Une vingtaine de camps de vacances partout au Québec jettent l’éponge : ils concluent à regret qu’ils seront incapables d’ouvrir leurs portes cet été en raison des directives strictes de la Santé publique.

Quant aux camps de jour, leur situation est toujours incertaine, même si Québec a annoncé à la fin d’avril qu’ils devraient pouvoir accueillir des enfants si l’expérience était probante dans les écoles primaires. Sans une aide d’urgence qu’ils espèrent pour bientôt, plusieurs camps croient qu’il sera impossible d’offrir leurs activités cet été.

« C’est sûr que l’offre sera considérablement réduite, même s’il y a un engouement des parents », note Éric Beauchemin, directeur de l’Association des camps du Québec.

Il confirme qu’au moins une vingtaine de camps de vacances ont déjà abdiqué pour l’été 2020 : « Plusieurs de nos camps leaders ne seront pas en opération. Le niveau de complexité pour ouvrir est trop élevé, donc plusieurs ne veulent pas se lancer là-dedans », précise-t-il en nommant, par exemple, les camps et bases de plein air Odyssée, Claret, Géronimo, Bon départ et Mère Clarac.

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Éric Beauchemin, directeur de l’Association des camps du Québec

Dans le guide de relance publié vendredi dernier par le gouvernement du Québec, un nouveau ratio animateur/enfants est exigé. Pour les groupes de 5-6 ans, il faut un responsable pour cinq jeunes. Avant la crise de la COVID-19, le ratio était de un pour huit.

Les camps doivent donc avoir plus d’animateurs, et s’ils ne peuvent avoir plus d’espace, ils doivent réduire leur capacité d’accueil. Tout cela leur cause bien des soucis, notamment financiers.

M. Beauchemin ajoute qu’avec d’autres acteurs du milieu, ils demandent au gouvernement Legault qu’une aide d’urgence soit offerte aux camps de vacances et camps de jour qui décideront d’ouvrir. « Ils ne peuvent pas fonctionner à perte », précise-t-il.

Distanciation impossible

Des camps de vacances ont vite compris qu’ils devaient rembourser les parents, puisqu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’annuler la saison en raison de la distanciation physique qui rend les nuits en dortoir impossibles dans bien des cas. Ils ont beau y avoir réfléchi pendant des semaines, ils ne voient tout simplement pas comment ils pourraient assurer que la distance de 2 mètres soit respectée en tout temps.

« J’ai beaucoup de mal à imaginer qu’un camp de vacances va opérer cet été, lance Pauline Rondeau, directrice du camp Claret, fondé il y a 57 ans. Ce n’est pas réaliste, je ne vois pas comment ils pourraient ouvrir en respectant les consignes. Et imaginez une éclosion de COVID-19 dans un camp… »

Pour les colonies de vacances, c’était plus facile de s’apercevoir que ça n’avait pas de sens d’ouvrir, même les familles comprenaient et étaient rassurées.

Gabriel Bigaouette, directeur général des camps Odyssée, Trois-Saumons et Minogami

« Je reste plus positif pour nos deux camps de jour. C’est sûr qu’avec un nombre restreint de jeunes et les mesures exigées, ça aiderait énormément d’avoir de l’aide du gouvernement pour ne pas opérer à perte », ajoute M. Bigaouette.

Certaines organisations ont ainsi décidé de fermer le camp de vacances, tout en restant optimistes de pouvoir ouvrir leurs camps de jour, dont les camps Odyssée et Kéno.

« Décision difficile »

En revanche, d’autres camps ont déjà pris la décision de ne pas recevoir les petits mousses cet été. C’est le cas par exemple du camp Le lion et la souris, à Montréal, du camp du Collège Laval et du camp de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.

Même chose pour tous les camps Les débrouillards du Québec : « Ce fut extrêmement difficile à prendre comme décision, confie la directrice générale du Réseau Technoscience, Marthe Poirier. Malheureusement pour les jeunes scientifiques en devenir, avec le ratio et les mesures de distanciation exigés, on ne pouvait pas tenir nos camps. » Elle aussi croit qu’elle aurait « opéré à perte » cet été si elle avait reçu les petits.

