Le premier cas officiel d’infection a été enregistré à la fin de février, mais il est possible que le coronavirus à l’origine de la pandémie de COVID-19 soit apparu bien plus tôt au Québec, peut-être même en décembre.

La question tiraille Emmanuelle Francœur, femme de 29 ans qui habite depuis plusieurs années à Los Angeles, où elle travaille dans le secteur de l’audiovisuel.

La Québécoise, qui a reçu récemment aux États-Unis les résultats d’un test confirmant la présence d’anticorps au SARS-CoV-2 dans son sang, était venue voir sa famille à Boucherville pour la période des Fêtes et a commencé à se sentir mal peu de temps après son arrivée, le 18 décembre.

« Je n’ai jamais été malade comme ça de ma vie », a déclaré mardi à La Presse Mme Francœur, qui dit avoir d’abord ressenti une énorme fatigue, suivie d’une forte fièvre.

Malgré son mal-être, elle s’est rendue dans la ville de Québec quelques jours avec son conjoint avant d’être assaillie, dans les jours entourant Noël, par des quintes de toux violentes qui duraient parfois jusqu’à une demi-heure.

PHOTO FOURNIE PAR EMMANUELLE FRANCŒUR

Emmanuelle Francœur

Je me demandais si j’allais réussir à respirer ou si j’allais vomir.

 Emmanuelle Francœur

« Elle se mettait en boule dans un coin et ne voulait pas qu’on lui parle », souligne sa mère, Josée Francœur.

Après avoir tenté en vain de trouver un rendez-vous dans une clinique, la famille a appelé un service de médecin à domicile.

Le praticien envoyé sur place a conclu qu’il s’agissait d’une forte grippe et lui a prescrit un sirop, un antibiotique pour empêcher une éventuelle infection des voies respiratoires et une pompe, relate Mme Francœur. « Je lui ai dit que j’avais été vaccinée contre la grippe et que ça me semblait bizarre », dit-elle.

« Les mêmes symptômes »

Constatant une légère amélioration de sa situation, la Québécoise a décidé de rentrer comme prévu à Los Angeles le 4 janvier pour le travail et a mis quelques semaines à retrouver une forme raisonnable. « Même en février, je ne pouvais pas faire de cardio », relate-t-elle.

Son conjoint a développé à son tour durant le mois de janvier des troubles respiratoires, qui ont été diagnostiqués comme une pneumonie.

Au Québec, sa sœur a présenté de la fièvre et de la toux quelques semaines après son arrivée. Sa mère a aussi été affectée légèrement.

Ce n’est que lorsque les premières informations sur le nouveau coronavirus ont commencé à émerger de Chine dans la seconde moitié de janvier que la famille a fait le lien.

« Je lui ai dit que c’étaient les mêmes symptômes », relève Josée Francœur, qui a encouragé sa fille à se faire tester pour en avoir le cœur net.

Les tests sérologiques requis pour détecter la présence d’anticorps au nouveau coronavirus ont cependant mis plusieurs mois avant d’apparaître sur le marché américain, de telle manière qu’elle a finalement procédé aux tests le 13 mai. Le résultat était positif.

« Je n’étais pas du tout surprise », relate Emmanuelle Francœur, qui a mis la semaine dernière un message sur Instagram pour alerter son entourage au fait qu’elle avait été infectée par la COVID-19.

Au moins trois personnes qui s’entraînent à son gymnase l’ont informée par la suite qu’elles avaient aussi les anticorps contre le coronavirus. « Et bien d’autres personnes du gymnase m’ont dit qu’elles avaient été malades en janvier », relate la Québécoise, qui n’avait pas quitté Los Angeles dans les semaines précédant son arrivée dans la province.

Elle pense qu’elle a pu être infectée par un collègue revenant d’un voyage en Asie, mais n’a aucune confirmation à ce sujet.

Même si l’existence du nouveau coronavirus n’était pas encore connue hors de Chine, elle se désole de ses déplacements en avion en décembre et en janvier et des risques d’infection qui y étaient associés et se questionne sur son rôle dans la propagation du nouveau coronavirus.

En Chine dès novembre

Le Dr Alex Carignan, professeur-chercheur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, qui s’intéresse de près à la chronologie de l’épidémie, a tenté récemment de voir s’il avait pu y avoir des cas de COVID-19 non détectés dans sa région en janvier et en février en analysant des échantillons respiratoires obtenus durant cette période pour le dépistage de la grippe.

L’exercice n’a pas révélé de cas suspects, mais on ne peut exclure, dit-il, qu’il y ait eu des infections en décembre ou en janvier au Québec, les premiers cas en Chine datant du mois de novembre.

Les ennuis de Mme Francoeur ne le confirment pas, dit-il, puisqu’il est possible qu’elle ait souffert de la grippe en décembre et ait subséquemment contracté la COVID-19 plus tard à Los Angeles sans développer de symptômes, menant à la détection en mai d’anticorps. Le test lui-même pourrait être déficient, ajoute le chercheur.

Officiellement, les premiers cas d’infection aux États-Unis ont été détectés en janvier alors que la Québécoise devrait avoir été contaminée au début de décembre à Los Angeles.

Le ministère de la Santé a indiqué mercredi à La Presse n’avoir connaissance au Québec « d’aucun cas antérieur à celui qui a été diagnostiqué à la fin de février ».

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, note qu’il n’est pas impossible que Mme Francoeur ait été infectée dans sa ville adoptive en décembre en considérant l’importance du trafic aérien qui avait cours alors entre la Chine et la côte ouest des États-Unis.

Son cas rappelle celui d’un Français dont le diagnostic de COVID-19 a été confirmé en mai à partir d’un prélèvement sanguin effectué en décembre, bien avant la date reconnue alors du premier cas officiel d’infection.

Des « super propagateurs »

Le fait que les infections secondaires liées au passage de Mme Francœur au Québec semblent a priori peu nombreuses peut aussi s’expliquer si elle avait bel et bien la COVID-19, dit M. Mâsse.

Tous les cas d’infections ne débouchent pas sur une propagation à grande échelle. Pour des raisons qui ne sont pas encore éclaircies, certaines personnes infectées sont de « super propagateurs » et transmettent le virus à nombre de personnes, d’autres beaucoup moins. Une étude anglaise suggère à ce titre que 10 % des personnes malades seraient responsables de 80 % des infections secondaires.

Le Dr Carignan pense que les autorités sanitaires devraient reproduire dans d’autres régions du Québec l’étude des échantillons respiratoires qu’il a menée en Estrie pour janvier et février de manière à avoir le portrait le plus clair possible de la manière dont le nouveau coronavirus s’est propagé dans la province.

« Il faut retourner en arrière le plus loin possible puisque ça va nous aider à mieux comprendre comment on est arrivés » à la situation actuelle, dit-il.