Alors que le mercure a dépassé les 30 °C mardi dans le Grand Montréal, les résidants et les travailleurs de plusieurs CHSLD enduraient les effets de la chaleur et craignaient ses retombées. En prévision d’une telle canicule, un important installateur de climatiseurs a tenté d’alerter le réseau de la santé il y a un mois et demi afin d’accélérer la pose d’appareils. Sans succès.

« On a avisé le gouvernement en avril qu’il faudrait qu’il regarde attentivement cette situation, parce qu’il y aurait des problèmes avec la COVID. On savait qu’il y aurait des délais parce qu’il y a beaucoup de contraintes, toutes sortes de procédures », a indiqué Luc Despatie, propriétaire de l’entreprise Loue-Froid, qui se décrit comme le plus important installateur de climatiseurs dans les CHSLD. « D’habitude, à cette date-ci, on a fini d’installer les airs climatisés [dans ces établissements]. »

Mardi, le ministère de la Santé a finalement donné son feu vert à l’installation de climatiseurs individuels (voir autre texte). Mais la liste d’attente de Loue-Froid atteignait un mois.

Comme plusieurs entreprises, Loue-Froid a dû mettre ses activités sur pause en mars à cause de la pandémie de COVID-19. Inquiète des retards dans l’installation des climatiseurs, l’entreprise a écrit à la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, le 7 avril. L’entreprise demandait d’être considérée comme offrant des services essentiels. 

« Normalement, nous installons tous les climatiseurs de ces centres au mois de mai. Nous devons commencer au début de mai afin que toutes les personnes âgées et malades dans les centres aient leur climatiseur installé lorsque les chaleurs arrivent. Il fait très chaud dans ces petites chambres et ils ont besoin de leur climatiseur », écrivait-on dans le message, que La Presse a obtenu.

3500 climatiseurs à installer

L’entreprise Loue-Froid disait devoir installer « environ 3500 climatiseurs dans un court laps de temps » principalement à Montréal et en Montérégie. Or, en avril, des climatiseurs attendaient d’être nettoyés dans une entreprise faisant affaire avec Loue-Froid. Cette entreprise de nettoyage avait aussi dû suspendre ses activités à cause de la COVID-19. 

« Nous vous demandons de faire votre possible pour que nous puissions débuter notre travail le plus tôt possible car si nous ne pouvons pas commencer à installer au début de mai 2020, il y aura un très gros retard dans les installations et la dernière chose que nous désirons est que les personnes malades souffrent de chaleur parce que nous ne pourrons être dans leur centre dans un délai raisonnable », écrivait Loue-Froid dans son message.

Après la réouverture de l’entreprise, c’est le feu vert de plusieurs établissements qui bloquait l’installation des appareils.

Mardi, Luc Despatie ne décolérait pas. « C’est pas tard, c’est plus que tard », a-t-il dit, soulignant que ce n’était pas la première année que les demandes étaient tardives. 

Tout le monde veut la clim en même temps.

Luc Despatie, propriétaire de l’entreprise Loue-Froid

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on confirme avoir reçu la demande de Loue-Froid le 7 avril, « au moment où tout le secteur de la construction était à l’arrêt ». « Nous recevions alors un nombre élevé de demandes de compagnies qui voulaient être reconnues comme service essentiel. Alors que nous étions en train de traiter la demande, le 11 mai, l’industrie de la construction pouvait recommencer ses activités », a écrit le porte-parole du MSSS, Robert Maranda.

Le MSSS rappelle qu’à l’été 2018, un plan de lutte contre la canicule a été mis en place. Ce plan a dû être mis à jour pour tenir compte de la pandémie actuelle. 

Pénible chaleur

Mardi après-midi, Robert Tremblay endurait la chaleur dans sa chambre du CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci, dans le nord de Montréal. « J’ai chaud facilement. Même en hiver, ma fenêtre est toujours ouverte », a dit l’homme qui habite l’établissement depuis près de 16 ans.

Pour contrer les effets de la chaleur, M. Tremblay dit boire beaucoup d’eau. Son appareil d’air climatisé est dans sa chambre, mais toujours pas installé. « Pour l’installer, ça prend du monde. Moi, je ne peux pas le faire », affirme M. Tremblay, qui est paralysé des seins aux pieds.

PHOTO FOURNIE PAR ROBERT TREMBLAY

Robert Tremblay, résidant du CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci

Le CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci est un établissement du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. « Actuellement, tous nos CHSLD disposent d’aires communes et de corridors où la température est rafraîchie et déshumidifiée. La difficulté aujourd’hui est que pour éviter la propagation du virus, nous ne sommes pas en mesure d’y déplacer les résidants », a indiqué Marie-Hélène Giguère, responsable des communications. 

« Notre équipe commencera dès cette semaine à installer des airs climatisés dans les fenêtres des résidants, en débutant par la clientèle la plus vulnérable. Par la suite, les installations d’unités se poursuivront, selon les demandes reçues et les capacités électriques du bâtiment. »

Kathleen Bertrand, présidente du Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal, affirme que le problème de la chaleur en CHSLD dure « depuis des années ». 

Et cette année, on dirait que l’employeur n’a rien préparé. Aucun climatiseur n’a été installé nulle part. On a un problème de personnel pour le faire.

Kathleen Bertrand, présidente du Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal

Rencontré mardi après-midi devant la résidence l’Éden à Laval, alors que la température atteignait 30 °C, Pierre, un résidant en fauteuil électrique qui n’a pas voulu fournir son nom de famille, fumait une cigarette sur un balcon.

« Ciboire qu’il fait chaud. Ils ne veulent pas installer mon air climatisé, apparemment que c’est les directives, a-t-il dit. Il fait assez chaud pour que je sois inconfortable. […] Les employés, avec les suits qu’ils ont, c’est sûr qu’ils ont chaud. » 

La préposée aux bénéficiaires Éliane François a confirmé qu’elle avait « beaucoup chaud » à l’intérieur de la résidence. « Avec l’équipement, c’est très chaud. » D’autres employés, qui n’ont pas voulu être nommés, ont affirmé que la chaleur était tolérable.

Vague de chaleur en vue

Des avertissements de chaleur intense sont en vigueur actuellement dans le sud-est du Québec. Environnement Canada « prévoit encore des températures maximales entre 30 et 33 degrés pour mercredi, avec une augmentation de l’humidité, ce qui se traduira par un indice humidex au-dessus de 40 ».

« On parle d’une vague de chaleur quand la température atteint plus de 30 °C pendant trois jours de suite et qu’il y a trois nuits où ça ne baisse pas en bas de 18 °C », a expliqué le directeur régional de santé publique de l’Estrie, le Dr Alain Poirier, mardi après-midi en conférence de presse.

Déjà aux prises avec des éclosions de COVID-19, des CHSLD de la province doivent maintenant composer avec cette chaleur. Au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval, on dit avoir « commencé l’installation des climatiseurs » lundi. « Aussi, tous nos CHSLD publics sont déshumidifiés, ce qui rend ces milieux de vie plus confortables », a écrit la porte-parole du CISSS, Judith Goudreau.

Marjolaine Aubé, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS de Laval, souligne que chaque été, la chaleur est un problème en CHSLD. « Mais là, c’est pire. Parce qu’on porte l’équipement de protection individuel », dit-elle. 

Mme Aubé explique que plusieurs craignent que la vague de chaleur n’entraîne une hausse du nombre d’employés contaminés par la COVID-19. « Parce que quand tu as chaud, tu t’essuies la face. C’est un réflexe. On craint une multiplication des erreurs », dit-elle.