Confiné, sûrement l’un des mots les plus utilisés, dans les médias, depuis deux mois. Avant le mois de mars, on ne s’en servait jamais. Ou presque. On le lisait quelquefois. La plupart du temps, dans un article faisant le portrait d’une personne handicapée : « Elle est confinée à un fauteuil roulant… »

Le confinement, les personnes handicapées connaissent ça depuis longtemps. Vous savez maintenant ce que c’est. Un peu.

Je sais, vous n’en pouvez plus. Vous êtes en train de virer fou. À être enfermé dans la maison tout le temps. À ne pas pouvoir aller travailler. Ne pas pouvoir aller au gym. Ne pas pouvoir aller chez les parents, les amis. Ne pas pouvoir faire de barbecue en gang. Ne pas pouvoir voyager. Être privé de sa liberté, c’est dur. Ça mine. Ça déprime. Mais vous pouvez quand même descendre votre escalier. Vous pouvez quand même courir. Vous pouvez quand même vous étendre dans le parc. Vous pouvez quand même donner un coup de pied à l’objet qui traîne par terre, pour signifier que vous êtes tanné. La personne confinée à son fauteuil roulant ne le peut pas.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

« Combien de lieux demeurent toujours inaccessibles pour une personne confinée à son fauteuil roulant ? Il n’y a jamais eu un mouvement de masse pour que ça change. Les gouvernements n’ont jamais obligé tous les endroits publics, quels qu’ils soient, à être accessibles aux gens à mobilité réduite. Trop compliqué. Trop coûteux », écrit notre collaborateur. 

Un jour, à 13 h, quand le premier ministre Legault annoncera le déconfinement total et complet de tout le Québec, vous allez sauter de joie. Enfin ! Vous ne serez plus confiné ! La personne confinée à son fauteuil roulant le sera encore. L’hiver prochain aussi. En 2021, aussi. Elle le sera toute sa vie. Vous trouvez ça long, deux mois. Imaginez toute votre vie.

Ce serait bien si cette expérience traumatisante que la planète au complet est en train de vivre servait au moins à prendre conscience du sort des gens confinés à longueur d’année.

C’est difficile de comprendre les frustrations et les revendications des malchanceux quand on est un chanceux. Mais quand notre chance vire de bord un brin, soudain, ça devient plus concret, plus compréhensible. Plus justifié.

Pour réussir le déconfinement, la société adopte plein de mesures pour éviter une deuxième vague de COVID-19. Les commerces, les entreprises, les endroits publics doivent les respecter. Rien de plus normal. On adapte notre espace. On apporte des modifications. On opère. Pourtant, combien de lieux demeurent toujours inaccessibles pour une personne confinée à son fauteuil roulant ? Il n’y a jamais eu un mouvement de masse pour que ça change. Les gouvernements n’ont jamais obligé tous les endroits publics, quels qu’ils soient, à être accessibles aux gens à mobilité réduite. Trop compliqué. Trop coûteux. 

La crise du coronavirus prouve qu’il n’y a rien de trop compliqué, de trop coûteux. On peut tout arrêter. On peut tout changer. Pour que le système de santé ne soit pas débordé. Pour que la majorité soit bien traitée. On pourrait se forcer aussi pour qu’une minorité puisse exister dans la dignité.

Quand tout le monde aura repris sa vie normale, ce serait bien de penser à ceux qui n’auront jamais une vie normale. 

Ce qui crève les yeux, en ce moment, c’est que nous avons laissé les plus vulnérables croupir dans un trop grand état de vulnérabilité. Sans agir. Sans considérer le travail de ceux qui, malgré tout, leur venaient en aide. On n’a pas oublié seulement les personnes âgées. On a aussi oublié les personnes handicapées. En réduisant les services. En ne facilitant pas leur intégration. En les laissant en bas de la liste des priorités. En laissant aller. Parce que c’était facile de le faire. Les handicapés, comme les aînés, on ne les voit pas. Ça ne gueule pas fort. Ça ne manifeste pas. Pas de carré rouge ou plutôt de carré gris ou de carré brisé. Ça n’a pas de lobby. C’est trop occupé à juste vivre. C’est trop occupé à survivre. C’est facile à oublier.

Pour nos aînés, ça semble compris. L’ampleur de l’horreur a marqué nos consciences. On va tout faire pour que ça n’arrive plus. En espérant qu’on va réussir. C’est bien beau d’avoir l’intention, encore faut-il avoir l’application. On croise les doigts. Mais on retrousse ses manches.

Pour les personnes handicapées, il faudrait procéder aussi. Celles en fauteuil roulant et les autres. Au Québec, 10 % de la population de 15 ans et plus a au moins une incapacité. De la mobilité, de la vision, de l’audition, de l’apprentissage, du développement, de la mémoire… Une personne sur dix. Pourtant, au temps des regroupements, avez-vous vu, autour de vous, une personne sur dix être différente ? 10 sur 100 ? 100 sur 1000 ?

Non, parce qu’elles n’étaient pas là. C’était 0 sur 10, 0 sur 100. Souvent. Ou 2 ou 3 sur 1000. Parce qu’on les laisse à l’écart. Confinées. Une sur une, seules. Il faudrait que ça change.

Cela dit, toutes les personnes avec des limites ne sont pas des ermites. Il y en a plein qui gravissent des montagnes. Bousculent les conventions. Et touchent au ciel. Rien ne peut les arrêter. Même pas les regards affligés. Elles ont compris qu’on peut tout confiner, sauf l’esprit. Qu’on n’est jamais prisonnier, quand on sait penser, quand on sait rêver.

Et le rêve qui devrait occuper toutes nos pensées, c’est celui d’un monde dont on pourrait tous profiter. Ce n’est pas une question de richesse. C’est une question de liberté.

Aider, c’est libérer.

Aimer, c’est apprendre à voler.

Ça fait longtemps que les mères le savent. Bonne fête à toutes les mamans.

La mienne, je ne pourrai pas la rejoindre par Skype. Juste par sky.

Je vous embrasse.