Alors que l’on peine à voir la lumière au bout de la pandémie, que le poids du deuil et de la solitude est de plus en plus lourd, que tant de gens voient leur vie bouleversée, je pense souvent à mon grand-père et à mon arrière-grand-mère qui étaient des survivants du génocide arménien.

Qu’auraient-ils pensé du traumatisme collectif que nous vivons ? Quels conseils nous donneraient-ils ?

Heidi Berger, elle-même fille de rescapés de l’Holocauste, à la tête de la Fondation pour l’étude des génocides, s’est posé les mêmes questions. En ces temps douloureux, elle a eu la bonne idée de recueillir les réponses d’une dizaine de survivants qui travaillent avec sa fondation.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Heidi Berger

Qu’ils aient survécu à l’Holocauste, au génocide rwandais ou au génocide cambodgien, ces gens sont devenus par la force des choses des experts en résilience dont les réflexions peuvent nous aider à traverser cette crise, constate-t-elle. 

Tous nos survivants ont traversé d’énormes difficultés. Ils ont dû apprendre à rebâtir leur vie. Ils ont appris à être résilients face à toute épreuve. Et ce qui est incroyable, c’est qu’ils sont toujours optimistes !

Heidi Berger

C’est d’ailleurs leur premier conseil : demeurez optimistes. « Rappelez-vous que cette crise prendra fin. Développez votre résilience en abordant la situation un jour à la fois. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FONDATION POUR L’ÉTUDE DES GÉNOCIDES

En ces temps où nous avons tant besoin de résilience, Heidi Berger, de la Fondation pour l’étude des génocides, pense beaucoup à sa mère, Ann Kazimirski, rescapée de l’Holocauste, et aux leçons que les survivants peuvent nous enseigner.

Heidi Berger n’a pas pu interroger sa propre mère dans le cadre de ce projet – Ann Kazimirski, survivante de l’Holocauste d’origine polonaise, est morte en 2006. Mais elle a l’impression que ce que lui a enseigné cette femme qui avait été témoin de l’horreur résonne particulièrement ces jours-ci tant pour elle que pour sa fille. 

PHOTO FOURNIE PAR HEIDI BERGER

Petite-fille de la survivante de l’Holocauste Ann Kazimirski, la Dre Jennifer Berger (au côté du Dr Struan Coleman) travaille dans l’unité de COVID-19 de l’Hospital for Special Surgery de Manhattan, épicentre de la pandémie aux États-Unis. « J’entends la voix de mamie qui me dit de ne pas avoir peur. Elle me donne la force dont j’ai besoin chaque jour pour passer à travers cette crise. »

« Je vois la résilience de ma mère dans l’attitude de ma fille qui est médecin à New York et qui soigne des patients atteints de la COVID-19. Elle pense toujours à sa grand-mère. Elle me dit : “Maman, j’entends la voix de mamie qui me dit de ne pas avoir peur. Elle me donne la force dont j’ai besoin chaque jour pour passer à travers cette crise.” »

Pour le Montréalais Bavon Kirenga, 36 ans, qui avait 9 ans lors du génocide contre les Tutsis au Rwanda, la pandémie fait écho à son enfance meurtrie. En 1994, il a été témoin du massacre de plusieurs membres de sa famille et a passé de longs mois en confinement, pour éviter le même sort.

« Ce que j’ai appris de 1994, c’est que l’être humain s’adapte. On ne sait jamais à quel point on est capable de s’adapter », me dit-il.

Étrangement, Bavon Kirenga constate que le confinement paisible qu’il vit aujourd’hui, seul dans son appartement à faire du télétravail, est à certains égards plus difficile à vivre que le confinement en temps de guerre qu’il a connu, avant et pendant le génocide. 

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Bavon Kirenga

Des fois, on se retrouvait confinés à deux ou trois familles ensemble. On n’allait pas à l’école. Nous, les enfants, on jouait. C’était même plus le fun qu’autre chose ! On mangeait ensemble avec nos cousins, réunis dans la même maison.

Bavon Kirenga

Même dans les jours les plus noirs qu’il ait connus, il n’a jamais souffert de la solitude qu’impose la pandémie. « En 1994, mes deux sœurs et moi, après avoir quitté l’hôpital où nous étions pour soigner nos blessures, on était allés se cacher. On était au beau milieu des violences du génocide. Il y avait des tirs, des gens qui se faisaient tuer autour de nous. Mais tout ce temps-là, il n’y a jamais eu un moment où j’étais seul. Même si c’était horrible, on était toujours ensemble. »

Pour briser sa solitude, Bavon Kirenga profite de la pandémie pour se rapprocher virtuellement de gens qu’il avait perdus de vue, tant ici qu’au Rwanda.

Ses conseils pour traverser la crise ? Ne pas céder à la tentation de l’isolement social, ne pas hésiter à parler de ce que l’on vit, demander le soutien psychologique d’un professionnel et veiller sur les plus vulnérables si on est en mesure de le faire.

Bavon Kirenga pense notamment aux gens qui, en ce moment, doivent traverser des deuils dans la solitude, sans adieux ni funérailles. « Je sais ce que ça peut être… Les gens que j’ai perdus, on ne les a jamais vus enterrés. Si j’avais pu le faire, ça ne les aurait pas davantage ramenés à la vie. Mais cela aurait permis de panser des blessures. C’est déjà difficile de perdre quelqu’un. La pire des choses, c’est de ne pas pouvoir lui dire au revoir comme il faut pour pouvoir faire son deuil. »

D’où l’importance de ne pas hésiter à demander de l’aide si on est soi-même endeuillé ni à aller vers les gens qui le sont.

« C’est très humain d’avoir besoin d’aide, surtout dans des temps difficiles comme ceux que l’on vit. »

Parole de survivant.

Trois autres conseils de survivants

1. Acceptez la situation telle qu’elle est, et ajustez votre quotidien et vos attentes en conséquence. Vous ne pouvez pas contrôler le monde qui vous entoure, mais vous avez le pouvoir de changer votre perspective.

2. Soyez patients avec les autres, et maintenez une attitude de tolérance et de compréhension. Essayez d’aider vos amis, votre famille, les travailleurs essentiels et les professionnels de la santé, si vous le pouvez.

3. Sachez que malgré la situation, vous pouvez continuer à vivre des moments de joie et de bonheur.

Source : Fondation pour l’étude des génocides