Avec ses transports collectifs, ses édifices à appartements et ses nombreux lieux de rassemblement (bars, restos, salles de spectacles), on pourrait croire que les villes et les quartiers les plus denses sont les plus touchés par la COVID-19. Or, cette relation est loin d’être systématique. Et un chercheur prévient qu’il ne faudrait pas jeter tous les avantages de la densification avec la pandémie.

Équation complexe

Il est facile d’imaginer que les villes les plus densément peuplées sont les plus vulnérables à une épidémie comme celle de la COVID-19. « On fait beaucoup la relation “densité urbaine égale contagion, densité urbaine égale pratiquement danger.” On voulait regarder si les données soutenaient ça », explique Philippe Rivet, conseiller en recherche, politiques et interventions de développement, à la Communauté métropolitaine de Montréal.

Résultat : la réalité est beaucoup plus complexe. New York, ville la plus dense du continent nord-américain, a été frappée de plein fouet par la COVID-19. Mais San Francisco et Vancouver, qui suivent New York pour la densité résidentielle, ont des taux d’infection beaucoup plus faibles que la moyenne. En fait, parmi les 15 régions américaines les plus touchées par la COVID-19, on ne trouve que trois grandes villes (New York, Boston et Detroit). Ailleurs dans le monde, des mégapoles asiatiques très denses, comme Hong Kong, Taipei, Séoul et Singapour, ont aussi été relativement épargnées par l’épidémie. « On se rend compte que la densité semble être un facteur, mais parmi une foule d’autres », assure M. Rivet.

L’exemple du Plateau Mont-Royal

La note publiée par l’Observatoire Grand Montréal, plateforme de la Communauté métropolitaine de Montréal, montre aussi qu’à l’intérieur même des villes, ce ne sont pas toujours les quartiers les plus denses qui sont touchés par l’épidémie. À Montréal, par exemple, le quartier le plus dense, et de loin, est celui du Plateau Mont-Royal. Or, il affiche un taux d’infection parmi les plus faibles de l’île. À l’inverse, des banlieues moins denses, comme Laval, Terrebonne, Saint-Lambert ou Repentigny, ont des taux de contagion importants. « Encore une fois, ça montre bien que plein d’autres facteurs que la densité résidentielle expliquent la contagion », souligne M. Rivet.

Densité et entassement

Selon Philippe Rivet, la grande confusion est qu’on associe souvent densité et promiscuité. « Il faut démystifier l’idée que densification résidentielle égale nécessairement entassement et surpeuplement des logements. Ce qu’on constate, c’est que certains quartiers aux États-Unis sont très peu denses, mais sont défavorisés et comportent une forte proportion de logements surpeuplés. » Les analyses semblent montrer que le profil socioéconomique des quartiers est un meilleur prédicteur du taux de contagion que leur densité. L’Observatoire Grand Montréal parle de « densité intelligente » pour parler du fait qu’on peut construire des villes denses, mais qui favorisent la mixité sociale, le verdissement, le transport actif… et la résilience aux épidémies.

Avantages et inconvénients

L’Observatoire Grand Montréal convient que certaines infrastructures urbaines peuvent favoriser la propagation des épidémies. C’est le cas par exemple des transports collectifs, des grands complexes d’appartements dotés de zones communes ou encore des lieux de rassemblement comme les bars et les salles de spectacles. Les logements urbains sont aussi généralement plus petits, ce qui fait que les gens fréquentent davantage les lieux publics comme les parcs et les piscines. Et les trottoirs et les pistes cyclables peuvent être fortement achalandés. L’Observatoire pointe toutefois des avantages à la ville en contexte d’épidémie : le transport actif est possible, la densité de commerces permet de limiter les déplacements, et il est plus facile de se faire livrer ce dont on a besoin. Autre facteur important : on y trouve une plus grande concentration de ressources de santé. « À l’extérieur des zones denses, les hôpitaux sont souvent moins équipés, notamment pour les soins intensifs. Il suffit qu’une région peu dense soit fortement touchée pour qu’on voie des problèmes », explique Philippe Rivet.

Pression sur l’étalement urbain ?

Le télétravail est en plein essor. Bien des gens confinés ont rêvé de pouvoir profiter de leur propre cour, voire de leur propre piscine. La banlieue et l’étalement urbain seront-ils les grands gagnants de l’épidémie de COVID-19 ? « C’est quelque chose à prendre en considération, mais je pense qu’il est très tôt pour dire ça et pour commencer à changer les grandes orientations d’aménagement, répond Philippe Rivet. On a le nez en plein dedans, on sort à peine de la première vague. Les villes-centres se sont toujours relevées de ce genre de défis. » Celui qui admet défendre un mandat de densification incite à se rappeler des bienfaits de celle-ci : la protection des milieux agricoles et naturels et le développement des transports collectifs et actifs non polluants. « Si tout le monde s’en va en banlieue, il va manquer d’espace, il va falloir faire du dézonage agricole et détruire les milieux naturels », rappelle-t-il.