Si nous suivons fidèlement les mesures prises par le gouvernement pour contrer l’épidémie de COVID-19, ce n’est pas parce que nous sommes particulièrement disciplinés, obéissants ou dociles, c’est parce qu’on a la chienne. Tout simplement. On a peur. Et c’est bien correct.

Au commencement, on était insouciants, comme toujours. Souvenez-vous, début mars. On était déjà tannés d’en entendre parler. On faisait des blagues en commandant une Corona, dans un tout-inclus au Mexique. Ça riait. Ça postillonnait. Ça allait bien. Zéro peur. 

Puis on est revenus de la semaine de relâche. Et tout est allé très vite. Le virus, lui, n’avait pas relâché. Il n’était plus seulement en Chine. Il avait traversé l’Europe et débarqué chez nous. On a commencé à s’inquiéter. Pas la grosse angoisse. Juste le petit stress. Tout d’un coup que… Mais Donald Trump n’avait toujours pas l’air de s’en faire. Il appelait ça une grippe d’homme. Une grippe dumb, dans son cas. Ça nous rassurait.

Puis le 12 mars, on a arrêté de rigoler. Parce que le 12 mars, quelque chose de très important s’est passé. Ou, plutôt, quelque chose de très important ne s’est pas passé. Le 12 mars, le Canadien devait recevoir les Sabres de Buffalo, au Centre Bell. Et le match a été annulé. 

Pourquoi ? À cause du virus. 

On a finalement allumé. S’il n’y a plus de hockey, c’est que ça doit être vraiment grave ! Ça doit être un mégavirus que même Carey Price ne peut pas arrêter. 

Les autorités nous l’ont confirmé. Méchant virus mortel. C’est là que la peur nous a saisis. D’aplomb. On s’est garrochés sur le papier de toilette. Car la peur, c’est bien connu, donne mal au ventre. On s’est barricadés dans la salle de bains. Au lieu de se laver les mains toutes les deux heures, on se lavait les mains pendant deux heures. On ne prenait pas de risque. 

Le gros coup est arrivé quand Charles Tisseyre nous a expliqué le mot exponentiel. De 1 à 2 à 4 à 16 à 256 à 65 536 à 4 294 967 296. Quoi ! Il faut rester à maison ? On va rester à maison. Tout pour ne pas croiser l’exponentiel.

Après quelques jours, le mal de ventre est passé. La faim est revenue. On s’est mis à faire du pain. Et de la brioche, surtout autour du ventre. 

Ça va faire bientôt deux mois qu’on est confinés dans nos maisons avec la peur à nos côtés. On commence à être habitués à sa présence. Intime, je dirais, même. On se promène en mou devant elle. Sans gêne. Des longs bouts, on oublie qu’elle est là. On regarde le monde faire des niaiseries sur TikTok. On rit. On a le goût d’inviter les voisins à venir jouer à Twister. 

C’est là que la peur est utile. Elle nous montre le journal. Trois millions de personnes atteintes dans le monde. Plus de 200 000 morts, dont plus de 2000 au Québec. On se calme un peu. Elle nous faire lire un tweet : « C’est une maladie effroyable. Qui peut s’attaquer à tous les organes, les poumons, le cœur, les reins, le foie, les yeux, le cerveau. » OK, on va oublier le Twister.

Si la peur nous a aidés à rester confinés, c’est elle qui doit nous aider à nous déconfiner. Parce qu’on n’aura pas le choix de sortir avec elle. 

Ce ne sera pas évident. Parce qu’elle va vouloir rester en dedans. Elle est très possessive, la peur. Elle est contente de nous avoir juste à elle. Elle n’aime pas nous partager. Ça va prendre bien du courage pour la convaincre d’aller dehors. Mais il faut y parvenir. Lui dire qu’elle aura encore son utilité. Pour nous pousser à être prudents. À respecter les consignes. À nous protéger et à protéger les autres.

Nous sommes des millions à avoir peur, depuis des semaines, pourtant, nous n’en parlons pas. On garde ça pour nous. Ça fait faible. Pas sûr. La peur peut être une force, quand on sait la canaliser. Tous les héros qui travaillent dans les hôpitaux et les centres d’accueil la connaissent bien. Elle ne les paralyse pas. Au contraire, elle les fait agir.

Puisque si l’arc-en-ciel le veut, nous retournerons, tous, dans l’action, un jour ou l’autre, apprenons à nous en servir, nous aussi.

Aujourd’hui, il va faire beau. N’ayons pas peur d’en profiter. Je ne suis pas inquiet. Le beau temps est un grand séducteur. On va succomber. Gardons-nous seulement juste assez de peur pour ne pas tout gâcher. Notre bonheur, en ce moment, est comme le soleil. Si on ne garde pas une distance, il va nous brûler.

Joli mois à tous ! Aimez mai !