Certains n’ont eu que cinq ou dix minutes pour dire adieu à leurs enfants, parfois même seulement au téléphone. Beaucoup sont morts sans un proche pour leur tenir la main. Alors que le bilan dépasse maintenant les 2000 morts au Québec et que funérailles des octogénaires et des nonagénaires si lourdement touchés par la COVID-19 doivent être reportées, La Presse a voulu saluer cette génération à travers le récit de la vie de quelques-uns d’entre eux, tel que raconté par leurs enfants.

Une tombée du rideau particulièrement cruelle

« C’est une génération qui n’était particulièrement pas préparée à avoir une fin comme celle-là », commence Gérard Bouchard, sociologue et historien.

Bien sûr, personne n’a jamais eu envie de mourir seul, en pleine angoisse sociale, à se demander s’il sera le prochain de l’étage à rendre son dernier souffle. Mais pour ces gens nés dans les années 30 et 40, cette tombée du rideau apparaît particulièrement cruelle à M. Bouchard.

PHOTO MAXIME PICARD, ARCHIVES LA TRIBUNE

Gérard Bouchard, sociologue et historien

Nés après la Grande Dépression et autour de la Seconde Guerre mondiale, les octogénaires et les jeunes nonagénaires d’aujourd’hui « ont été élevés dans des familles relativement pauvres, dans un Québec où la mortalité infantile était élevée et les accidents de travail, nombreux ».

C’était un Québec rude, sans filet, où il ne fallait surtout pas tomber malade « parce que le médecin, ça coûtait cher ».

Au gré de l’arrivée de la radio, du téléphone, de l’assurance maladie et de tout ce qu’a apporté la Révolution tranquille – on a même marché sur la Lune ! –, « ils sont allés d’émerveillement en émerveillement ». « Puis tout s’est brisé pour eux à la toute fin. C’est bien ce qui rend leur mort particulièrement tragique. »

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Buzz Aldrin Jr. a marché sur la Lune en 1969.

Dans leur enfance ou leur adolescence, ils ont donc souvent vu mourir un petit frère, une petite sœur ou même leur mère, en couches. Parfois, le père ne revenait pas du chantier.

En contrepartie, ils ont grandi à une époque « où les familles étaient encore des cellules, où les solidarités naissaient et duraient ». La foi leur a apporté du courage, à eux comme à leurs parents. À quel point est-ce encore le cas en cette période qui charrie tant d’angoisse ? Dans quelle mesure la foi accompagne-t-elle ceux qui meurent, comme elle a accompagné ceux qui ont vécu la grippe espagnole et d’autres pandémies, guerres et cataclysmes ?

M. Bouchard se le demande bien, tant l’Église, « qui a si longtemps réglé leur vie, multiplié les contraintes et caché la sexualité sous le boisseau », a éloigné beaucoup d’entre eux de la religion.

La Révolution tranquille qui change tout

Comme ce sont des gens nés dans les années 30 et 40 qui meurent en cette pandémie, la tentation est d’en parler comme s’ils étaient d’une même génération, alors qu’en fait, un monde les sépare, fait remarquer M. Bouchard.

Le fossé entre les gens nés en 1930 et en 1940 est bien plus grand que celui qui sépare ceux qui sont nés en 1990 et en 2000.

« Avoir 20 ans ou 30 ans en pleine Révolution tranquille, ça fait toute une différence. À 20 ans, on commence sa vie, on participe au changement. À 30 ans, à l’époque, on avait déjà une famille, un emploi, des responsabilités. »

Ont-ils été des bâtisseurs, comme l’a dit le premier ministre François Legault ? Ont-ils dû s’adapter à plus de changements que n’importe quelle génération ? Chacune à son tour, chacune à sa façon, les générations qui se succèdent apportent leur contribution, celle-là comme les autres, répond M. Bouchard.

Si chacune avait aussi ses caractéristiques propres, de façon générale, pour M. Bouchard, les gens nés dans les années 30 et 40 étaient en bonne partie des gens « généreux, vaillants, intègres, qui ne trichaient pas avec la vie ».

Gérard Plante et Huguette Lefebvre : « Mon père et ma mère ont vécu dans l’ombre jusqu’à la toute fin »

Une histoire racontée par Julie Plante, leur fille cadette

« Mon père, Gérard Plante, est né en 1926 à L’Épiphanie. Il était le deuxième de sept enfants – deux autres étaient morts en bas âge.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Un amour qui durera plus de 60 ans...

