(Québec) L'enjeu du port du masque revient en force en cette journée de rentrée parlementaire. Alors que le Parti québécois et le Parti libéral réclament qu'il soit obligatoire dans les lieux publics et dans les transports en commun à Montréal, le premier ministre François Legault soutient qu'il n'y a pas suffisamment de masques en ce moment pour imposer cette mesure. Il ne fait plus valoir d'arguments légaux.

À la première journée de reprise des travaux de l'Assemblée nationale après une pause forcée de deux mois, le chef péquiste par intérim, Pascal Bérubé, a demandé au gouvernement Legault d’agir rapidement sur le port du masque, alors que la situation est critique dans la métropole. Mardi, le premier ministre François Legault a affirmé au point de presse de 13 h qu’il conseillait « fortement » à tous les Québécois de porter le masque quand ils vont dans des lieux publics.

« Rien n’empêche le gouvernement du Québec de décréter [l’obligation du port du masque à Montréal] dans les prochains jours, les prochaines heures. […] Donnons les moyens à la Ville de Montréal d’acheter des masques. […] Décaissons de l’argent pour Montréal », a-t-il réclamé, suggérant qu’il fallait « sérieusement considérer » le confinement du Grand Montréal si la situation liée à la pandémie de COVID-19 ne s’améliore pas.

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Le chef péquiste par intérim, Pascal Bérubé.

À la période de questions au Salon bleu, le premier ministre François Legault a répondu que « si, dans les prochains jours, puis on y travaille fort, on a assez de masques pour être capable d'en donner à tous ceux qui utilisent le transport en commun, bien là, on pourra avoir la discussion ».

« Malheureusement, actuellement, même si on travaille très fort [pour y arriver], il n'y a pas la disponibilité [en nombre de masques] qu'on aurait besoin », a-t-il ajouté, précisant qu'il faut d'abord s'assurer « que les masques qu'on a sont pour le personnel de la santé ».

Le Parti libéral demande pour sa part « le port du masque obligatoire dans les transports en commun » à l'échelle du Québec, a indiqué l'attaché de presse de l'aile parlementaire du parti, Frédéric Labelle. L'opposition officielle plaide aussi pour que les sociétés de transport « fournissent des masques à ceux qui n'ont pas les moyens de s'en procurer un » et que le gouvernement du Québec en assume le coût.

Sol Zanetti, de Québec solidaire, affirme de son côté « qu'il faut se fier à la santé publique, [mais] qu'une mesure additionnelle de protection ne peut pas nuire ».

« Toutefois, il ne faut pas stigmatiser les gens qui n'en portent pas. La santé publique le répète, les mesures les plus importantes demeurent le lavage des mains et la distanciation physique », a-t-il dit.

Avocat de formation, le ministre Simon Jolin-Barrette, qui s’est adressé à la presse pour marquer la reprise des travaux parlementaires, n’a pas voulu se prononcer sur l’obligation ou non du port du masque. « Je n’ai pas étudié la question légalement. […] On doit se fier à nos juristes », a-t-il mentionné. Cette notion légale n'a pas été reprise plus tard par le premier ministre Legault.

Des critiques sur un ton posé

Dépistage déficient, problèmes persistants en CHSLD, déconfinement précipité, valse-hésitation sur le port du masque : l’opposition attendait de pied ferme le gouvernement au Salon bleu de l’Assemblée nationale. Le ton a été plutôt posé, même si les critiques étaient importantes.

À son baptême du feu à titre de nouvelle cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade a d’abord salué « le travail exemplaire du gouvernement et de son premier ministre dans le cadre de sa gestion de la crise. Le gouvernement a su trouver les bons mots pour rassurer les Québécois, et les Québécois ont répondu dans la discipline et avec empathie ».

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La nouvelle cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade.

Mais après les fleurs, le pot : Dominique Anglade a relevé que le Québec compte 60 % des morts de la COVID-19 au pays, avec plus de 3000 morts, « l’équivalent de la municipalité de Saint-Tite ». Elle a ajouté que le gouvernement a mis sur pied 11 comités pour l’accompagner dans la lutte contre la COVID-19 mais « il y en avait 0 sur l’enjeu des CHSLD », là où le coronavirus fait le plus de ravages. « Est-ce que ce chiffre n’explique pas la raison pour laquelle on se retrouve dans cette situation ? » a-t-elle lancé.

Le premier ministre François Legault a répliqué que la situation des CHSLD était « difficile depuis longtemps », que plusieurs employés se sont absentés et que des appels au renfort ont été faits. « Avec des moyens du bord, on a essayé de tout faire pour améliorer la situation des CHSLD et des résidences », a-t-il plaidé. Selon lui, « c'est toute la société québécoise qui doit se regarder » dans le miroir, et le gouvernement « va faire une réforme importante pour qu'à l'avenir les personnes âgées et les personnes avec des maladies chroniques puissent être bien traitées ».

