La mise en place d’un programme de dépistage systématique de la COVID-19 chez tous les ouvriers agricoles étrangers arrivés sur le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean depuis la fin du mois de juin révèle un portrait étonnant de la prévalence du virus au sein de cette cohorte de travailleurs. Sur environ 125 personnes testées, 21 ont reçu un résultat positif dans les jours suivant leur arrivée, un taux largement supérieur à celui retrouvé au sein de la population générale. Autre fait surprenant : tous les cas sont asymptomatiques.

« Quand on regarde le taux de positivité, c’est quand même très élevé, surtout au Québec. Si l’on fait des tests sur 125 personnes [au sein de la population générale], on n’aura pas 21 résultats positifs », a expliqué le DDonald Aubin, directeur régional de la santé publique du Saguenay–Lac-Saint-Jean, en entrevue avec La Presse.

D’origine mexicaine ou guatémaltèque, les 21 travailleurs saisonniers étaient en quarantaine obligatoire lorsqu’ils ont été testés. Aucun d’entre eux n’avait encore commencé à travailler. Ils sont à l’emploi de sept entreprises agroalimentaires différentes, principalement des fermes. Huit d’entre eux travaillent cependant pour une usine de transformation de charcuteries. Toutes les entreprises sont situées dans le secteur du Lac-Saint-Jean.

Pas de transmission communautaire

Puisque les travailleurs n’ont pas subi de tests de dépistage avant de quitter pour le Québec, il est impossible de savoir à quel moment ils ont contracté la maladie.

« Le fragment viral peut rester au niveau du nez ou de la gorge pendant une période allant jusqu’à 90 jours. À ce moment-là, après la force du début, ça va être des particules qui ne sont plus contagieuses ou dangereuses comme tel, mais lorsqu’on teste les gens, ils vont être positifs, précise le DAubin. Donc, à travers les 21 cas, on a probablement des gens qui sont positifs, mais qui ont peut-être eu leurs infections avant le départ. La capacité de nos appareils fait en sorte qu’on les détecte ici. »

PHOTO SYLVAIN DUFOUR, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

Le DDonald Aubin

Est-il possible qu’ils aient contracté la maladie lors du voyage en avion, dans un vol nolisé de travailleurs ? « Si c’était le cas, il y en aurait un certain nombre qui aurait des symptômes. Là, il n’y a absolument rien : aucune hospitalisation, aucun aux soins intensifs, personne n’a eu besoin d’une consultation médicale », ajoute le DAubin.

Contagieux ou pas, les travailleurs doivent suivre un protocole strict d’isolement de 14 jours. Pour l’instant, les 21 cas n’ont engendré aucune contamination communautaire connue en sol québécois. « Beaucoup vivent dans des motels ou des hôtels. On peut penser que le niveau de proximité entre eux n’est pas celui d’un dortoir », mentionne le DAubin.

Nouvelle stratégie provinciale ?

La Direction régionale de la santé publique du Saguenay–Lac-Saint-Jean est l’une des premières à mettre en place le dépistage systématique de tous les travailleurs temporaires étrangers dès leur arrivée au Québec. Les autorités sanitaires se déplacent à l’endroit où les travailleurs sont hébergés durant leur quarantaine obligatoire pour effectuer les prélèvements. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) indique que des discussions sont présentement en cours pour étendre ce programme à l’ensemble de la province.

« Actuellement, des discussions ont lieu avec le gouvernement fédéral afin de pouvoir mettre en place un dépistage des voyageurs à leur rentrée au Canada, dont les travailleurs étrangers temporaires qui en font partie », a indiqué dans un courriel Robert Maranda, porte-parole du MSSS.

En Montérégie, les travailleurs étrangers temporaires sont désormais aussi testés le jour de leur arrivée et au jour 14, à la fin de leur quarantaine. Dans Lanaudière, les travailleurs subissent un test avant de commencer le travail, après les deux semaines de quarantaine.

Pour le moment, le dépistage des travailleurs étrangers temporaires est disponible pour ceux qui en font la demande, c’est-à-dire lorsque des symptômes sont ressentis par les travailleurs. Les [directions] régionales peuvent décider de faire un dépistage systématique si elles le juge nécessaire comme ce fût le cas pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean récemment.

Robert Maranda, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux

Depuis le début de la pandémie, près de 90 travailleurs temporaires étrangers ont officiellement reçu un résultat positif à la COVID-19. À titre de comparaison, en Ontario, plus de 600 travailleurs agricoles étrangers ont reçu un diagnostic positif. La province déplore trois décès.

Selon les plus récents chiffres du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, 9708 travailleurs étrangers se trouvent en sol québécois (3972 du Mexique, 5631 du Guatemala et 105 du Honduras). Normalement, les producteurs agricoles du Québec comptent annuellement sur l’aide de 16 000 travailleurs étrangers temporaires.

Cas de COVID-19 dépistés chez des travailleurs étrangers temporaires en date du 21 juillet

Saguenay–Lac-Saint-Jean : 21 cas

Capitale-Nationale : 2 cas

Estrie : 5 cas

Chaudière-Appalaches : 15 cas

Côte-Nord : Moins de 5 cas confirmés

Montérégie : 31 cas

Lanaudière : 10 cas

(Compilation La Presse. Sources : MSSS et DRSP Lanaudière et Montérégie)

L’UPA inquiète

« C’est très préoccupant, c’est une situation que l’on ne prend pas à la légère », a indiqué Mario Théberge, président de la fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles (UPA), le syndicat qui représente les agriculteurs de la région. Il craint surtout que les travailleurs qui sont encore attendus se contaminent lors de leur vol vers le Québec, puisque la distanciation physique est impossible à respecter dans les avions.

Il se veut toutefois rassurant par rapport aux mesures qui sont prises par ses membres afin de limiter la propagation au sein des entreprises agricoles, notamment en séparant les travailleurs nouvellement arrivés de ceux qui ont déjà terminé leur quarantaine. « Plus sévère que ça, je ne sais pas ce qu’il faut faire. »

« L’impression des gens qui font les enquêtes épidémiologiques, c’est que nos employeurs sont très sérieux, sont très conscients des risques et suivent vraiment les règles de façon impeccable », a ajouté le DAubin.

Fernando Borja, directeur général de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère, mieux connue sous l’acronyme FERME, ajoute pour sa part que les travailleurs voyagent à bord des aéronefs en portant des masques N95.

Les travailleurs ne subissent pas de test de dépistage de la COVID-19 avant de partir. En revanche, un médecin a été embauché au Guatemala pour vérifier les symptômes des travailleurs avant qu’ils montent à bord. Deux travailleurs ont ainsi été empêchés de voyager vers Montréal depuis le début de la crise.

Au Mexique, ce sont la Santé publique et les compagnies aériennes qui s’assurent que les travailleurs n’ont pas de symptômes avant de prendre l’avion.