Geneviève Barrière, directrice de l’Association québécoise du loisir municipal, rappelle que 200 000 jeunes profitent habituellement des camps de jour des villes chaque été. « Le coût des camps de jour est estimé normalement à 80 millions de dollars pour l’ensemble des municipalités. Cet été, ça pourrait coûter 40 millions de plus », une somme qu’elle souhaite que les gouvernements épongent.

Si on veut une relance économique, il faut que les parents puissent faire garder les enfants quelque part.

Geneviève Barrière, directrice de l’Association québécoise du loisir municipal

Alors qu’elle a bon espoir que les camps de jour des régions offriront un service cet été, elle avoue que « ce sera plus difficile » dans le Grand Montréal. « On se demande ce qui va se passer pour la métropole », précise-t-elle.

Une autre crainte soulevée par les experts est le nombre de places limitées offertes cet été. « Il va y avoir une diminution du nombre de camps qui vont ouvrir et du nombre de places disponibles », affirme Marc-André Lavigne, directeur de l’Observatoire québécois du loisir de l’Université du Québec à Trois-Rivières. « Il y a des parents qui vont faire le saut lorsqu’ils vont apprendre qu’il n’y a pas de place pour leurs enfants ! »

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Nicolas de Lorimier, directeur du camp Bruchési

Le camp Bruchési, à Saint-Hippolyte, n’a jamais arrêté de prendre les réservations malgré la crise, sans toutefois exiger de dépôt, étant donné le contexte. Son directeur, Nicolas de Lorimier, a toujours l’intention d’accueillir des jeunes au camp de vacances et au camp de jour.

« Notre particularité est que nous sommes extrêmement bien outillés pour accueillir les enfants puisque le camp a été créé en 1930 pendant l’épidémie de la tuberculose, dit-il. Les enfants étaient envoyés au camp pour les protéger, alors il a été construit avec de grands dortoirs. »

Si un parent veut espérer que son enfant visite un camp pendant la saison estivale, il est aussi d’avis qu’il faut réserver plus tôt que tard.

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Des milliers de petits campeurs devront passer l’été à la maison.

Un deuil pour les jeunes... et leurs parents

« On me demande c’est où mon endroit préféré dans le monde : c’est le camp. C’est mon havre de paix. Loin de la ville, loin des amis de la ville, de la famille. C’est un paradis isolé de tout ce qui est réel. »

L’amour d’été de Magalie St-Pierre, c’est le Camp Trois-Saumons. Et cette année, elle a le cœur brisé. Comme des milliers de jeunes, elle sera contrainte de faire une croix sur cette aventure estivale si chère à son cœur.

De campeuse à monitrice, la jeune femme de 18 ans a passé ses huit derniers étés au bord du lac Trois-Saumons, à Saint-Aubert. « Je ne sais pas c’est quoi, un été en ville », affirme Magalie, qui restera à Lévis cette année. Elle l’avoue, l’annulation de la saison 2020 l’attriste profondément.

« Quand on part pour le camp, on s’en va dans un endroit complètement magique. Un endroit où j’ai appris à me connaître et à me dépasser. J’ai des amis que je ne vois pas de l’année et au camp, on est ensemble 24/7 pendant deux mois. Ça crée des liens vraiment forts, un sentiment d’appartenance qui va manquer à beaucoup de monde cette année », témoigne la monitrice.

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Magalie St-Pierre (deuxième de la gauche) et trois de ses amies au Camp Trois-Saumons

Nul besoin d’une étude approfondie pour savoir que les camps de vacances ont ce pouvoir de transformer bien des jeunes qui y mettent les pieds. Ils acquièrent des connaissances, repoussent leurs limites, gagnent de la confiance en soi dans un contexte extérieur à l’école et à la maison. Geneviève Emond se désole que son garçon de 13 ans soit privé de cette expérience, qu’il devait partager avec cinq amis du quartier, au Camp Minogami, cet été.

« Après la disparition en catastrophe de l’école, le deuxième point de référence des ados était le camp, une forme de sécurité. Nous ne pouvons pas leur offrir autrement cette occasion de construction identitaire entre pairs, en pleine nature. À 13 ans, ces moments ne reviennent pas. Maintenant, aux parents les casse-têtes organisationnels… Et nous n’avons pas fini », témoigne la maman.

