(Montréal) Les tirs groupés de milliers d’internautes n’ont mis que quelques jours à mettre du plomb dans l’aile d’une étude qui prétendait que l’hydroxychloroquine et la chloroquine étaient non seulement inutiles, mais même potentiellement dangereuses dans le traitement du coronavirus.

Cette étude, qui affirmait notamment que les patients qui avaient reçu ces deux molécules présentaient un risque de décès plus élevé que les autres, avait pourtant été signée par un chercheur de Harvard et publiée par The Lancet, qui compte parmi les journaux médicaux les plus prestigieux de la planète.

Qu’à cela ne tienne. Des interrogations graves ont été soulevées en ligne dès la publication de l’étude. Et exactement une semaine plus tard, quelque 140 chercheurs provenant de partout dans le monde ont publié une lettre ouverte qui remettait sérieusement en question l’intégrité des données utilisées et, conséquemment, les conclusions qu’on pouvait en tirer.

Le mot-clic #LancetGate a même commencé à circuler sur Twitter pour rassembler tous ceux qui avaient quelque chose à dire à ce sujet.

La rapidité et la virulence de la réaction illustrent bien ce dont est capable le pouvoir collectif des internautes, pour le meilleur comme pour le pire.

« Dès le départ, [des experts] ont trouvé que c’était un peu étrange et ils se sont posé des questions sur les données, a commenté Nadia Seraiocco, une doctorante de l’UQAM. Les gens en sciences sont beaucoup sur Twitter. […] Ils ont l’habitude de lire des études, et quand ils voient une étude qui parle de 670 hôpitaux à travers le monde et des profils démographiques presque similaires […], ça n’avait pas de sens. Ça devient vraiment un outil de vérification. »

Mutisme complet

Face à un tel barrage de critiques, les auteurs de l’étude et la firme qui prétend leur avoir fourni des données, Surgisphere, se sont emmurés dans un mutisme presque complet. The Lancet n’a, pour le moment, publié qu’une correction mineure à l’étude.

Les internautes n’allaient toutefois pas en rester là. Plusieurs experts ont ainsi tenté de démontrer que les chiffres de l’étude n’avaient pas de sens, certains allant même jusqu’à évoquer une « fabrication ». Un type a aussi dévoilé sur Twitter un document qui prouverait que Surgisphere, qui est aujourd’hui basée à Chicago, a fait faillite en Caroline du Nord en 2015.

Mais des dérapages se sont aussi produits, comme ces internautes qui ont prétendu que la directrice des ventes et du marketing de Surgisphere était en réalité une actrice de films pour adultes.

« C’est une jolie petite jeune fille, mais elle n’a vraiment pas l’air d’une porn star, a dit Mme Seraiocco. À part qu’elle est blonde avec les yeux bruns, elle n’a rien en commun avec les photos […] mises en ligne. »

C’est ce qui arrive, ajoute-t-elle, quand des gens qui n’ont pas l’éducation média nécessaire présentent comme étant des faits les choses qui leur font plaisir.

« Ils vont se mettre à faire des enquêtes bidon, mal conçues, a expliqué Mme Seraiocco. Ils vont prendre la petite photo de cette jeune femme-là sur LinkedIn et ils vont essayer de voir sur Google. Mais si tu fais un match de photos sur Google, il ne va pas seulement te présenter la photo exacte de cette personne-là, il va te présenter des photos qui ressemblent à cette personne-là. Donc, ils voient une fille blonde qui fait de la porn, avec une autre fille blonde, et ils décident que ça doit être la même.

« C’est de la désinformation, mais c’est aussi le résultat de gens qui ne comprennent pas ces outils-là. Les gens utilisent ces outils-là pour faire des pseudo enquêtes et ça donne des résultats complètement déconnectés de la réalité. »

D’autres cas ?

Bien qu’aucune malversation de la part de Surgisphere ou des auteurs n’ait encore été prouvée, il est difficile de comprendre comment des institutions aussi prestigieuses que Harvard et The Lancet peuvent se retrouver empêtrées dans pareil imbroglio.

Cela étant dit, la pandémie signifie que tout va toujours plus vite et que certains coins sont peut-être tournés un peu plus ronds qu’ils ne le seraient autrement. Les chercheurs qui croient détenir une information cruciale veulent être les premiers à la publier, par souci de prestige ou par crainte d’être pris de vitesse par leurs collègues, et les revues spécialisées veulent être les premières à dévoiler le tout au monde.

Une étude signée par un chercheur de Harvard et publiée par The Lancet attirera aussi inévitablement plus d’attention que la même étude signée par un chercheur d’une université de deuxième ordre et publiée par un journal dont personne n’a jamais entendu parler.

« On voit probablement la pointe de l’iceberg, a dit Mme Seraiocco. Oui, il y a un travail collaboratif qui peut se faire par les réseaux sociaux. […] Je pense que si on avait le temps présentement de vérifier [toutes les études], il y en a une mozusse de gang qui se ferait prendre. […] Il y en a probablement plein qui ne passeront pas la barre quand elles seront révisées par les pairs. »