Partout au Québec, la COVID-19 menace les congrégations religieuses, où des milliers de sœurs âgées habitent dans une grande proximité et où il manque souvent de personnel soignant. Des professionnels de la santé s’inquiètent de voir ces anciennes enseignantes, infirmières, missionnaires et bénévoles oubliées de tous en pleine pandémie.

« C’est beaucoup de monde certain ! Mais personne n’en parle ! »

Angèle Rizzardo se tient bien droite devant la maison-mère des sœurs du Bon-Conseil, boulevard Gouin Est, à Ahuntsic. « Sœur Angèle », ancienne animatrice de télévision, auteure de livres de cuisine, professeure à la retraite de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie, chevalière de l’Ordre national du Québec, porte maintenant un masque chaque fois qu’elle sort. Ça ne l’a pas rendue moins volubile.

« Il faut prendre les choses au sérieux, imaginez si ça rentre dans une maison comme ça », dit-elle au sujet du nouveau coronavirus. La maison-mère de sa congrégation abrite une quarantaine de sœurs. À l’approche de ses 82 ans, sœur Angèle refuse de se considérer comme « vieille » (le mot l’irrite suprêmement), mais elle est consciente que l’âge avancé des religieuses les met à risque, après une vie à se préoccuper du sort des autres.

« Ce sont des femmes qui ont donné beaucoup dans les œuvres sociales », dit-elle.

Elle-même continue de se consacrer à plusieurs œuvres de charité et fait de l’animation dans des résidences pour personnes âgées. Pendant l’entrevue, son téléphone sonne, et elle s’interrompt pour y répondre. Le volume du combiné est monté au maximum et on entend son interlocutrice l’implorer : « Priez pour nous, ma sœur. »

« C’était une femme, son père est mort de la COVID-19. Je ne la connais pas, mais elle voulait que je prie pour elle. Plein de monde m’appelle ! », lance la religieuse après avoir raccroché.

Une situation unique au Canada

Conséquence de l’héritage catholique canadien-français, le Québec est de loin l’endroit au Canada où l’on retrouve le plus de congrégations, avec 70 % des religieux et religieuses de tout le pays. Cela représente 8131 personnes, en très grande majorité des femmes âgées, selon les chiffres de la Conférence religieuse canadienne.

La semaine dernière, La Presse relayait un appel à l’aide des sœurs de Sainte-Croix, à Saint-Laurent, où on comptait plusieurs décès et déplorait un manque criant de personnel soignant et de matériel médical.

Cette situation n’est pas unique, souligne la chirurgienne Valérie Julie Brousseau, qui travaille auprès de plusieurs communautés religieuses afin de les aider à traverser la pandémie. La Presse l’a jointe samedi alors qu’elle était en route vers le monastère des Antoniennes de Marie, à Chicoutimi, après un passage chez les Dominicaines missionnaires adoratrices, à Beauport.

Je leur dis : “La question n’est pas de savoir si ça va rentrer, mais quand ça va rentrer.”

Valérie Julie Brousseau

Elle souligne que ces communautés forment des milieux particulièrement propices à la propagation du virus.

« En CHSLD, les gens ont leur plateau pour manger à leur chambre. Dans les communautés religieuses, elles partagent tout, plusieurs fois par jour. Le risque est partout dans la maison ! », dit-elle.

Éviter d’engorger le système

La chirurgienne suggère aux congrégations de fragmenter la communauté en plus petits groupes, de désigner des proches aidants dans chaque sous-groupe, d’installer du désinfectant à mains dans les lieux communs, de faire porter un masque aux employés.

À Chicoutimi, les Antoniennes de Marie ont été durement touchées. Quatre religieuses sont mortes, une vingtaine ont été infectées, dont toutes les personnes en autorité. Si le virus se répand dans certaines communautés très nombreuses, l’impact pourrait se faire sentir sur le réseau de la santé, croit la Dre Brousseau.

« On parle de plus de 8000 personnes, ce n’est pas négligeable. Vu leur condition, elles ont plus de risques de se rendre à l’hôpital si elles tombent malades. On ne veut pas engorger le système », dit-elle.

Manque de personnel

Plusieurs congrégations manquent de personnel soignant, notamment parce que les conditions de travail y sont moins avantageuses qu’ailleurs. Les employés n’ont pas droit à la prime salariale accordée aux travailleurs de la santé dans le système public pendant la pandémie.

« Il nous manque beaucoup de personnel. Quand le gouvernement a dit qu’il ne fallait pas se déplacer d’une résidence à une autre, plusieurs collègues qui travaillaient à plus d’un endroit ont choisi de travailler ailleurs, car il y avait plus d’avantages », explique Farid Larab, président du syndicat des employés à la maison-mère des sœurs de la Providence, où habitent 600 religieuses dans le nord de Montréal. Là-bas, la moyenne d’âge est de 88 ans et on recense plusieurs cas de COVID-19.

Les vacances de tous les employés restants ont été annulées. « Ça va, mais les gens sont fatigués, stressés, ils veulent se reposer et évacuer un peu le stress. »

« Ceux dont les vacances ont été annulées, on le voit sur leur face », dit M. Larab, en déplorant la situation « injuste » dans laquelle se trouvent ses collègues.

« Nous, on a reçu 10 % de prime de l’employeur le 12 avril, mais peut-être que c’est venu trop tard, parce que beaucoup avaient déjà choisi de travailler ailleurs », explique de son côté Amina Halla, présidente du syndicat des employés à l’infirmerie des sœurs de Sainte-Croix. Mme Halla est actuellement confinée à la maison, après avoir contracté le virus en même temps que plusieurs travailleurs.

Prime réclamée

La Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, qui représente des centaines d’employés d’établissements religieux, entend faire pression pour que le gouvernement aide les congrégations à accorder une prime à leurs employés.

« Les gens ne sont pas toujours conscients que ça existe. Ça passe sous l’écran radar. Pourtant, c’est la même vocation que les gens qui travaillent dans les CHSLD. Ils offrent des soins tout à fait semblables », explique Lucie Longchamps, vice-présidente de la Fédération.

« Il y a des liens très étroits entre les religieuses et ces travailleurs. Ils aiment énormément la clientèle. On tente de les mettre de l’avant. Le virus, lui, ne fait pas la différence entre les travailleurs qui ont la prime et ceux qui ne l’ont pas », dit-elle.