(Toronto) Des experts juridiques croient que les nombreuses actions collectives qui découleront des nombreuses tragédies survenues dans les maisons de soins de longue durée dépendront ce qui sera considéré comme des soins raisonnables pendant une pandémie.

L’actuelle pandémie de la COVID-19, qui a frappé les personnes âgées de manière disproportionnée, constitue une toile de fond unique et sans précédent pour des actions collectives, qui ont vu le jour en Ontario et au Québec au cours des dernières semaines, estiment ces experts.

Selon l’avocat torontois Michael Smitiuch, bien que les maisons de soins ne puissent pas être blâmées pour la pandémie, elles peuvent être tenues responsables des décès inutiles et évitables.

« Une crise comme celle-ci ne donne pas aux établissements de soins infirmiers un laissez-passer gratuit pour négliger les personnes âgées. Je pense que la Justice va regarder cela sous l’angle de ce qui était raisonnable dans les circonstances », avance-t-il.

Me Smitiuch croit que l’enjeu des débats sera la question des normes de soins pendant une pandémie. « Les tribunaux se pencheront probablement sur les exigences et les directives données par les ministères de la Santé, l’Organisation mondiale de la santé et d’autres organismes similaires pour évaluer si des accusés ont été négligents. »

Le nouveau coronavirus a ravagé les résidences pour personnes âgées privées et gérées par les gouvernements, en particulier dans les deux plus grandes provinces du Canada. Une très forte proportion des 3000 décès rapportés au pays se situe parmi cette classe de la population.

Les règles et les normes applicables aux établissements de soins infirmiers ont évolué rapidement à mesure que les responsables de la santé publique ont réagi à la crise. Plusieurs provinces interdisent désormais au personnel de travailler dans plusieurs établissements.

Cependant, un certain nombre de demandes d’actions collectives allèguent une négligence de la part des gouvernements ou des propriétaires d’établissements de soins infirmiers dans leur gestion de la crise.

Au Québec, le fils d’une femme de 94 ans décédée de COVID-19 dans l’une des installations les plus touchées de la province a déposé une demande d’action collective contre le CHSLD Ste-Dorothée, un établissement public.

Entre-temps, un cabinet d’avocats de Toronto a signifié au gouvernement provincial un projet d’action collective au nom de tous les Ontariens vivant dans des établissements de soins de longue durée.

Il allègue que les échecs de la province dans la supervision des installations ont entraîné des maladies et des décès évitables généralisés pendant la pandémie.

Une autre poursuite de ce genre intentée par deux hommes de l’Ontario dont les mères sont décédées des suites de COVID-19 vise Revera, une entreprise privée d’établissements de soins infirmiers.

Aucune requête n’a encore été permise. Les allégations n’ont pas encore subi le test des tribunaux.

Scott Stanley, un avocat spécialisé en dommages corporels à Vancouver, dit que ces actions collectives et celles qui seront intentées au cours des prochains mois seront confrontées à de nombreux obstacles pour répondre aux critères de négligence.

Il peut être difficile pour les plaignants de prouver que les actions ou l’inaction de l’établissement sont à l’origine des décès.

« Si la théorie est que les travailleurs ont pu aller d’un domicile à l’autre et transmettre le virus, eh bien ! C’est une théorie, mais on doit prouver de manière factuelle que cela a vraiment affecté ou infecté d’autres personnes », souligne-t-il.

Les gouvernements pourraient également adopter des lois pour se protéger contre les poursuites liées à la COVID-19, bien qu’il y ait un « débat très vivant » sur la question de savoir s’ils peuvent empêcher les cas impliquant des violations des droits garantis par la Charte, fait-il valoir.

Ces lois sont généralement « très impopulaires » sur le plan politique, ajoute Me Stanley.

Même si l’une des actions collectives demandées aboutit, les plaignants pourront être choqués de constater que les dommages qu’ils recevront seront minimes.

« Les gens ne sont pas indemnisés pour la perte de camaraderie, la perte d’amitié d’une personne âgée décédée, indique l’avocat. On est indemnisé essentiellement pour la perte d’avantages économiques qu’elle nous apportait. La plupart des personnes âgées ne sont pas en mesure de fournir des avantages économiques. Dans de nombreux cas, ces demandes ne valent en fait rien. »

Dans des cas vraiment flagrants, une maison de soins infirmiers pourrait subir des dommages-intérêts punitifs, qui seront censés dissuader certains comportements, avance Me Smitiuch.

Les gouvernements devraient également envisager une enquête sur la manière dont les établissements de soins pour les personnes âgées ont répondu à la crise, suggère-t-il.

« Ce serait quelque chose qui sera précieux pour l’avenir, car nous serons sans aucun doute confrontés à quelque chose comme ça dans l’avenir. »

Trois ordres professionnels au Québec ont déclaré qu’ils mèneraient une enquête conjointe sur la situation dans les établissements pour personnes âgées et les centres de soins de longue durée depuis le début de la pandémie de COVID-19.