(Ottawa) La subvention salariale – que Justin Trudeau reconnaît préférer à la prestation canadienne d’urgence – est prolongée pendant trois mois, jusqu’à la fin août, et elle sera remodelée dans l’objectif avoué du gouvernement d’y susciter une plus grande adhésion.

« Si vous êtes propriétaire d’une entreprise et que vous vous préparez à rouvrir vos portes, cette subvention sera là pour vous et pour vos employés », et pour s’assurer que le programme « continue d’aider les gens », le gouvernement s’assoira avec des représentants d’entreprises et des travailleurs « pour effectuer les ajustements nécessaires », a déclaré le premier ministre en conférence de presse, vendredi.

Le seuil d’admissibilité des pertes encaissées de 30 % fera notamment l’objet d’un examen, car « quand les entreprises sont prêtes à reprendre et même à grandir, ce seuil ne devrait pas être une barrière à la croissance », a-t-il insisté. La portée de la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) sera aussi élargie -- et tous les changements seront rétroactifs au 15 mai.

Le premier ministre a admis préférer cette subvention, qui couvre 75 % du salaire jusqu’à concurrence de 847 $ par employé, par semaine, à la prestation canadienne d’urgence (PCU) mensuelle de 2000 $. Car en plus de favoriser le maintien d’un lien entre employeur et employé qui sera fort utile lorsque la machine économique se remettra en branle, la SSUC est plus généreuse que la PCU, « dans bien des cas ».

« Des millions de Canadiens ont perdu leur emploi, n’ont plus de chèque de paye ou n’ont pas la possibilité d’avoir une subvention salariale parce qu’il n’y a plus d’employeur pour eux, et donc on continue d’avoir besoin de la PCU. Mais idéalement, effectivement, les gens utiliseraient plus la subvention salariale », a argué Justin Trudeau derrière son lutrin, à Rideau Cottage.

Son ministre des Finances, Bill Morneau, a aussi un faible pour cette subvention, qui est loin d’avoir la même popularité que la PCU. Aussi, comme pour créer un mouvement de masse, il a annoncé que des entreprises telles que les organisations journalistiques, les associations de sport amateur, les écoles privées ou encore des entreprises appartenant à un gouvernement autochtone, pourront la toucher.

La mouture actuelle de la SSUC est chiffrée à 73 milliards de dollars. Le grand argentier du pays a dit ignorer, pour le moment, quel impact les ajustements auront sur la facture totale. Et bien qu’il ait affirmé recevoir un volume élevé d’applications, on ne se bouscule pas au portillon, comme en témoignent les chiffres de l’Agence du revenu du Canada : en date du 15 mai, seulement 3,3 milliards de dollars ont été octroyés.

Cela représente environ 1,7 million de travailleurs. À titre comparatif, la PCU a été réclamée par environ 7,5 millions de Canadiens.

L’annonce de la prolongation de la subvention salariale a été chaudement accueillie par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). «Nous nous réjouissons aussi du fait qu’Ottawa soit disposé à revoir le seuil d’admissibilité requérant une perte de 30 % de revenus. Ce critère est l’une des raisons qui expliquent le peu d’intérêt suscité par ce programme et il posera problème lors de la reprise économique», a déclaré via communiqué Jasmin Guénette, vice-président des affaires nationales.

Prolonger la PCU ?

Le premier ministre n’a pas voulu dire si la PCU pourrait elle aussi être prolongée. Et comme il l’avait fait la veille, il a défendu la façon dont le programme est déployé, alors que le quotidien National Post révélait jeudi que les fonctionnaires d’Emploi et Développement social Canada avaient reçu la directive d’autoriser son versement de la PCU, même pour ceux qui ont démissionné ou qui ont été congédiés.

« C’était un choix délibéré » de verser l’argent sans tarder, et « par la suite, comme on est en train de faire, mettre en place des mécanismes pour reprendre l’argent des fraudeurs et des imposer conséquences », a martelé Justin Trudeau.

Selon nos informations, moins de 100 000 drapeaux rouges ont été levés, mais pour le moment, on n'a pas constaté de niveau significatif de fraudes. Des enquêteurs du fisc ont été affectés à cette tâche spécifique. Les Canadiens qui ont fait des requêtes jugées inadmissibles se verront demander un remboursement, et s'ils ne rendent pas l'argent indûment demandé, les sommes leur seront réclamées une fois la saison des impôts venue.