« Tous les enfants participaient aux travaux de la ferme. Ils avaient des vaches, des chevaux, plusieurs cochons et une vingtaine de poules. Ils cultivaient le foin, l’avoine, le sarrasin et le maïs. Ils avaient aussi un jardin et tous les enfants étaient mis à contribution pour les cannages. Il fallait toujours prévoir de bonnes provisions parce qu’ils vivaient au rythme des saisons.

« Ma mère, Huguette Lefebvre, avait du sang italien par sa grand-mère, qui était arrivée par bateau au Québec depuis New York. Ma mère était fille unique. Son père, un homosexuel, est parti du foyer pour vivre avec son compagnon, jusqu’à la fin de ses jours.

« Mon grand-père n’envoyait que de maigres sommes d’argent à sa famille, de sorte que ma grand-mère et ma mère ont dû travailler à temps plein pour joindre les deux bouts. Ma grand-mère faisait de l’entretien ménager, ma mère avait un emploi dans une imprimerie du centre-ville. »

« Ma grand-mère ne s’est jamais remariée. Elle a vécu en concubinage pendant plus de 30 ans avec un cuisinier, une âme généreuse qui a été comme un père pour nous.

« C’est dans cette famille recomposée avant la lettre qu’a grandi ma mère et dans laquelle est entré mon père, non sans un petit choc pour mes grands-parents paternels.

« Avant de se marier, ma mère a suivi un cours dans une école de commerce, puis elle a travaillé à l’imprimerie. Elle versait tout son salaire à sa mère.

« Mes parents se sont mariés en 1957.

« Ils ont habité de 1962 à 2013 dans la même maison, dans Ahuntsic, à Montréal. Ils l’ont payée comptant, 23 000 $.

« Ils ont eu trois enfants. Les deux premières ont été adoptées à la Crèche de la Miséricorde. Pour leur deuxième enfant, ils souhaitaient un garçon, mais quand ils ont vu celle qui allait devenir ma sœur, qui était toute chétive et qui vomissait tout le temps, ils ont cru, à tort, qu’elle allait mourir. C’est donc elle qu’ils ont adoptée pour alléger ses souffrances.

« Je suis née ensuite. Je suis le bébé miracle. Ma mère n’aurait jamais cru pouvoir tomber enceinte !

« Mon père a trimé dur. De 1944 à 1987, il a travaillé pour CP Rail. Au début, son travail consistait à charrier le charbon pour alimenter en continu les fournaises de la locomotive.

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Gérard Plante, fier employé de CP Rail

« Même si c’était un travail absolument éreintant, mon père disait que c’était son plus beau temps, qu’il n’y avait rien de plus noble que de transformer une force physique en une force mécanique.

« Quand il a eu sa première paye, il a acheté à sa sœur cadette un petit carrosse pour sa poupée, ce dont elle rêvait depuis des années.

« Ma mère nous a en quelque sorte élevées seule parce que mon père, qui travaillait de nuit et qui était sur une liste de rappel, ne savait qu’à la dernière minute où il allait travailler et pour combien de jours.

« Les transferts bancaires n’existaient pas, dans le temps. Il fallait attendre le retour de mon père pour avoir de l’argent. Il est arrivé qu’on mange de la soupe aux pois plusieurs soirs d’affilée !

« Ma mère s’occupait de toute la maisonnée, elle s’occupait du budget familial, des courses, des fêtes de toutes sortes. Comme elle était fille unique, elle s’est occupée seule jusqu’à la fin de sa mère atteinte d’un cancer généralisé.

« Dans les années 50, mon père a été impliqué dans une collision de train. Son collègue, qui conduisait, était ivre et somnolent. Par compassion pour lui, mon père a été le seul à refuser de le dénoncer à l’employeur.

« Le temps de l’enquête, mon père est allé travailler comme emballeur chez Steinberg et il cultivait et vendait des fruits et des légumes aux voisins. Je crois bien qu’il en donnait plus qu’il en vendait ! Même à cette époque difficile de sa vie, il refusait que quiconque dans son entourage manque de quoi que ce soit.

« Il a été réintégré et il est devenu ingénieur de train.

« La maison de mes parents se trouvait à côté de l’entrée du parc de la Visitation. Mes parents parlaient à tout le monde, offraient des verres d’eau ou un verre de fort s’ils voyaient que la personne filait un mauvais coton. »

« C’est comme cela qu’ils ont connu, puis qu’ils sont venus en aide à de nouveaux arrivants haïtiens, italiens, portugais, grecs, syriens…

« Mes parents étaient aussi de grands donateurs de l’oratoire Saint-Joseph. Je pense que c’est en reconnaissance au frère André, à qui ils attribuaient la guérison de l’œil de mon grand-père.

