime assez son travail et elle aime assez ses gens, jamais elle ne serait rentrée travailler. Il n’y avait pas de symptômes. N’oubliez jamais que c’est sournois, ce virus », raconte Mme Gauthier.

L’animatrice en question a décliné notre demande d’entrevue.

Le virus s’est propagé dans la résidence. Petronella Roeling-de Vette, une occupante de 90 ans en début d’alzheimer, n’a ressenti aucun symptôme de la maladie. Pourtant, son test de dépistage réalisé vendredi s’est avéré positif. Comme tous les autres cas positifs, elle a été transférée le jour même au centre René-Lévesque, à Longueuil.

« C’est sûr que ça nous inquiète. Elle est résiliente, mais une dame de son âge qu’on sort de son environnement en urgence comme ça, ça reste perturbant pour elle. Elle perd ses repères, elle est stressée », confie son fils René de Vette.

« Je pense qu’il y a un relâchement général par rapport à la première vague. Mais en même temps, le confinement a été lourd sur le moral. Les séances d’animation, c’est très important pour ma mère », explique Aad de Vette, son autre fils, qui est médecin. La hausse des cas à travers le Québec est évidente, dit-il. « Ça monte rapidement. Il va falloir serrer la vis et limiter les contacts sociaux. »

Sur 13 personnes contaminées, une seule a été hospitalisée, mais son état est stable, selon Mme Gauthier.

« C’est plus facile à gérer en comparaison de la première vague où on était laissés à nous-mêmes. Le CISSS est ici du matin au soir pour nous aider. On nous a fourni des masques et des visières », assure-t-elle.

Les gens qui disent que la pandémie, ce n’est pas vrai, que le gouvernement veut nous contrôler, eh bien, je regrette : appelez-moi, je vais vous raconter.

Lilianne Gauthier, propriétaire de la Résidence des Berges de Boucherville

Elle se prive de beaucoup de contacts sociaux, dit-elle, pour ne pas transporter la maladie au travail ou à la maison. « J’arrive chez moi, je me désinfecte, je lave mon linge, je ne vais pas chez le coiffeur. On prend beaucoup de précautions. C’est un petit virus pas gentil. Il passe sans cogner à la porte », explique la femme aux éclatants cheveux roses.

Ce qui rassure Liliane Gauthier, c’est le fait qu’aucun résidant n’a de symptômes graves. La plupart n’en avaient pas du tout.

Ils demeurent isolés et toutes les activités sont annulées jusqu’à nouvel ordre. « Je les appelle, je leur fais des petits coucous. Je ne veux pas qu’ils revivent le printemps dernier. »