Les chants de mes voisins hassidim sont devenus la trame sonore de mon confinement. Matin et soir, leurs prières sur le balcon rythment l’étrangeté du quotidien. Bande originale apaisante d’une époque inquiétante.

La semaine dernière, comme plusieurs de mes voisins du Mile End et d’Outremont qui cohabitent avec la communauté juive ultraorthodoxe, j’ai trouvé devant ma porte des rugelach au chocolat. Sur la boîte, un arc-en-ciel et ces mots : « Ça va bien aller ! Bonne fin de semaine ».

C’est une fillette ultraorthodoxe et ultrarapide qui assurait la livraison. Le temps d’ouvrir la porte après avoir entendu sonner, elle avait déjà filé à l’anglaise. Et avant même que je puisse goûter, mes ados confinés toujours affamés avaient tout mangé.

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Des membres de la communauté juive ultraorthodoxe du Mile End et d’Outremont ont livré des pâtisseries maison à leurs voisins non juifs pour les remercier de leur permettre de prier à l’extérieur.

Ces livraisons surprises sont une façon charmante de dire merci aux voisins non juifs qui doivent vivre leur confinement au rythme de chants quotidiens depuis la fermeture des synagogues. Selon les rites habituels hassidiques, il faut un quorum de 10 personnes pour faire les prières. Avec les mesures de distanciation physique, cela devient compliqué, voire impossible. Ainsi est née l’idée des prières sur les balcons.

Au début, Chesky Spira, père de famille qui travaille comme représentant commercial pour une entreprise de crème glacée cachère, n’en était pas particulièrement ravi. « L’aspect positif, c’est qu’on se réveille et on a la synagogue sur notre balcon. Les belles journées, c’est magnifique. J’ai le privilège de prendre du soleil en faisant mes prières ! »

Mais il craignait de déranger ses voisins. D’où son envie de les remercier. « Il y a deux semaines, ma femme a préparé des biscuits que nous avons livrés à nos voisins non juifs qui nous permettent de prier dehors. »

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Chesky Spira

Les réactions ont été très positives. « Nous avions laissé une lettre disant que nous espérions ne pas les déranger et expliquant que c’étaient nos rites religieux. Plusieurs nous ont dit : “Nous aimons votre musique et la façon dont vous chantez !” »

Depuis, le mouvement de gratitude s’est répandu dans plusieurs rues. Certains ont offert à leurs voisins leurs propres pâtisseries maison et autres cupcakes décorés d’arcs-en-ciel. D’autres, des rugelach de la fameuse boulangerie Cheskie, avenue Bernard.

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Lorsque Jennifer Dorner a reçu sa livraison et la note de ses voisins qui s’excusaient de faire du bruit et la remerciaient de sa patience et de sa compréhension, elle a eu l’impression que c’était un peu le monde à l’envers. « Leurs chants et leurs prières sont déjà un cadeau en soi. Les temps sont durs pour tout le monde sur le plan émotionnel. C’est tellement difficile d’être devant l’inconnu. Il y a les peurs légitimes que nous avons tous. Alors d’avoir ce rituel quotidien de prières et les magnifiques chants le jour du sabbat, pour moi et ma famille, c’est à la fois très réconfortant et très beau. »

Max Lieberman, qui est à la tête du comité d’action des hassidim contre la pandémie de COVID-19, a été très touché par ces réactions. « Parfois, dans les crises, de belles choses se passent. »

À cause de ses liens étroits avec New York, la communauté juive ultraorthodoxe a été plongée dans le deuil au tout début de la pandémie. La première victime de la COVID-19 à Montréal était un homme hassidique de 67 ans résidant à Outremont.

Malgré la tristesse et l’inquiétude qui demeurent, la situation est désormais maîtrisée. Les mesures de distanciation physique sont bien respectées et semblent donner des résultats, constate Max Lieberman. « Nous avons rassemblé tous les rabbins qui ont expliqué les directives et passé le mot. » Les nouvelles crève-cœur de New York ont aussi agi comme un avertissement tragique. « Quiconque aurait encore eu envie de défier les règles a réalisé que tout ça était bien réel. Les gens ont vraiment eu peur. »

Dans les premiers jours du confinement, les chants sur les balcons n’ont pas fait que des heureux, même si cela n’avait rien d’illégal. « Cela a dérangé des voisins. Et on les comprend. De voir soudainement des gens qui prient dehors, certains étaient irrités. »

Pour apaiser les tensions, on a conseillé aux membres de la communauté d’expliquer à leurs voisins ce qu’ils faisaient. « Avant Pâques, nous leur avons dit : “SVP, envoyez votre horaire à vos voisins.” Plusieurs l’ont fait. »

Ce geste de bon voisinage a été très apprécié. Et les pâtisseries pour dire « merci », encore davantage. Sans compter tous les citoyens qui ont dit à leurs voisins que ces chants qu’ils croyaient dérangeants étaient en fait apaisants. « Cela a créé une occasion de rapprocher les communautés. De nous parler. J’ai bon espoir que cela puisse avoir des effets positifs durables. Cela a créé des ponts. »

Sur ces ponts, on découvre parfois que même si nos univers sont radicalement différents, il y a quand même plus de similitudes qu’on le pense. En discutant avec Chesky Spira de la réouverture des écoles, j’ai réalisé que nos élans d’impatience avec nos enfants et nos inquiétudes ne sont pas si différents.

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Chesky Spira, sa femme Tamara et leurs enfants Yossi, 10 ans, Evrumy, 8 ans, Dina, 7 ans, Esty, 4 ans, et Shimmy, 1 an.

« Ce matin, je disais à mon fils : “Es-tu prêt à retourner à l’école ?” Il m’a dit : “Oui, mais j’ai besoin d’une autre heure de sommeil.” Et imagine-toi qu’il était déjà 10 h ! Ils se couchent tard et se réveillent tard ! »

Il était déjà midi. Et mes ados dormaient encore…

Je lui ai demandé comment il envisageait le retour à en classe. « Le monde n’a pas été construit par des gens qui ont peur, mais par des gens qui osent. Mais est-ce que je veux être le premier à oser ? Non ! » Il a éclaté de rire.

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La semaine dernière, par un samedi matin ensoleillé, en entendant les chants de ses voisins hassidim à sa fenêtre, Jennifer Dorner, productrice chez POP Montréal, en a fait une petite vidéo. « C’était très émouvant. Les chants des garçons étaient d’une telle beauté… »

La vidéo, diffusée sur Twitter, est vite devenue très populaire. Elle a été vue plus de 15 000 fois.

Regardez la vidéo

Ce qui a donné à Jennifer Dorner une idée : pourquoi ne pas inviter ces garçons à participer à l’évènement Chanter sur les balcons de POP Montréal ?

Depuis le 31 mars, Martha Wainwright et d’autres artistes invitent chaque semaine les Montréalais à sortir sur leur balcon et à les suivre en direct sur Facebook. L’idée est de se rassembler (à distance) et de chanter de façon solidaire en ces temps de pandémie.

Les voisins hassidim de Jennifer Dorner ont été très touchés par l’invitation. Si tout va bien, le mardi 12 mai à 19 h 30, les garçons chanteront du balcon de POP Montréal, sur l’avenue du Parc.

Il y a parfois de ces balcons qui sont comme des ponts.

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