« Une grande partie de l’argent familial allait aux prêtres missionnaires et à d’autres œuvres. Il m’arrivait de penser qu’on mangerait un peu moins de boîtes de conserve si tout l’argent n’était pas distribué ainsi aux plus nécessiteux !

« À part aller à Québec, faire le tour de la Gaspésie et aller en Floride, mes parents n’ont jamais voyagé.

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Jour de pique-nique entre sœurs. Sur la photo, Johanne, Nathalie et Julie, les trois filles du couple

« Ma mère ne s’est jamais gâtée. Les robes, les chaussures neuves, c’étaient pour nous, ses filles. Ma mère s’est toujours consacrée à ses enfants et à son mari.

« À la fin de sa vie, je lui ai demandé si elle avait des regrets. Elle m’a dit qu’elle n’en avait qu’un seul : qu’après tout, par moments, elle aurait bien pu s’offrir quelques gâteries, voir un peu de pays. Mais elle a vite ajouté que les voyages, elle les avait faits à travers tous ses proches qui étaient originaires de pays étrangers.

« Mes parents ont vu le Québec changer à la vitesse grand V et ils ont embrassé tous les changements. Mon père aurait voulu vivre jusqu’à 100 ans pour voir le plus de progrès technologiques possible. Il en était fasciné.

« Mon père et ma mère ont vécu dans l’ombre, ils ont mené une vie d’abnégation jusqu’à la toute fin. Mon père disait tout le temps qu’on ne payait pas assez d’impôts. Il avait en horreur toute idée de soins à deux vitesses.

« Dans les dernières années de leur vie, ils habitaient dans un appartement, boulevard Gouin. En octobre 2019, on a dû faire admettre mon père à l’Institut de gériatrie et ma mère est restée chez nous.

« Le 19 février, ils ont tous les deux eu une place dans le même CHSLD. Quand ils se sont enfin retrouvés, ils s’embrassaient à n’en plus finir, c’en était presque embarrassant ! Ils passaient tout leur temps collés, dans le même lit.

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Le 19 décembre, à l’Institut de gériatrie de Montréal

« Ils sont tous les deux morts de la COVID-19, à six jours d’intervalle.

« Aucun des deux n’a voulu de masque d’oxygène. Ils ne voulaient pas “être de trouble”, “coûter cher au système”.

« Toute leur vie, mes parents ont incarné l’amour le plus pur, le plus dévoué qui soit, avec une grande foi en Dieu et une résilience qui leur a fait accepter toutes les épreuves et même les considérer elles aussi comme de beaux moments de la vie.

« En les transférant dans ce CHSLD, j’ai du mal à m’empêcher de penser que je leur ai donné la mort. Je me console en pensant qu’ils sont morts ensemble, en amoureux, comme ils le voulaient.

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Ensemble jusqu’à la mort

« Heureusement, ils sont décédés tôt dans la pandémie, ce qui leur a évité toute l’angoisse de voir tant de morts autour d’eux.

« J’ai pu parler à ma mère une dernière fois au téléphone. Pas à mon père.

« Je ne les ai pas revus.

« Le deuil est difficile, mais nous préparons de grandes fêtes pour honorer leur mémoire. Leur amour vivra toujours en nous et à travers nous. »

Lucile Gauthier, 1932-2020 : « Ce que je retiendrai de ma mère, c’est sa bonté sans limites »

Une histoire racontée par Diane Brissette, sa fille

« Ma mère est née à Joliette en 1932. Elle avait quatre sœurs. Alors qu’elle était enfant, ses parents ont déménagé à Montréal, dans ce qu’on appelait le Faubourg à m’lasse, dans le Centre-Sud de Montréal.

« Elle avait 13 ans quand la Seconde Guerre mondiale s’est terminée. Ce jour-là, toutes les cloches de Montréal ont sonné, nous a-t-elle raconté.

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Au camp Papillon à Saint-Alphonse-de-Rodriguez, dans Lanaudière, avec ses parents Albert Gauthier et Hélène Malo

« Elle a fait ses études d’infirmière à l’hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc, au coin de Prince-Arthur et Saint-Urbain, puis elle a travaillé à l’hôpital Saint-Luc.

« À cette époque, les infirmières vivaient sur place – en fait, juste en face de l’hôpital. Elles étaient nourries et logées. Ma mère gagnait 8 $ par mois.

« Elle m’a toujours dit que sa force, comme infirmière, c’était sa capacité à consoler, à rassurer, à tenir la main des malades.

« Elle a épousé mon père à 28 ans et elle a pris son nom, comme c’était de mise dans ce temps-là.

