Les bars et les restaurants devraient-ils prendre le numéro de téléphone de leurs clients afin que ceux-ci puissent être retracés rapidement en cas d’éclosion ? L’idée circule au Québec, alors que les autorités de santé publique cherchent encore, une semaine après les faits, à retrouver certains clients du bar Mile Public House de Brossard qui auraient pu y contracter la COVID-19 le 30 juin.

De tels registres sont largement utilisés en Colombie-Britannique, par exemple. « Ça permettrait de sauver beaucoup de temps. Personnellement, si quelqu’un avait eu un test positif dans un endroit que j’aurais fréquenté, ça me sécuriserait d’avoir l’information rapidement et de savoir que je dois passer un test », dit Marie-Pascale Pomey, professeure au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Son collègue Benoît Mâsse, aussi professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, s’inquiète de voir la Direction de santé publique de la Montérégie publier des messages sur les réseaux sociaux pour inciter les clients ayant fréquenté le Mile Public House le 30 juin à effectuer un test de dépistage.

« Faire des appels au public, c’est très passif comme méthode de traçage, dit-il. On doit être beaucoup plus proactif pour bloquer les transmissions secondaires que peut générer un incident comme celui survenu à ce bar du DIX30. Pour avoir du succès et retracer toutes les infections, le traçage doit être très rapide, c’est une course contre la montre. Ici, on parle d’un évènement qui a débuté le 30 juin et, une semaine après, on cherche encore des personnes et des contacts. C’est lent. »

Une liste de numéros de téléphone, selon lui, permettrait de joindre les gens plus rapidement. Le professeur Mâsse rappelle que de tels rassemblements peuvent devenir des évènements de « super propagation » et infecter, par effet domino, un grand nombre de personnes. Au Michigan, un rassemblement dans un pub de la ville d’East Lansing a conduit à la contamination de près de 140 personnes de 12 comtés, selon un article publié dans Voice of America. Aux États-Unis, les bars sont montrés du doigt dans plusieurs États pour expliquer la relance de l’épidémie et sont fermés à nouveau par les autorités à certains endroits.

Les propriétaires de bars ouverts à l’idée

En Colombie-Britannique, les restaurants et les bars doivent noter le nom et le numéro de téléphone ou le courriel d’une personne par groupe de clients et conserver ces coordonnées pendant 30 jours. La dernière version du règlement précise toutefois que l’obligation ne s’applique qu’aux établissements qui avaient déjà l’habitude de récolter ces informations pour gérer leurs réservations.

« Ce n’est pas une mauvaise idée du tout », commente Nimâ Machouf, épidémiologiste rattachée à l’Université de Montréal et à la Clinique médicale urbaine du Quartier Latin.

Renaud Poulin, PDG de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec, se montre ouvert à l’idée. Informé par La Presse que cette pratique avait cours en Colombie-Britannique, M. Poulin a immédiatement appelé là-bas pour se renseigner. Il a aussi consulté sept propriétaires de bars québécois qui n’ont pas manifesté de réticences. M. Poulin a même l’intention de proposer le registre comme « piste de solution » dans une lettre destinée au ministre de la Santé, Christian Dubé.

Il y a peut-être des difficultés à implanter ça à court terme, mais ça nous semble assez facile à long terme. Nous, on veut juste rester ouverts et on est prêts à regarder toutes les avenues possibles.

Renaud Poulin, PDG de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec

La réaction est nettement plus froide du côté des restaurateurs. « C’est une couche supplémentaire de contrôle. Pourquoi on demanderait ça aux restaurants et pas aux épiceries, aux pharmacies et aux cinémas, qui sont aussi des lieux fermés ? » demande François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec.

Parmi les autres mesures qui permettraient de réduire les risques de contamination dans les bars et les restaurants, l’épidémiologiste Nimâ Machouf propose de favoriser les terrasses, où les risques de propagation du virus sont beaucoup plus faibles qu’à l’intérieur. Elle propose aussi de « supprimer » la musique (ou alors d’en diminuer le volume ? ) pour éviter que les gens aient à s’approcher très près les uns des autres pour se parler. La musique fait aussi en sorte que les gens haussent la voix, projetant ainsi plus de particules susceptibles d’infecter les autres.

Marie-Pascale Pomey, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, estime qu’on n’a pas à punir tout le monde pour quelques établissements récalcitrants. « Un rappel des règles doit être fait par les propriétaires, mais il me semble que ça pourrait être fait de façon décontractée, avec un brin d’humour, dit-elle. Je pense qu’il y a moyen d’amener ça de façon non coercitive. »