Les coronavirus responsables du rhume protègent bel et bien contre la COVID-19, selon plusieurs études. Il est encore trop tôt pour savoir quelle proportion de la population pourrait être ainsi protégée, et le niveau de cette protection, mais cette « immunité croisée » pourrait expliquer la faible proportion de la population qui a des anticorps contre la COVID-19.

« L’immunité croisée ne semble pas empêcher l’infection, mais elle semble diminuer la gravité de la COVID-19 », explique Alessandro Sette, biologiste californien qui a publié l’une des premières preuves de l’immunité croisée, en mai.

Dans la revue Cell, le DSette avait alors montré que la moitié d’un groupe d’échantillons sanguins prélevés en 2015, bien avant l’apparition de la COVID-19, avait une réponse immunitaire au SARS-CoV-2, le virus responsable de la présente pandémie. « On pense que cette immunité croisée est due aux coronavirus du rhume », explique le chercheur de l’Institut d’immunologie La Jolla, à San Diego.

Cette immunité croisée n’implique pas les anticorps, le principal soldat du système immunitaire, mais plutôt des « lymphocytes T auxiliaires », aussi appelés TCD4, une molécule du système immunitaire qui organise l’activité des anticorps. « Les TCD4 ont une petite activité antivirale, qui est probablement responsable de l’immunité croisée entre les coronavirus du rhume et le SARS-CoV-2 », explique le DSette.

Bébés-bulles

« On est dans la spéculation, mais une dizaine de groupes dans des pays différents ont tous eu des résultats qui pointent vers une immunité croisée avec les TCD4, dit le DSette. Par exemple, des Italiens ont montré que des bébés-bulles, qui sont incapables de produire des anticorps, réussissent à combattre la COVID-19. Et des Suédois ont montré que les patients ayant eu la COVID-19, mais peu ou pas de symptômes, ont par la suite peu ou pas d’anticorps contre le SARS-CoV-2, mais une forte réaction des TCD4. On avait aussi vu un phénomène similaire associé aux TCD4 avec la grippe porcine, H1N1 : les adultes d’un certain âge avaient moins de symptômes parce qu’une souche H1N1 avait circulé jusqu’en 1950, donc 60 ans avant la pandémie de H1N1. »

PHOTO FOURNIE PAR L’INSTITUT D’IMMUNOLOGIE LA JOLLA

Alessandro Sette, biologiste

Une étude française publiée cette semaine sur le site de prépublication scientifique MedRxiv, qui concluait que l’immunité croisée n’existe pas, ajoute paradoxalement de l’eau au moulin de l’hypothèse de l’immunité croisée TCD4. Les chercheurs français ont constaté que la proportion d’enfants ayant des anticorps contre les coronavirus du rhume était similaire dans un groupe ayant un test positif de COVID-19 et dans un groupe ayant un test négatif.

Vaccins

Quelle est l’implication de cette immunité croisée pour la santé publique ? « Je pense que ça pourrait surtout avoir un impact sur le développement d’un vaccin, dit le DSette. S’il y a dans un essai clinique beaucoup plus de gens protégés par les TCD4 générés par les coronavirus du rhume, on pourrait penser erronément qu’un vaccin fonctionne alors que ce n’est pas le cas. »

Le DSette pense en outre que cette immunité croisée pourrait faire en sorte qu’un patient asymptomatique guérisse de la COVID-19 sans développer d’anticorps.

Cela pourrait expliquer pourquoi les études sérologiques (sanguines), jusqu’à maintenant, montrent qu’une très faible proportion de la population a des anticorps contre le SARS-CoV-2 – par exemple 5,5 % à la mi-mai aux Pays-Bas.

Un patient ayant résisté à la COVID-19 sans symptômes et sans anticorps, grâce à l’immunité croisée des TCD4 générés par les coronavirus du rhume, ne serait par ailleurs pas nécessairement protégé contre une deuxième infection au SARS-CoV-2, selon le DSette. Un patient ayant des anticorps contre le SARS-CoV-2, après avoir guéri de la COVID-19, devrait normalement être immunisé pendant au moins quelques mois. Dans le cas du SARS-CoV-1, responsable de l’épidémie de SRAS en 2003, l’immunité durait plus d’un an, selon des études.

Comment sera-t-il possible de confirmer qu’une immunité croisée basée sur les TCD4 existe bel et bien ?

« La seule manière serait une étude prospective où on évalue la présence de TCD4 réagissant aux coronavirus du rhume chez des patients n’ayant jamais été infectés par le SARS-CoV-2, dit le DSette. Ensuite, on les suivrait et on verrait leur risque d’être infectés par le SARS-CoV-2 et la gravité de leur maladie. » Mais une telle étude serait compliquée à cause de multiples facteurs confondants. Il serait par exemple difficile de certifier qu’une personne n’ayant pas d’anticorps contre le SARS-CoV-2 n’a pas été infectée mais protégée par les TCD4 générés par les coronavirus du rhume. Il est aussi possible qu’un participant soit infecté par un coronavirus du rhume en cours de route puis protégé contre une COVID-19 grave.

En chiffres

200 : nombre de virus responsables des rhumes

26 % : pourcentage des rhumes qui sont causés par quatre coronavirus

De 4 à 6 : nombre de rhumes dont souffre chaque année un adulte

Sources : British Medical Journal, CFP