Mercredi, la ministre Geneviève Guilbault a mis fin au faux débat : non, les policiers du Québec n’obtiendront pas le droit d’entrer dans les maisons pour aller compter le nombre d’invités.

« L’inviolabilité des domiciles privés, c’est un droit très important, fondamental au Québec », a-t-elle rappelé.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Malgré l’importance de faire respecter les mesures sanitaires, le gouvernement Legault a rectifié le tir mercredi et a martelé que Québec « n’envisage pas de permettre aux policiers d’assiéger du jour au lendemain nos maisons ».

Pas juste au Québec, bien entendu. Les Anglais, qui n’ont pas emporté ici avec eux que des inconvénients, ont frappé cette formule en 1604, et qui est un des plus grands clichés juridiques anglo-saxons : « La maison de chacun est son château et sa forteresse ».

Le shérif, la police, la milice n’a pas le droit d’y pénétrer sans un ordre de la cour.

Il y a quelques exceptions à cette règle. Si la police poursuit un suspect qui se réfugie dans une maison. Si un crime se déplace dans une résidence. Si la police reçoit un appel de détresse.

Autrement, il faut un mandat accordé par un juge.

À l’ère des télémandats, livrables électroniquement, on n’a pas vraiment besoin de récrire la Loi sur la santé publique. Elle donne déjà énormément de pouvoirs aux autorités. Mais elle exclut nommément celui de pénétrer dans une maison.

Ce n’est pas rien, ce qu’autorise la loi. Le directeur de santé publique peut faire isoler quelqu’un de force, l’obliger à subir un examen médical, une prise de sang ou un prélèvement. Il peut faire fermer des établissements, interdire à des gens de fréquenter certains endroits, « ordonner la destruction d’un animal », et j’en passe.

La loi crée aussi une obligation de collaborer aux enquêtes épidémiologiques pour tous les propriétaires de « lieux ».

Il peut aussi « ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population ».

C’est large ! Très, très large !

Certains y ont lu des pouvoirs policiers illimités. Aucun pouvoir ne l’est, même en temps de crise, heureusement.

La loi exclut nommément l’intrusion dans la résidence : « L’agent de la paix qui agit en vertu du présent article ne peut toutefois entrer dans une résidence privée sans le consentement de l’occupant ou sans être muni d’un ordre de la cour l’y autorisant. »

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Oui, mais l’heure est grave, le virus se propage, il y a des irresponsables partout !

C’est vrai.

Mais premièrement, la police ne viendra jamais à bout de toutes les violations privées des règles sanitaires. On n’enverra pas les agents de la paix dans toutes les rues de chaque quartier.

Deuxièmement, ce n’est pas vrai qu’un policier est sans pouvoir devant une violation flagrante des règles. La loi prévoit qu’il peut s’adresser à la cour. Ça peut se faire à distance. Et plus que jamais, la pratique des « télémandats » doit être à l’ordre du jour. Sur la foi d’une déclaration sous serment d’un policier ayant des motifs raisonnables de croire qu’une infraction est commise, la cour délivrera le mandat — c’est prévu dans la loi.

Sinon, à part pour les délinquants d’habitude, des policiers venant sonner à la porte de citoyens sont généralement un excellent refroidissant à la fête.

Et pour les autres, les policiers ne sont pas dépourvus de leur faculté d’enquêter. De dénombrer les gens qu’on peut apercevoir à la sortie d’une maison, les voitures, etc.

On n’a pas besoin de bazarder tout le droit à la vie privée pour permettre aux policiers de travailler. Ni pour la criminalité générale ni pour la crise sanitaire.

Même chose dans les bars. Ça s’inspecte facilement, un bar. Et ça se ferme assez vite, un bar délinquant.

La perspective très concrète d’un reconfinement général ou partiel, par ailleurs, va suffisamment générer de « vigilance » privée et de dénonciations tous azimuts de la majorité prudente.

Comme on sait depuis toujours, c’est la délinquance de quelques-uns qui fonde les règles pour emmerder la majorité.

Faire des décrets pour donner des pouvoirs exorbitants à la police ne servirait à rien, serait une fausse rassurance, serait même contreproductif. On fournirait des munitions juridiques à ceux qui s’opposent aux règles sanitaires les plus insignifiantes comme s’ils étaient des opprimés. Le voilà, l’État policier !

La loi ne permet pas ces intrusions. Les décrets non plus. Et si on s’aventurait à les permettre, ce serait presque assurément inconstitutionnel.

Ça ne veut surtout pas dire que la police est impuissante, j’insiste. Comptons plutôt sur des stratégies de vérifications policières intelligentes, des actions ciblées et bien encadrées.

La police a déjà de très bons moyens d’agir… et nul besoin d’incitatifs pour en faire trop.