À force de braquer les projecteurs sur les endroits où la COVID-19 fait des ravages, il devient difficile, surtout pour ceux et celles qui ne fréquentent pas les zones infectées, d’évaluer le risque d’attraper la maladie, de souffrir de complications ou d’en mourir. En étudiant diverses données disponibles, nous avons tenté d’y voir plus clair.

Les risques de la COVID-19

Des chercheurs français ont publié cette semaine dans Science les résultats d’un programme national de tests sérologiques (sanguins) montrant qui a déjà été infecté par le virus SARS-CoV-2 de la COVID-19. Ils en ont profité pour calculer le risque, selon l’âge et le sexe, d’être hospitalisé et de mourir de la COVID-19. Nous avons également comparé le risque de mortalité pour les moins de 50 ans au risque de mourir dans un accident de voiture, dans une année donnée, aux États-Unis.

Le risque est plus grand pour les hommes que pour les femmes, ce qui est le cas pour la mortalité générale, pour des raisons mal connues. Cet écart est encore plus grand pour les plus de 80 ans, l’espérance de vie étant généralement plus élevée pour les femmes, ce qui reflète en partie le tabagisme passé plus fréquent des hommes de cet âge.

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Quel risque courent les Montréalais ?

La plupart des Montréalais ne travaillent pas dans le système de santé, et n’habitent pas dans un « milieu fermé », comme un CHSLD ou un centre de réadaptation. Pour voir le risque que court le Montréalais moyen, nous avons calculé le risque d’avoir un diagnostic de COVID-19 « en milieu ouvert », c’est-à-dire en vaquant à ses occupations normales. Voici le risque relatif, par rapport à la moyenne montréalaise (risque de 1), pour les différents arrondissements.

Deux exemples

Par exemple, à Ahuntsic-Cartierville, du 12 avril au 12 mai, le risque relatif était de 1,17, c’est-à-dire que le risque dans cet arrondissement était 17 % plus élevé que la moyenne montréalaise. À Côte-des-Neiges, du 12 avril au 12 mai, le risque relatif était de 0,84, c’est-à-dire que le risque dans cet arrondissement était 16 % moins élevé que la moyenne montréalaise.

Méthodologie

Attention : le risque peut être faussé si les programmes de tests de COVID-19 varient beaucoup d’un arrondissement à l’autre. Le calcul a été fait en excluant les diagnostics de travailleurs de la santé et en « milieu fermé ». Les diagnostics du début du mois d’avril ont été exclus puisqu’ils correspondaient dans certains arrondissements à des voyages à l’étranger effectués en mars. Une analyse des seuls diagnostics du mois de mai permet de voir si la situation s’améliore ou non dans un arrondissement donné.

Pourquoi Montréal-Nord ?

Le quartier new-yorkais du Bronx, comme celui de Montréal-Nord, compte une forte proportion d’immigrants à faible revenu, qui travaillent souvent comme préposés aux bénéficiaires. Dans la revue médicale Journal of the American Medical Association (JAMA), la semaine dernière, des médecins du Collège de médecine Albert-Einstein, du Bronx, sonnaient l’alarme. « Il s’agit d’une clientèle qui est déjà plus touchée par toutes les maladies, à cause de problèmes financiers, de la barrière de la langue et de conditions de vie plus éprouvantes », dit Jonathan Ross, l’auteur principal du commentaire du JAMA. « Ils continuent à travailler dans des milieux à risque, s’y rendent en transport en commun, malgré la pandémie. Et ils sont plus nombreux à vivre dans chaque logement. » Est-il possible que les foyers multigénérationnels, où habitent grands-parents, parents et enfants, augmentent le risque de transmission ? C’est possible, croit le Dr Ross. L’analyse de l’Université de Californie à San Francisco montrait que seulement 10 % des diagnostics de COVID-19 étaient faits dans des foyers où habitaient moins de trois personnes, et 30 % dans des logements partagés par plus de cinq personnes.

Les métiers à risque

En théorie

Xavier St-Denis, stagiaire postdoctoral au département de sociologie de l’Université de Toronto, a tenté d’évaluer quels métiers sont les plus à risque de contracter la COVID-19. « Nous avons développé un score de risque à partir de caractéristiques comme le degré de proximité physique et la fréquence à laquelle les gens qui pratiquent différentes professions pourraient être exposés à quelqu’un d’infecté », dit-il. Le chercheur précise que cette mesure fournit non pas des taux d’infection réels sur le terrain, qui ne sont pas disponibles au Canada, mais bien une mesure théorique du risque. Le Brookfield Institute for Innovation and Entrepreneurship de l’Université Ryerson, à Toronto, a suivi une approche similaire. Voici quelques conclusions.

