Même si le directeur national de santé publique du Québec s’inquiète du « relâchement » de la population et de l’arrivée éventuelle d’une deuxième vague de COVID-19, il estime que la situation est suffisamment stable actuellement pour cesser la publication quotidienne des données sur la maladie. Une décision sévèrement critiquée par des experts.

En conférence de presse jeudi après-midi à Montréal, le DArruda s’est dit « excessivement préoccupé par le fait qu’on sent un relâchement avec le déconfinement ». « Pour moi, c’est excessivement important, si on veut éviter soit que cette vague-ci recommence ou qu’on fasse face à une deuxième vague, que tous les Québécois respectent la distanciation de deux mètres […] », a dit le DArruda, qui « demeure convaincu qu’il y aura malheureusement une deuxième vague ».

Pour la première fois, le DArruda n’a pas écarté d’imposer le port du masque dans les transports en commun : « Je ne veux pas faire d’annonce aujourd’hui par rapport à ça. Mais disons que, dans nos intentions, c’est quelque chose qu’on regarde beaucoup de très, très près. »

La réouverture de la frontière suscite l’inquiétude

Le directeur national de santé publique a aussi manifesté son inquiétude face à la réouverture de la frontière canadienne, prévue pour le 21 juillet. « Je suis très préoccupé », a dit le DArruda, qui s’inquiète notamment du fait que certains Québécois qui n’ont pas pu se rendre en Floride au cours de l’hiver voudront y aller cet été. « Je pense que vous êtes mieux de profiter du soleil du Québec que d’aller vous exposer à celui de la Floride », a dit le DArruda. Ce dernier promet d’ailleurs d’avoir « des discussions avec [ses] homologues du fédéral et des autres provinces » sur la réouverture de la frontière.

Fin des données quotidiennes

Malgré ses inquiétudes, le DArruda souligne que le nombre de nouveaux cas de COVID-19 au Québec diminue. Devant l’évolution favorable de la pandémie dans la province, il a annoncé que le bilan des données sur la COVID-19 ne serait dorénavant diffusé qu’une fois par semaine, le jeudi.

Une décision qui permettra d’avoir des données « plus stables ». « Ce n’est pas du tout une question de cacher quoi que ce soit », a assuré le DArruda, qui signale que « ce n’est pas parce qu’on ne les publie pas [les données] qu’on ne les regarde pas ».

C’est fréquent en épidémiologie de publier à des rythmes d’une semaine parce que c’est plus stable comme données. Particulièrement quand ça devient rare.

Le DHoracio Arruda, directeur national de santé publique du Québec

Le DArruda assure que dans l’éventualité d’une éclosion dans un milieu, les données seront rapidement accessibles. Il explique que le nombre de nouveaux cas est en baisse constante, et qu’en voyant cette amélioration, certains citoyens pourraient être tentés de baisser la garde, ce qu’il souhaite éviter.

Des experts se montrent critiques

Cette décision a suscité de vives critiques de la part de certains observateurs.

« Ce n’est pas la bonne chose à faire », dit Daniel Béland, professeur au département de sciences politiques de l’Université McGill, qui parle d’un « manque de transparence de la part du gouvernement ». Il se demande d’ailleurs si Québec n’a pas « essayé de passer ça sous le tapis » en annonçant le changement en pleine Saint-Jean-Baptiste.

Le professeur Béland redoute que la fin du bilan quotidien envoie un mauvais message à la population. « Il y a peut-être des gens qui vont penser qu’on essaie de cacher des choses, dit-il. Je pense que ça peut avoir des conséquences sur la confiance envers l’État que les gens peuvent avoir. »

Il juge aussi étonnant de voir le gouvernement relâcher ses propres pratiques alors qu’il demande aux citoyens de maintenir les leurs.

« Sans des relevés publics chaque jour, on risque d’entendre moins parler de la COVID-19, et ça pourrait encourager les gens à se laisser aller, à penser que ce n’est plus un problème », dit-il.

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, parle aussi d’une annonce « difficile à comprendre ».

Ces chiffres influencent tout le Québec dans toutes les sphères – économique, sociale, ça touche les enfants, la politique… On a le NASDAQ en temps réel, et ça touche beaucoup moins de monde. Ces chiffres sont le cœur de tous nos problèmes et de toutes nos décisions, et on veut les voir.

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Il rejette l’argument selon lequel un ralentissement de l’épidémie réduit le besoin en information. « C’est peut-être stable maintenant, mais il y a de fortes chances que l’épidémie reprenne, et c’est justement ce que tout le monde veut surveiller », dit-il.

Notons que l’Ontario continue de publier un bilan quotidien. La Colombie-Britannique publie aussi ses chiffres du lundi au vendredi, même si l’épidémie y est beaucoup mieux maîtrisée qu’au Québec depuis des mois.

Le professeur Mâsse comprend aussi mal l’argument voulant que le fait de publier moins souvent aide à minimiser les corrections sur les données.

« Oui, il y a des corrections, mais ça donne des tendances quand même. Et si tu as un problème dans la collecte de données et dans l’information, la solution n’est pas de publier moins souvent. C’est de régler le problème à la source ! », lance-t-il.

« Si on publie le jeudi, les chiffres de la veille sont autant sujets à être révisés… Je ne vois pas vraiment comment ça va aider », ajoute-t-il.