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Lucile Gauthier et Léo Brissette, le jour de leur mariage

« Elle a toujours dit qu’elle l’avait choisi parce que c’était un homme intelligent et travaillant, comme l’étaient mes grands-parents paternels.

« Comme c’était d’usage, dans le temps, ma mère a alors abandonné sa profession d’infirmière pour se consacrer à nous, ses trois enfants qu’elle a eus coup sur coup, en 1962, 1963 et 1964.

« Mon père, un ingénieur civil, était le pourvoyeur de la famille. Le jeudi, il donnait de l’argent à ma mère, qui partait faire la commande chez Steinberg et qui nous achetait parfois quelques gâteries au Woolco.

« Tous deux d’origine modeste, ils n’étaient pas du genre à y aller de dépenses intempestives.

« Quand j’avais 6 ans, nous sommes allés visiter La Manic. C’était important pour mon père qui, jeune étudiant, avait fait de l’arpentage en vue des grands chantiers hydroélectriques.

« Mon père était féru d’histoire et, comparativement aux gens de leur époque, mes parents ont beaucoup voyagé.

« En 1972, nous sommes allés aux îles Canaries ! Puis, ça a été l’Espagne, la France, la Californie et, tous les étés, une petite virée à la mer, à Ocean City ou à Virginia Beach. Toujours en famille. Mes parents n’auraient jamais pensé partir sans leurs enfants.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Lucile avec ses trois enfants

« Les Beatles, la période hippie, tout ça, c’est arrivé après, alors qu’ils avaient déjà une famille et des responsabilités.

« Leur époque, c’était plutôt Elvis Presley, Chuck Berry, puis Claude Léveillée, les grands classiques de la chanson française.

« Ma mère, comme mon père, était la générosité incarnée. Un jour où elle était allée à l’épicerie, elle a croisé quelqu’un qui était handicapé. Ça a fini par une invitation à venir souper à la maison le soir même. »

« Mes parents étaient comme cela, ouverts aux autres.

« Mon frère a épousé une Indienne qui est restée chez nous tout un été. Ma mère ne parlait pas anglais, ma belle-sœur ne comprenait pas le français, mais elles se sont tout de suite adorées !

« Sans être une grande féministe – la répartition des tâches était très traditionnelle à la maison –, ma mère aimait écouter Femme d’aujourd’hui et Janette Bertrand.

« Elle est restée active jusqu’à un âge très avancé.

« À 80 ans encore, elle a fait une croisière. À 60 ans, avec sa sœur et son beau-frère, elle est allée en Inde où ils ont tous été accueillis dans la famille de ma belle-sœur.

« Ma mère était profondément croyante. Chaque année, c’était sacré, nous faisions notre tour annuel à l’oratoire Saint-Joseph. Elle faisait confiance au frère André, que ma grand-mère avait rencontré en personne au collège Notre-Dame, du temps où il était portier.

« Ma mère disait qu’on pouvait tout demander au frère André.

« Elle n’allait pas nécessairement à la messe toutes les semaines – il y avait tant à faire –, mais Le jour du Seigneur, à la télévision, c’était très important !

« Pour mes parents, l’éducation était primordiale. Mon père croyait aussi beaucoup aux vertus du sport. Dès que nous manifestions l’envie d’apprendre le ski, le ballet ou la gymnastique, c’était oui.

« Nous avons d’ailleurs assisté à beaucoup de compétitions aux Jeux olympiques, à Montréal.

« C’est ma mère qui m’a donné l’idée de ma profession. “Pourquoi ne deviendrais-tu pas pharmacienne ?”, m’a-t-elle un jour demandé.

« Ce que je retiendrai toujours de ma mère, c’est sa bonté, sa générosité sans limites.

« En raison des contraintes des visites liées à la COVID-19 là où elle habitait, nos adieux ont été trop brefs. »

Georgette Laramée 1923-2020 : derrière la fenêtre

Une histoire racontée par sa fille, France Boulet

« Ma mère est née dans Lanaudière, en 1923. Ses parents ont eu 19 enfants, dont deux sont morts quand ils étaient bébés.

« Ma mère a surtout grandi à Montréal. Son père, qui était menuisier, a travaillé presque toute sa vie comme homme à tout faire pour les frères capucins.

« La famille n’était pas riche. Les enfants étaient cinq ou six par chambre et ils n’avaient pas leur propre lit.

