La situation est revenue à la normale au CHSLD Herron, où la COVID-19 a fait un réel carnage : 75 % des résidants avaient été infectés par le coronavirus, et 46 sont morts.

« Ce que je peux vous dire, c’est qu’on a réussi à stabiliser Herron », affirme la Dre Julia Chabot, gériatre au centre hospitalier de St. Mary, qui a accepté de nous parler des deux semaines qu’elle a passées entre les murs de cet établissement privé de Dorval, l’un des plus touchés par la COVID-19.

Ce centre était sous tutelle depuis déjà deux semaines quand la spécialiste de 31 ans, mère de deux jeunes enfants, a communiqué avec le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal pour se porter volontaire. Malgré cette tutelle, les problèmes n’avaient manifestement pas été réglés.

C’était le 11 avril. « Un peu comme tout le monde », elle venait d’apprendre dans les médias l’histoire d’horreur de ce CHSLD, où on a trouvé des résidants assoiffés et affamés, certains abandonnés avec leur couche souillée.

Le jour même, Julia Chabot se faisait remplacer par une de ses collègues à l’hôpital où elle était de garde et partait au combat contre la COVID-19.

On n’est jamais prêt à vivre une pandémie. Jamais je n’aurais pensé que je vivrais cette situation. Mais j’ai été formée pour prendre soin des gens âgés. Je me suis tellement sentie interpellée ; j’avais l’impression que je pouvais aider, que j’étais bien équipée.

La Dre Julia Chabot

Les résidants de Herron tombaient alors comme des mouches. En 16 jours, 32 sont morts. Le premier décès a été constaté le 27 mars. Le ministère de la Santé a imposé la tutelle deux jours plus tard et demandé la tenue d’une enquête policière le 12 avril.

Combien de résidants ont été victimes du coronavirus ? Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal est avare de chiffres. « Selon nos derniers bilans, il y a 12 décès liés à la COVID à la résidence Herron », déclare le porte-parole Guillaume Bérubé. Cependant, il ne reste plus que 89 résidants. Avant la crise, Herron en comptait 135. Il y a donc 34 décès qui restent toujours inexpliqués, plus d’un mois après le début de l’éclosion.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Au CHSLD Herron, 34 décès demeurent inexpliqués plus d’un mois après le début de l’éclosion. Officiellement, on y recense 12 décès directement liés à la COVID-19.

« En arrivant, la première chose qu’on a faite a été d’évaluer tout le monde avec l’aide des préposées aux bénéficiaires, des infirmières et des médecins », détaille la Dre Chabot, qui a pris les choses en main.

Deux jours plus tard, l’équipe de sauvetage a transformé la résidence en un mini-hôpital.

« Normalement, un CHSLD, c’est un milieu de vie. Nous, on est arrivés avec tout notre équipement personnel de protection : le masque, la visière, la blouse, les gants. Vous pouvez imaginer les résidants sur place. On vient faire notre possible pour les aider du mieux qu’on peut. Mais c’est certain que c’est un choc pour eux. Ce n’est pas facile pour nous non plus. »

La Dre Chabot ne le cache pas : les journées ont été longues au début. De 7 h 30 le matin à 19 h 30, 20 h, parfois plus tard. Et pas de pause le week-end.

Le personnel de ce CHSLD avait en grande partie déserté les lieux. Certains étaient tombés malades, d’autres avaient fui, craignant d’attraper le virus.

« On a essayé de mettre les choses en œuvre pour pouvoir aider les gens le plus possible, un peu comme on fonctionnerait dans un hôpital, explique la médecin. Tous les jours, on s’assurait de prendre les signes vitaux des résidants. Normalement, ce n’est pas quelque chose qu’on va faire dans un milieu de vie. On a même donné des liquides par intraveineuse. Et tout ça, évidemment, c’est un grand travail d’équipe. »

Des collègues médecins, des préposées et des infirmières sont venus prêter main-forte.

« Tout le monde est arrivé d’un peu partout de façon complètement bénévole », précise la gériatre qui a coordonné les opérations, fait les horaires et s’est assurée qu’il y avait des soignants de jour comme de nuit.

Armée de volontaires

Le député de Nelligan, Monsef Derraji, fait partie de ceux qui ont levé la main. Jusqu’à vendredi dernier, il était préposé aux bénéficiaires de 15 h à 23 h.

« J’avais un horaire très chargé, dit-il. Je jonglais entre mes rencontres au bureau, des appels conférences, les séances virtuelles au Parlement. J’avais aussi des engagements en tant que député. Donc, il fallait que je continue à travailler. C’était pas mal rock’n’roll, comme on dit. »

Formé en sciences, en gestion pharmaceutique et en organisation des soins, ce père de deux jeunes enfants savait à quoi s’attendre.

Ce n’était pas une surprise de me ramasser dans un terrain pareil. Le choc, c’était le chaos.

Monsef Derraji, député et bénévole au CHSLD Herron

« Les résidants n’avaient pas l’habitude de voir des gens avec des masques, des blouses, des gants, des civières, poursuit-il. Ce n’est pas tout le monde qui a des démences dans un CHSLD. Il y a des gens autonomes, des gens qui parlent. Et c’est là où j’ai été très affecté : une bonne partie de ces gens ne comprenait pas ce qui se passait, mais d’autres comprenaient. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Une dame communiquait avec un proche hébergé au CHSLD Herron, le week-end dernier.

Travailler dans une zone COVID, ce n’est pas facile non plus. « C’est comme un terrain miné et tu dois éviter les mines pour que ça n’explose pas sur toi, illustre le député. C’est sur trois étages, et on ne sait pas où sont les mines parce qu’elles sont invisibles. Donc, s’habiller, ça prend presque une demi-heure. Se déshabiller, c’est une autre demi-heure parce que tu dois prendre les choses vraiment au sérieux. »

La Dre Julia Chabot ajoute : « Le travail est difficile, mais les gens sont dévoués, ils sont fiers de travailler auprès des résidants. On a eu la chance d’avoir une équipe extraordinaire. »

Ç’a été fantastique de voir la collaboration sur le terrain. Tout le monde est sorti de son rôle. Je suis médecin, mais j’ai fait d’autre chose que d’être juste un médecin. Les infirmières sont aussi sorties de leur rôle pour aider les préposées.

La Dre Julia Chabot

Depuis une semaine, Mme Chabot, estimant que la situation est stabilisée dans cette résidence, va donner un coup de main dans un autre CHSLD en éclosion. Cela ne l’empêche pas d’appeler à Herron tous les jours, de participer aux réunions par téléphone et d’aller faire son tour la fin de semaine.

« Je veux vraiment essayer d’aller aider où je peux le faire le plus possible. »

Les infirmières envoyées par le CIUSSS ont aussi quitté les lieux à la fin de la semaine dernière.

« Le personnel de Herron qui était en quarantaine est revenu au travail », précise Johanne Riendeau, présidente du Syndicat des professionnelles en soins de santé de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

« Ce n’est pas parfait parce qu’il n’y a rien de parfait en temps de pandémie, mais c’est le jour et la nuit avec la situation d’avant. Depuis plusieurs jours, de bons soins sont donnés aux résidants de Herron. »