Les essais cliniques viennent tout juste de commencer pour un éventuel vaccin contre la COVID-19, mais son fabricant québécois minimise déjà son impact potentiel.

Le docteur Bruce Clark, président et chef de la direction de la société biopharmaceutique Medicago, met en garde contre les attentes irréalistes voulant que son produit — ou l’un des nombreux vaccins actuellement mis au point dans le monde — puisse mettre rapidement fin à la pandémie.

« Quel que soit le vaccin que nous obtiendrons au cours de cette première ronde — à moins d’un miracle —, il ne sera pas parfait », a expliqué le docteur Clark, dont la société a lancé les essais cliniques sur des humains pour son vaccin lundi, à Québec. « Il va falloir qu’il y ait du développement, il faudra probablement des années pour arriver à une compréhension du bon vaccin, de la bonne approche. Ce n’est pas une panacée. »

« Croire que nous pouvons avoir, en 18 mois, la solution à une pandémie qui survient une fois par génération est naïf », a-t-il prévenu. Il reste encore beaucoup d’inconnu autour de la COVID-19, note M. Clark, y compris la façon dont elle peut se manifester pendant la saison de la grippe, plus tard cette année. Selon lui, un scénario plus probable est qu’un vaccin n’offrira qu’une partie de la solution, aux côtés de nouveaux traitements et des interventions de santé publique en cours.

Interrogé à ce sujet mardi, l’administrateur en chef adjoint de la santé publique du Canada, le docteur Howard Njoo, a lui aussi tenu à modérer les attentes. « Je pense qu’on est encore loin de voir un vaccin : tous les experts dans le monde, moi y compris, croient que ce ne sera pas avant 2021 », a-t-il dit. « Ce qui se passe ici au Canada et ailleurs dans le monde est encourageant parce qu’au moins, on a avancé à une autre étape, avec les essais cliniques, mais il faut attendre avant de voir si les vaccins sont efficaces […] et pour assurer leur sécurité. »

Essais cliniques à Québec

La première phase des essais cliniques de Medicago testera un produit à base de plantes sur 180 hommes et femmes en bonne santé, âgés de 18 à 55 ans. Contrairement aux méthodes traditionnelles, l’étude randomisée en simple aveugle utilise une technologie qui n’implique pas de produits animaux ou de virus vivants.

M. Clark note que les concepteurs de vaccins utilisent généralement des oeufs de poule, mais Medicago a plutôt opté pour une technologie recombinante impliquant la séquence génétique d’un virus, avec, comme hôte, des plantes vivantes. Les particules de type virus qui en résultent imitent la forme et les dimensions d’un virus, ce qui permet au corps de les reconnaître et de déclencher une réponse immunitaire.

M. Clark explique que l’approche à base de plantes est beaucoup plus rapide et offre des résultats plus cohérents que les méthodes à base d’œufs ou de cellules. Alors qu’il faut de cinq à six mois pour propager un virus dans les oeufs, la technique à base de plantes ne nécessite que cinq à six semaines, explique-t-il. « Dans une pandémie, comme celle de la COVID, si vous êtes en mesure de retrancher autant de temps de développement, vous avez un impact substantiel sur la santé publique. »

M. Clark précise que les virus sont sujets à des mutations lorsqu’ils s’adaptent et se développent dans un oeuf, ce qui pourrait entraîner un vaccin qui ne correspond pas exactement au virus en circulation. En revanche, « une plante est une plante, elle se comporte comme 100 000 autres plantes », ce qui rend la production facilement évolutive.

L’essai évaluera trois dosages différents, seuls ou avec l’un des deux adjuvants fournis par GlaxoSmithKline et Dynavax. L’adjuvant peut augmenter l’efficacité d’un vaccin pour une meilleure réponse immunitaire, réduisant ainsi la dose requise, note M. Clark. Il espère connaître l’efficacité des adjuvants et de la posologie d’ici octobre, puis lancer une deuxième phase d’essai plus ciblée impliquant environ 1000 participants.

Selon M. Clark, la troisième phase impliquerait de 15 000 à 20 000 sujets, et pourrait être menée à l’échelle mondiale, selon les circonstances de la pandémie.

Fabriqué… aux États-Unis

Si le vaccin réussit, une autre incertitude se présentera, souligne toutefois M. Clark. Parce que l’usine commerciale de l’entreprise se trouve de l’autre côté de la frontière à Durham, en Caroline du Nord, il n’y a aucune garantie d’un approvisionnement canadien. « "Garantie" est un mot fort, avance M. Clark. Des choses étranges arrivent aux frontières dans le contexte d’une pandémie. »

De telles complications frontalières ont été mises en évidence en avril lorsque le premier ministre Justin Trudeau s’est plaint de problèmes liés à des livraisons incomplètes ou inexistantes de fournitures essentielles pour lutter contre la COVID-19. À ce moment, le président américain Donald Trump avait ordonné aux producteurs américains de donner la priorité au marché intérieur.

Le docteur Clark laisse entendre que des obstacles similaires pourraient avoir un impact sur la distribution des vaccins, exerçant une pression immédiate sur Medicago pour terminer la construction de son usine à Québec même. « Nous avons certainement besoin d’une installation au Canada », croit-il.

L’usine de Québec devrait être en mesure de produire d’ici la fin de 2023 jusqu’à un milliard de doses de vaccin contre la COVID-19 par année. D’ici là, Medicago prévoit être en mesure de produire environ 100 millions de doses d’ici la fin de 2021, en supposant que ses essais soient concluants.

M. Clark estime que les pays doivent modérer leur sentiment nationaliste et reconnaître que la lutte contre la COVID-19 est mondiale. Pour répondre à la demande, il faudra plusieurs fabricants, plusieurs voies de distribution et beaucoup de coopération, note-t-il, peut-être par le biais de l’Organisation mondiale de la santé.