« Ma mère a cessé d’aller à l’école à 12 ou 13 ans pour aller faire des ménages et rapporter un peu d’argent à la maison. »

« C’était comme cela. Ma mère a toujours dit qu’elle avait eu une enfance heureuse, bien entourée, comme me l’ont toujours dit aussi mes oncles et tantes. »

« “As-tu toujours eu de quoi manger ?”, lui ai-je un jour demandé. Elle a paru surprise de ma question, elle disait que ses parents se sont toujours bien débrouillés.

« Bien sûr, il y a eu pas mal de repas qui se résumaient à des beurrées de ceci ou de cela, mais ma mère assure n’avoir jamais manqué de quoi que ce soit, de toute sa vie, d’ailleurs. Elle ne voyait toujours que le bon côté des choses.

« La seule ombre au tableau, ça a été la guerre. Chaque fois que ça frappait à la porte, toute la famille craignait que quelqu’un vienne chercher un des garçons de la famille. L’un de mes oncles est de fait allé à la guerre, mais il n’a pas été blessé.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Le temps des fréquentations, en 1945

« Mes parents se sont rencontrés dans une soirée dansante au parc Belmont.

« Ils se sont mariés en 1947.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Grosse parenté, grosse noce !

« Mon père, qui était issu d’une famille d’agriculteurs et qui avait huit frères et sœurs, était contremaître au CN.

« La maison était toujours pleine de monde. Le vendredi soir, la parenté venait jouer aux cartes.

« On avait une piscine. Mes amis et ceux de mes frères et sœurs étaient toujours rendus chez nous.

« De dehors, on criait “Maman, j’ai faim !”, et ma mère arrivait avec plein de collations. C’est fou, quand on y pense, à quel point les femmes de l’époque servaient toute la maisonnée  !

« L’été, on allait à Wildwood ou à Ocean City. Ma mère arrivait toujours aussi à se trouver un frère, une sœur, un beau-frère ou une belle-sœur pour partir en Floride.

« Elle a toujours été très de son temps, comme son père. Je me souviens encore de mon grand-père arrivant jusqu’à ses 76 ans à la maison en Mustang !

« Quand nous, ses enfants, lui avons dit qu’on allait vivre en concubinage, elle a trouvé que c’était plein d’allure. Pour elle, ça lui semblait une bonne idée de vivre avec son homme et de s’assurer d’abord qu’on s’entendait bien avec lui.

« J’ai adopté deux filles en Chine. Avoir des petites-filles chinoises, quand on est née en 1923, ça aurait pu la surprendre, mais au contraire, elle les a tant aimées ! Et bien sûr, c’est elle et ma sœur qui ont organisé le gros shower de bébés !

PHOTO FOURNIE PA LA FAMILLE

Avec ses petites-filles Maï-Li et Saï-Shan

« L’épreuve de sa vie, ça a été la maladie d’Alzheimer de mon père. À la fin, il ne la reconnaissait plus, mais elle allait quand même le voir tous les jours à la résidence.

« Ma mère a vécu les dernières années de sa vie avec ma sœur. Même à 95 ans, elle tenait à ses petites sorties au restaurant, au centre commercial…

« Les derniers temps, elle tombait souvent, surtout la nuit.

« Elle a fini par se blesser sérieusement, elle a dû être transportée en ambulance à l’hôpital il y a cinq mois et là, ils nous ont dit qu’elle n’était plus “un cas de maison”. Elle a été admise au CHSLD.

« Tous les jours, un de ses enfants ou de ses petits-enfants venait la voir.

« “J’ai donc de bons enfants, j’ai donc de bons petits-enfants ! J’ai donc eu une belle vie !”, répétait-elle tout le temps.

« Puis, il y a eu le confinement. Elle était plutôt sourde, elle n’écoutait pas les nouvelles. Pour ne pas l’inquiéter, on lui a dit qu’il y avait “une grosse grippe” en circulation. »

« Les préposés étaient formidables avec elle. L’un d’eux est allé à la pharmacie lui acheter des piles pour son appareil auditif, un autre, de la crème. J’y pense, on ne les a même pas encore remboursés. »

« Ma mère est devenue faible, elle a cessé de manger. Quand le test a révélé qu’elle avait la COVID-19, on ne le lui a pas dit. Elle est restée asymptomatique pendant deux semaines.

« Un photographe de La Presse est passé et il l’a prise en photo, à sa fenêtre, alors que j’étais allée la saluer et vérifier de visu comment elle allait.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Un dernier adieu. Mme Laramée salue sa fille France Boulet de sa fenêtre

« Ma mère aimait bien se faire photographier, alors quand on lui a demandé si elle acceptait, ça a tout de suite été oui.

« Le beau souvenir que ça nous fait !

« C’est la dernière fois qu’on l’a vue à la fenêtre. »