(Québec) Les ressources intermédiaires (RI), qui sont entièrement financées par Québec, sonnent l’alarme : l’effort de recrutement pour attirer des milliers de préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD mène déjà à des départs dans le réseau, alors que d’autres se préparent à le faire.

Québec a ouvert mardi une campagne de recrutement, qui s’échelonnera jusqu’à vendredi, afin d'embaucher 10 000 préposés aux bénéficiaires dans les CHSLD du Québec, où la pandémie de COVID-19 a durement frappé. Mercredi, 61 000 personnes avaient déjà signalé leur intérêt pour suivre la formation accélérée, pour laquelle chaque personne sera payée 21 $ l’heure. Une fois à l’emploi d’un CHSLD, un préposé touchera à un salaire de 26 $ l’heure, a indiqué le gouvernement Legault.

Or, un préposé dans une RI est payé 14 $ l’heure, à quoi il faut ajouter une prime COVID offerte par Québec de 4 $ l’heure supplémentaire. Mais même avec cette bonification, le salaire offert pour suivre la formation de Québec est encore plus attrayant, signale Johanne Pratte, directrice générale de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec (ARIHQ).

« On craint la désertion de nos employés. Les gens s’activent sans le dire à leur employeur et sont prêts à répondre à l’appel du premier ministre », dit-elle. L’Association estime qu’entre 30 et 35 % des préposés aux bénéficiaires des RI sont prêts à partir travailler en CHSLD.

Avant la pandémie, souligne Mme Pratte, il manquait déjà 2000 préposés aux bénéficiaires dans les RI du Québec. Depuis la crise de la COVID-19, le réseau a perdu 1000 préposés supplémentaires.

« Pour régler une crise, on est en train d’en créer une autre. Je ne vois pas l’avantage. […] En plus, on risque d’être frappé d’une deuxième vague [de transmission du coronavirus] à l’automne. On va rentrer dans cette deuxième vague en sous-effectif », affirme-t-elle.

De l’aide au secteur privé

À Québec, les partis d’opposition ont pressé mercredi le gouvernement Legault à soutenir le secteur privé et les ressources intermédiaires afin qu’ils ne voient pas leurs préposés quitter massivement leurs établissements.

« Les mesures que le gouvernement propose pour amener des préposés aux bénéficiaires dans nos CHSLD sont intéressantes, mais c’est en train de vider les autres ressources. […] Il faut une vision plus large. C’est comme s’il y a un tuyau, ça coule, on met la main pour arrêter et ça pète ailleurs », déplore le député péquiste Harold Lebel.

« Les préposés aux bénéficiaires qui s’occupent des aînés en CHSLD, dans les RI ou en maintien à domicile, c’est le même travail. Ils ont besoin des mêmes salaires, des mêmes conditions. [Que Québec] décrète un salaire et qu’il finance les organismes », ajoute-t-il.

La ministre de la Santé, Danielle McCann, affirme pour sa part que Québec vise « l’équité » entre les préposés qui travaillent en CHSLD et dans les autres réseaux.

« Le président du Conseil du trésor travaille à réaliser un équilibre, à revoir la rémunération dans le secteur privé. Peut-être que ça va faire en sorte que les gens vont rester, et évidemment c’est ce qu’on souhaite », dit-elle.

Le député solidaire Sol Zanetti souligne à son tour que le succès du recrutement rapide de préposés en CHSLD démontre que lorsqu’il « y a de bonnes conditions de travail, il n’y a pas de pénurie de main-d’œuvre ».

« Le problème c’est qu’on n’améliore pas les conditions de travail partout. C’est très inégal. Le résultat auquel on peut s’attendre, c’est que des secteurs vont tomber en pénurie », affirme-t-il, demandant à Québec d’offrir des conditions de travail similaires aux préposés qui ne travaillent pas en CHSLD.

Difficultés en maintien à domicile

Alors que Québec affirme qu’il faut rehausser les services de soin à domicile dans les années à venir, les entreprises d’économie sociale et les organismes qui œuvrent déjà dans le secteur perdent aussi des préposés, qui préfèrent travailler dans le réseau public, où les salaires sont plus élevés.

François Allard est agent de défense des droits en santé et services sociaux pour Ex-Aequo, un organisme de défense et promotion des droits des personnes ayant une déficience motrice. Selon lui, la campagne de recrutement du gouvernement dans les CHSLD est une mesure qui s’ajoute à l’écart qui se creuse entre les employés du secteur public et du secteur privé.

« Les plus récentes mesures [du gouvernement] n’ont pas aidé le soutien à domicile. Nous ne sommes pas là pour critiquer le fait que les préposés du secteur public obtiennent des mesures d’aide, c’est largement mérité, mais le gouvernement doit prévoir rapidement de l’aide du même ordre pour le secteur privé. Les emplois de préposés sont des vases communicants [entre le public et le privé] », rappelle-t-il.