450 millions pour les chercheurs

Le premier ministre Trudeau a annoncé une nouvelle injection de fonds publics, cette fois pour la recherche. « On va investir 450 millions de dollars pour aider les chercheurs et les établissements de recherche à traverser la crise. Ces fonds serviront à maintenir les salaires de ceux qui font de la recherche pour qu’ils puissent poursuivre leur travail essentiel », a-t-il indiqué.

Le premier ministre a par ailleurs invité les étudiants à postuler pour un emploi d’été dès maintenant. « Si vous êtes étudiant, assurez-vous de consulter le site web d’Emplois d’été Canada, où on va afficher un premier lot d’emplois aujourd’hui. Et si vous n’arrivez pas à trouver une job d’été, la Prestation d’urgence pour les étudiants sera là pour vous », a soutenu Justin Trudeau.

Les demandes pour la prestation canadienne d’urgence pour les étudiants peuvent être faites à compter de vendredi.

Les conservateurs reviennent à la charge

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Andrew Scheer

Sur le plan politique, un nouveau bras de fer se profile à l’horizon. À un peu plus d’une semaine de l’échéance d’une entente entre partis, le chef conservateur Andrew Scheer reformule une demande qui n’avait pas été acceptée la dernière fois, à savoir un retour (presque) normal des activités à la Chambre des communes.

En conférence de presse au parlement, vendredi matin, il a soutenu que les longues séances virtuelles ne constituent pas « des remplacements » pour celles en personne, en accusant le premier ministre Justin Trudeau d’utiliser la crise sanitaire pour « échapper à la reddition de compte et à la surveillance des partis d’opposition ».

Le chef par intérim de la formation a ainsi renouvelé son appel au retour d’un nombre limité de députés, suffisamment pour qu’il y ait quorum (le minimum est de 20 élus sur les 338 qui siègent aux Communes), et ce, parce que les partis d’opposition ont démontré leur utilité à parfaire des projets de loi que déposent les libéraux dans le contexte sans précédent de cette pandémie de COVID-19.

« Nous devons être capables de poser des questions difficiles et de tenir les libéraux responsables lorsqu’ils prennent de mauvaises décisions. […] Nous allons proposer, comme nous l’avons fait la dernière fois, un programme responsable pour le travail de la Chambre des communes. Ça veut dire moins de 338 députés, qui respectent des directives des agences de santé, qui vont permettre à notre système démocratique de fonctionner », a-t-il plaidé.

L’entente qui était intervenue entre les partis après d’âpres discussions le 20 avril dernier vient à échéance le 25 mai prochain. Elle prévoit notamment une longue période d’échanges virtuels les mardis ainsi qu’une période de questions d’une durée de deux heures et quinze minutes les mercredis. Les comités parlementaires siègent de façon virtuelle.

Lorsqu’on lui a rappelé que les partis fédéraux ont joué dans le film concernant le retour parlementaire il y a un mois, il a jeté le blâme sur Justin Trudeau. « La personne qui [joue] un jeu [politique], c’est le premier ministre, qui veut éliminer le rôle du Parlement dans une crise, dans une pandémie sans précédent », a insisté Andrew Scheer.

Le premier ministre n’a pas l’intention de changer de cap. L’équilibre que l’on a atteint « fonctionne extrêmement bien », a-t-il argué à Rideau Cottage.

Le député Alexandre Boulerice est pour sa part devenu un adepte du nouveau format des périodes de questions qui se tiennent en comité plénier. C’est que contrairement à la pratique normale en Chambre, où l’on a 35 questions top chrono pour balancer une question, le format virtuel prévoit un échange de cinq minutes, lors duquel un député d’opposition peut relancer son interlocuteur, soulève-t-il.

« En fait, nous, comme parti d’opposition, cette possibilité de pouvoir poser la question, reposer la question ou faire un suivi pendant les cinq minutes allouées quand on est en comité plénier, c’est une formule qu’on trouve très intéressante [...] C’est une formule intéressante pour aller chercher des réponses. et forcer le gouvernement à rendre des comptes. En fait, c’est plus intéressant que les 35 secondes qu’on a habituellement en Chambre en personne », a expliqué à La Presse l’élu néo-démocrate.

Ni le Bloc ni le Parti vert n’étaient chauds à l’idée de revenir sur la colline à Ottawa en pleine pandémie, même en nombre restreint. Les négociations sur la suite des choses ont tout de même repris ces derniers jours, en raison des doléances conservatrices. Une source libérale a indiqué jeudi à La Presse qu’elles étaient déjà difficiles.