Marguerite Blais a beaucoup pensé à son défunt mari depuis le début de la pandémie. Elle a pensé que, s’il avait été encore de ce monde, il aurait pu faire partie de ces gens malades ou âgés qu’on a isolés pendant trois mois, de ces dizaines de milliers de Québécois parmi les plus vulnérables qu’on a brutalement coupés de leurs proches, du monde extérieur, de la vie.

« J’ai pensé à cela tous les jours, toutes les heures. Tout le temps », m’a confié la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, jeudi, en interview téléphonique.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

« Je crois que pendant la pandémie, il y a eu un éveil collectif. Il faut s’occuper davantage de nos personnes les plus vulnérables », confie Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants.

Cette semaine, la Santé publique a enfin donné le feu vert au déconfinement des CHSLD, des ressources intermédiaires et des résidences privées pour aînés. Il était plus que temps.

On ne laissera plus les résidants baigner dans une détresse innommable. On n’assistera plus à la lente détérioration de leurs facultés, de leur autonomie, de leur dignité. On ne les laissera plus mourir — pas de la COVID-19, mais d’ennui.

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Comme tant d’autres, Mme Blais attendait ce feu vert avec impatience. « C’est comme une petite victoire. […] Il y aura des visites, les gens pourront sortir. C’est formidable, parce qu’il y a eu beaucoup de détresse psychologique. »

Depuis le début du Grand Confinement, la ministre a reçu des milliers de courriels de proches désespérés, incapables d’avoir accès à leurs vieux parents malades. Ça l’a ébranlée.

Croit-elle que la Santé publique est allée trop loin ? Les directives rigides ont-elles mené à des situations encore pires que celles qu’elles devaient prévenir ?

Prudente, la politicienne ne s’aventure pas sur cette pente glissante. Mais elle concède que « quand les proches aidants ne pouvaient pas entrer [dans les CHSLD et les résidences], cela [lui] faisait mal ».

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Le problème, c’est qu’il n’existe aucune donnée sur les résidants morts de solitude. Aucun bilan des décès par négligence dans les CHSLD expurgés de leurs proches aidants. Aucune courbe sinistre à présenter, encore moins à aplatir, en point de presse quotidien.

Et puis, toute ministre qu’elle soit, Marguerite Blais n’avait pas le pouvoir de déconfiner les CHSLD. Mais elle a plaidé la cause des résidants auprès d’Horacio Arruda. Un matin d’avril, « on a mis dans la balance les pour et les contre. On a conclu qu’il y avait beaucoup plus d’inconvénients au fait d’interdire les visites des proches aidants. Cela a joué. C’est cette journée-là que le DArruda a dit : “Malgré les résistances, les proches aidants doivent entrer dans les CHSLD” ».

Des résistances, il y en avait. Beaucoup. Depuis le début de la pandémie, le gouvernement doit manœuvrer entre deux courants contraires.

D’un côté, ceux qui s’inquiètent de l’impact dévastateur du confinement sur les résidants. De l’autre, ceux qui craignent de faire entrer le virus dans les établissements. Ça aussi, c’est dévastateur. On ne le sait malheureusement que trop bien.

Face aux proches désespérés, Marguerite Blais s’est sentie comme un parent qui refuse quelque chose à son enfant pour le protéger. « Je me suis sentie déchirée parce que je voulais faire plaisir à mon enfant et, en même temps, ce n’était pas nécessairement une bonne chose à faire. »

Au moins, lorsque frappera la deuxième vague, les proches aidants n’auront pas à déserter les CHSLD à nouveau, croit la ministre. Ils auront été formés. Ils sauront comment naviguer dans un établissement infecté. « On serait capables, maintenant, de continuer à travailler avec les proches aidants. Nourrir une personne, la coiffer, communiquer avec elle par les yeux ou le toucher, être une présence pour elle, ça fait toute une différence dans sa vie. »

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Je ne suis pas de ceux qui réclament à hauts cris la démission de Marguerite Blais. J’ai tendance à croire qu’elle sert de paratonnerre au gouvernement Legault, un paratonnerre qui absorbe l’écœurement général des Québécois devant la pandémie de COVID-19.

Elle paye évidemment pour l’hécatombe dans les CHSLD.

Et sans doute aussi, beaucoup, pour sa tendance initiale à vouloir s’en laver les mains, ce qui a irrité bon nombre de Québécois.

Elle a compris le message. Et changé de ton. « Je suis la ministre responsable des Aînés et j’ai la responsabilité des CHSLD pour la première fois. Je veux prendre cette part de responsabilité, je tiens à l’assumer et jamais je ne mettrai les torts sur les épaules de quelqu’un d’autre. »

Celle qui a contribué à la victoire électorale de la CAQ a vu sa popularité s’étioler à une vitesse folle. Les critiques ont été dures. Féroces, même. On l’a dite larmoyante, absente, impuissante.

Marguerite Blais a encaissé les coups sans flancher.

« J’aurais pu m’effondrer et dire : “Je ne suis pas capable de faire ça”, mais, au contraire, j’ai découvert en moi une résilience et une force insoupçonnées. […] J’ai le goût de me battre encore plus fort. Je me sens plus solide. »

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Ancienne présentatrice télé, ex-ministre libérale dans le gouvernement Charest, Marguerite Blais n’a plus rien à prouver. « Ma carrière est derrière moi. Je vais avoir 70 ans en septembre… »

Elle est revenue en politique après avoir soutenu son mari atteint d’un cancer au cerveau. Elle avait un objectif : faire adopter une politique nationale sur les proches aidants. François Legault était d’accord. Elle a sauté dans l’arène.

La semaine dernière, elle a déposé le projet de loi 56 sur les proches aidants.

On peut sûrement lui reprocher des choses, mais pas de manquer de suite dans les idées. Elle l’aura, sa politique nationale. « On va arrêter d’instrumentaliser le proche aidant, se réjouit-elle. Ce n’est pas vrai qu’il doit se substituer au réseau de la santé et des services sociaux ! »

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Bien avant la pandémie, Marguerite Blais s’inquiétait du sort des aînés. Rendre plus douces leurs dernières années de vie sur Terre, c’est ce qui l’a poussée en politique. C’est ce qui la motive. Peut-on en dire autant de ceux qui la critiquent si durement aujourd’hui ?

Ironiquement, la crise qui a fait pâlir son étoile pourrait l’aider dans son combat.

« Je crois que pendant la pandémie, il y a eu un éveil collectif. Il faut s’occuper davantage de nos personnes les plus vulnérables. Le gouvernement était sensibilisé, mais je pense qu’il l’est encore plus et que jamais, dans le futur, un gouvernement ne pourra faire fi des personnes les plus vulnérables de la société. Je ne peux pas croire qu’un gouvernement reculerait maintenant. »

Note aux lecteurs: une version antérieure de cette chronique mentionnait par erreur que Marguerite Blais avait été ministre dans le gouvernement Couillard. Elle était plutôt ministre dans le gouvernement Charest. Nos excuses.