Les femmes plus à risque

Selon l’analyse, les femmes pratiquent davantage un métier qui les met à proximité d’autres et qui les expose aux infections. Selon Xavier St-Denis, cela s’explique par la prépondérance des femmes dans trois catégories de travail : les professions de la santé, la vente et les services, ainsi que le secteur qui regroupe l’enseignement, le droit et les services sociaux, communautaires et gouvernementaux.

Le diplôme universitaire, une protection

Un diplôme universitaire protège contre la COVID-19 (score de risque de 2,7 points de pourcentage moins élevé). Cela est particulièrement vrai si la personne travaille dans le secteur de l’éducation et des services gouvernementaux (chute de 13,3 points de pourcentage), mais moins dans le secteur de la santé (chute de seulement 1 point de pourcentage). Un diplôme d’études collégiales sans diplôme universitaire, au contraire, est associé à un risque plus élevé.

Travail à distance

Le risque de contracter la COVID-19 dépend aussi beaucoup de la possibilité de travailler de la maison. Or, cela varie grandement selon le métier qu’on pratique. Pendant la semaine du 12 avril, Statistique Canada a observé que 80 % des travailleurs de la catégorie « arts, culture, loisirs et sports » avaient travaillé au moins une heure de la maison, contre seulement 5 % pour ceux qui travaillent dans le transport ou l’opération d’équipement.

Hygiéniste dentaire, le métier le plus dangereux

Quel métier comporte le risque de contracter la COVID-19 ? Selon l’analyse du Brookfield Institute for Innovation and Entrepreneurship de l’Université Ryerson, la palme revient aux hygiénistes dentaires. À l’autre bout du spectre, les opérateurs de scie mécanique et de chariot de manutention sont les mieux protégés parce qu’ils ne sont pas en contact étroit avec d’autres travailleurs ni avec des milieux infectieux.

Consultez le score de risque de différents métiers (en anglais)

En pratique

En Angleterre et au pays de Galles, les autorités ont compilé les morts liées à la COVID-19 parmi la population active (de 20 à 64 ans). On y apprend que…

Les hommes sont plus touchés

Même si les études canadiennes suggèrent que les femmes sont plus exposées à la COVID-19 au travail, les hommes forment les deux tiers des décès observés parmi la population active en Angleterre. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait que les hommes qui contractent la COVID-19 ont plus de risques d’en mourir que les femmes.

Les employés non qualifiés surreprésentés

Les hommes qui ont un métier requérant de faibles qualifications ont plus de deux fois plus de risques que la moyenne de mourir de la COVID-19 (21,4 décès par 100 000 habitants, contre 9,9 pour l’ensemble des hommes de 20 à 64 ans).

Gardiens de sécurité et chauffeurs de taxi

Parmi les métiers les plus touchés par les décès, on note les gardiens de sécurité, les chauffeurs de taxi et d’autobus, les cuisiniers et ceux qui travaillent dans la vente au détail. Les travailleurs sociaux sont aussi très touchés. Étonnamment, les morts parmi les infirmières et les médecins ne sont pas plus fréquentes que parmi la population active générale. L’étude mentionne que ces travailleurs sont susceptibles d’avoir accès à un bon équipement de protection, mais avance aussi l’hypothèse que les morts survenues chez le personnel soignant puissent faire l’objet d’enquêtes par les coroners, ce qui retarderait leur enregistrement.

Qu’en est-il de la transmission à l’extérieur ?

Les risques sont très faibles, s’il faut en croire les données disponibles. En Chine, la transmission de la COVID-19 s’est surtout faite à l’intérieur et très peu à l’air libre, selon une nouvelle étude publiée sur le site de prépublication scientifique Medrxiv. Seulement 0,2 % des 1245 cas recensés découlent d’une infection à l’extérieur d’un bâtiment ou des transports en commun. Il est cependant délicat d’appliquer ces résultats à Montréal, à cause de la densité de population en Chine et du fait que les diagnostics ont été faits avant, pendant et après le Nouvel An lunaire, une période hivernale où il y a beaucoup de voyages et de réunions familiales.

Où les Chinois ont-ils attrapé la COVID-19 au tout début de la pandémie ?

60 % à la maison

25 % dans un restaurant

9 % sur un lieu de travail

4 % dans un commerce

Note : infections en Chine entre le 4 janvier et le 11 février 2020