« J’habite dans une rue pleine de parents, tout le monde est désespéré, renchérit Annie Beaudoin, mère d’adolescents de 13, 14 et 15 ans. Les grands-parents ne peuvent pas garder, les gens travaillent, sont pris avec les enfants à la maison. Il y a un sentiment de ‟tout le monde est à bout”. »

Quand ils ont annoncé que les écoles n’ouvraient pas, le monde se disait qu’au moins, il y aurait les camps d’été. Là, c’est annulé. Et après ? Les écoles en septembre ? C’est un désastre si elles n’ouvrent pas.

Annie Beaudoin, mère de trois adolescents

Le camp de vacances du garçon de 14 ans de Mme Beaudoin (Camp Minogami) a été annulé, mais pas celui de son plus jeune, qui ira comme prévu aux Camps Légendaires, des camps sportifs à thématique médiévale. Elle estime que la décision logique aurait été d’ouvrir les camps de vacances comme à l’habitude, et de laisser le choix aux parents d’y envoyer ou non leur enfant.

Destination salon

Le tir à l’arc, le canot, le camping, l’escalade, le kayak, les expéditions entre amis… Rien de tout ça ne fera partie de l’été des sœurs Semeteys. Mathilde, 11 ans, et sa sœur Léonie, 14 ans, devaient aussi séjourner au Camp Minogami. Pour la première fois, elles avaient réussi à coordonner leur séjour avec leur meilleure amie respective.

« On était super excitées. Elle, c’était la première fois qu’elle venait et je lui avais raconté comment c’était quand j’y allais et on avait vraiment hâte. Donc on était super tristes », raconte la cadette, qui était impatiente de « traverser le lac, dormir dans un tipi et faire du tir à la carabine ».

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Jonathan Semeteys-Ladouceur et Danie Savoie (à droite), avec leurs filles Léonie et Mathilde

Sa grande sœur Léonie, qui trouve le confinement « interminable », avait non seulement hâte de retrouver sa meilleure amie durant deux semaines, mais à 14 ans, elle pouvait finalement faire « l’expédition ».

« Tu pars en canot avec les gens de ta hutte pendant quatre-cinq jours et tu dors dans des tentes que tu amènes en canot, tu fais ta propre nourriture, etc. C’est réservé aux plus vieux. Cette année, c’est l’année où je pouvais le faire », dit la jeune fille, déçue.

Leur mère, bien qu’elle comprenne la décision de la direction, se désole de voir ces moments disparaître de la vie de ses enfants.

« Je regarde ma plus grande, qui entre dans l’adolescence, qui ne voit personne de son âge depuis le mois de mars… Elle est à l’âge de prendre son envol et elle allait bientôt se retrouver en gang avec du monde de son âge. Mais bon, elles sont très résilientes », témoigne Danie Savoie.

« Les grands oubliés »

Josée Marois n’hésite pas à dire que « les adolescents sont les grands oubliés » de cette crise. Sa fille unique, Sarah-Kim, 14 ans, gardait le moral dans toute cette tourmente grâce à ses deux séjours à venir au Camp Trois-Saumons.

« C’est un âge difficile. Elle ne peut pas travailler, elle n’a pas tant de choses à faire. Chaque fois que je lui demandais si elle s’ennuyait, elle me disait qu’elle s’accrochait au camp. Donc, c’est décevant. J’aurais pensé qu’ils se seraient adaptés. La construction s’est adaptée, les épiceries, tout le monde s’adapte… Mais il faut croire que ce n’était pas possible », se désole la résidante de Québec.

Magalie St-Pierre, qui aurait peut-être été la monitrice de Sarah-Kim, croit tout de même que cette décision crève-cœur est la bonne. Dans un rabaska, autour d’un feu, près du lac, il aurait été impossible de respecter la distanciation physique.

« Tout est fait pour que les enfants et les jeunes soient collés-collés, pour qu’ils soient tissés serré, conclut Magalie. C’est ça, la magie des camps de vacances. Ça aurait enlevé énormément de magie si on était restés ouverts cette année. Mieux vaut la préserver pour l’an prochain. »