(Québec) Le gouvernement Legault se lance dans un sprint d’entrevues pour sélectionner parmi les quelque 70 000 candidats ses 10 000 futurs préposés en CHSLD. Mais l’opération séduction a l’effet d’une « véritable catastrophe » dans les autres établissements de soins pour aînés, où les démissions d’employés désireux de se joindre au réseau public se multiplient.

La période d’inscription pour espérer être invité à faire les trois mois du programme accéléré de formation (des études qui seront payées 21 $ l’heure) prendra fin vendredi. Il restera ensuite à Québec 10 jours pour convoquer en entrevue ceux qui répondent aux critères d’admission (avoir 18 ans, être citoyen canadien, avoir au moins réussi la troisième secondaire, être en bonne condition physique et ne pas avoir d’antécédents judiciaires). Ce délai est-il réaliste ?

« Ce qui est réaliste, c’est qu’on en ait trouvé 10 000 bons candidats. Je suis convaincu qu’on aura, le 15 juin, 10 000 élèves dans nos centres, qui sont motivés et qui satisferont les critères de base », a affirmé mercredi le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

On parle d’une entrevue pour vérifier les habiletés relationnelles, mais aussi pour avoir quelqu’un qui est prêt à être en formation à temps plein pendant trois mois, tout l’été, et qui est prêt à accepter un emploi à temps plein, que ce soit la fin de semaine ou les soirs.

Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation 

« Ça va faire partie des questions », a ajouté M. Roberge.

Québec envisage aussi d’imposer à ses recrues « un engagement plus formel » pour s’assurer qu’elles soient à pied d’œuvre, à temps plein, après avoir payé leurs études tout l’été. On pourrait aussi recruter un peu plus de 10 000 candidats pour pallier l’abandon de certains, si les locaux et les enseignants sont en nombre suffisant.

Au moins 10 % des candidatures reçues à ce jour étaient des doublons, a précisé M. Roberge.

À l’aube d’une nouvelle crise ?

Mais ces efforts pour recruter de nouveaux préposés dans les CHSLD, qui ont été durement frappés par la pandémie de COVID-19, créent des dommages collatéraux, déplorent à l’unisson les résidences pour personnes âgées (RPA), les ressources intermédiaires (RI), les CHSLD privés et les maisons de soins palliatifs.

Le président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins, y voit « une véritable catastrophe ». Il affirme que l’effet de l’annonce du gouvernement est « épouvantable ».

Dans son réseau, dit-il, les gestionnaires de résidences accumulent déjà les démissions. D’autres employés préviennent qu’ils attendent de recevoir l’invitation de Québec avant de partir. Tous souhaitent avoir ce nouvel emploi, mieux rémunéré, avec fonds de pension.

Le fait qu’il est impossible de concurrencer de tels salaires et conditions dans le secteur des RPA causera, à court ou moyen terme, des ruptures de service dans ces milieux de vie qui hébergent actuellement plus de 130 000 aînés à l’échelle provinciale.

Yves Desjardins, président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés

Un préposé dans une RI est payé à ce jour 14 $ l’heure. Même avec la prime temporaire COVID-19 de 4 $ l’heure offerte par Québec, le salaire pour suivre la formation (21 $ l’heure) est plus attrayant, et encore plus le salaire ensuite (26 $ l’heure).

« On craint la désertion de nos employés. Les gens s’activent sans le dire à leur employeur et sont prêts à répondre à l’appel du premier ministre », estime Johanne Pratte, directrice générale de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec.

L’Association craint qu’entre 30 et 35 % de ses préposés ne soient prêts à partir travailler en CHSLD. Avant la pandémie, souligne Mme Pratte, il manquait déjà 2000 préposés aux bénéficiaires dans les RI du Québec. Depuis la crise, le réseau a perdu 1000 préposés supplémentaires.

D’autres employés, comme des aides de service, pourraient vouloir suivre la formation et partir vers le public.

L’Alliance des maisons de soins palliatifs ressent également les impacts. « Notre concurrence à nous, c’est le réseau », rappelle la présidente, Marie-Julie Tschiember. Selon elle, ce n’est plus « un fossé » salarial que l’on creuse, mais « un canyon ».

« On demande à nos employés d’être patients », ajoute-t-elle, se disant persuadée que le gouvernement va « réajuster » la situation.

De l’aide au secteur privé

Les partis d’opposition pressent le gouvernement Legault de soutenir le secteur privé et les RI afin qu’ils ne voient pas leurs employés déserter.

« Les mesures que le gouvernement propose […] sont intéressantes, mais c’est en train de vider les autres ressources. […] Il faut une vision plus large. C’est comme s’il y a un tuyau, ça coule, on met la main pour arrêter et ça pète ailleurs », déplore le député péquiste Harold LeBel.

La ministre de la Santé, Danielle McCann, assure que Québec vise « l’équité » entre les préposés qui travaillent en CHSLD et dans les autres réseaux.

« Le président du Conseil du trésor travaille à réaliser un équilibre, à revoir la rémunération dans le secteur privé. Peut-être que ça va faire en sorte que les gens vont rester, et évidemment, c’est ce qu’on souhaite », dit-elle.