La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a souligné que la situation des CHSLD « s’améliore mais elle n’est pas totalement contrôlée dans la grande région de Montréal ». L’opposition a déploré que le gouvernement ne diffuse plus depuis environ 10 jours la liste des établissements où il y a des cas de COVID-19 et leur nombre. « On est dans le noir le plus total », a lancé le libéral André Fortin. Québec promettait une nouvelle version mardi mais on l’attend toujours. Ce sera rendu public « dans un délai très rapproché », a dit Mme McCann.

L'opposition a souligné que le gouvernement n'atteint toujours pas sa cible de 14 000 tests par jours alors qu'il avait promis de la respecter dès vendredi dernier. André Fortin a indiqué que des travailleurs de la santé ne sont pas testés dans les CHSLD et que certains sont toujours transférés entre zone chaude et zone froide. Danielle McCann a répondu que le dépistage va s'intensifier par l'ajout de personnel pour réaliser les tests.

« Nous allons garder le cap et nous allons tester non seulement les patients symptomatiques, les travailleurs de la santé, mais aussi les personnes asymptomatiques de façon aléatoire », a-t-elle dit.

Pour Dominique Anglade, « plus on avance, plus on se pose la question à savoir si le gouvernement fait suffisamment preuve de prudence ». Québec a précipité selon elle le déconfinement, sans respecter tous les critères de l’Organisation mondiale de la santé, comme le dépistage massif. Le premier ministre disait vouloir « relancer l’économie, pas la pandémie », mais Mme Anglade se demande si « le plan du gouvernement va relancer la pandémie et pas l’économie ».

François Legault a soutenu que les six critères de l’OMS sont respectés à l’extérieur du Grand Montréal et que s’ils ne sont pas pour la région métropolitaine, le déconfinement sera repoussé au-delà du 25 mai.

Le chef péquiste Pascal Bérubé disait en point de presse que le gouvernement est « téméraire » avec son plan de déconfinement. Au Salon bleu, il a déploré que le gouvernement ne présente pas les conditions devant être réunies avant de procéder au déconfinement alors que New York a diffusé un document de 51 pages à ce sujet. Il s’est dit d’autant plus étonné de cette situation que le Québec compte le plus grand nombre de morts au Canada, alors qu'il représente 23 % de sa population.

Pour Manon Massé, de Québec solidaire, « le gouvernement semblait prêt rapidement à déconfiner, [il semblait] plus intéressé à donner des dates de déconfinement que des dates [sur] comment il allait reprendre le contrôle dans les CHSLD, notamment dans la grande région de Montréal ». Elle a déploré les conditions de travail et le salaire des préposés aux bénéficiaires. François Legault s'est dit prêt à augmenter les salaires de 12 % mais il a accusé « certains syndicats » de réclamer que cette augmentation s'applique à tous les employés de l'État.

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Manon Massé, de Québec solidaire.

Le libéral Monsef Derraji a relayé la demande de la directrice générale de la Chambre de commerce de la Vallée du Richelieu, qui déplore que le confinement soit toujours imposé dans ce secteur : la région se trouve sur le territoire de la Communauté métroplitaine de Montréal mais plutôt loin de l’épicentre de l’épidémie. « On ne peut pas faire du mur à mur », a-t-il dit. François Legault s’est levé pour répondre à cette question, disant que l’on ne pouvait pas déconfiner ce territoire en raison des déplacements de personnes que cela provoquerait dans la région. « Le Parti libéral cède au lobby des chambres de commerce pas mal facilement », a-t-il pesté.

Pascal Bérubé a demandé au directeur national de santé publique, Horacio Arruda, d'être « le meilleur directeur de santé publique », et non pas « le plus populaire des directeurs de santé publique ». M. Bérubé répondait alors à des questions concernant les récentes frasques de ce dernier dans une danse controversée qu'il a faite avec un rappeur sur l'internet. Le PQ réclame aussi que la Santé publique donne des points de presse distincts de ceux organisés chaque jour par le gouvernement.

Déficit et PIB à la baisse

Québec prévoit enregistrer un déficit estimé entre 12 et 15 milliards et un PIB en baisse de 5 % pour l’année 2020. « Tout ça, évidemment, il y a un haut degré d’incertitude rattaché à la période de confinement, comment le déconfinement va aller, est-ce qu’il y aura une deuxième vague, un remède… Tout ça, c’est basé sur des hypothèses », a rappelé le ministre des Finances, Eric Girard.

À son avis, si « le retour se fait comme prévu » les prévisions du gouvernement Legault tiendront la route. M. Girard doit présenter un énoncé économique en juin.

Les travaux de l’Assemblée nationale se sont déroulés à quorum réduit, avec une trentaine de députés sur 125, afin de respecter la distanciation physique. Il y a eu deux périodes de questions de suite mercredi. Les parlementaires se retrouveront au Salon bleu le 26 mai, mais des commissions parlementaires se tiendront virtuellement d’ici là.

Le drapeau du Québec de la tour centrale du parlement a été mis en berne à la mémoire des victimes de la COVID-19, au nombre de 3131 jusqu’ici.