L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi six conditions à respecter avant d’envisager la relâche des mesures de confinement. Or, les experts estiment qu’elles ne sont pas encore toutes respectées au Québec.

1. Une épidémie contrôlée

C’est le premier critère de l’OMS : avant de déconfiner, l’épidémie doit être « contrôlée ». L’est-elle au Québec ?

« Les choses peuvent changer très vite, et ce qui est vrai aujourd’hui peut ne plus l’être dans quelques jours », prévient d’abord Nathalie Grandvaux, présidente de l’Association canadienne de virologie et professeure au département de biochimie et de médecine moléculaire à l’Université de Montréal.

En regardant le portrait actuel, la chercheuse voit deux épidémies : l’une dans les CHSLD, l’autre dans l’ensemble de la population.

« Si on prend la population générale, avec les mesures de distanciation qu’on a prises, la transmission est quand même assez bien contrôlée », juge-t-elle. Mardi, François Legault a aussi présenté deux courbes montrant ces deux réalités pour justifier le déconfinement.

« Il serait présomptueux de prétendre que nous avons un bon contrôle sur l’épidémie au Québec », estime quant à lui Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Seuls quelques pays peuvent prétendre avoir un excellent contrôle [Singapour, Corée du Sud, Hong Kong, Australie, Nouvelle-Zélande]. Nous ne sommes pas encore là.

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Les foyers d’éclosion comme ceux de Montréal-Nord changent-ils l’analyse ?

« Mon avis est qu’on ne peut pas faire des microanalyses et prendre des décisions globales en tenant compte de particularités. Par contre, il est extrêmement important de gérer rapidement et efficacement ces foyers particuliers », répond la professeure Grandvaux.

L’OMS précise aussi que les hôpitaux doivent être en mesure de gérer la deuxième vague. Or, à Montréal, le taux d’occupation dans plusieurs établissements soulève de nombreuses inquiétudes à ce sujet.

2. Capacité de détecter, de tester et d’isoler les cas

Ce point est celui qui inquiète le plus les experts.

« Honnêtement, j’ai beau chercher, je ne trouve pas ce plan de match », dit Benoît Mâsse, de l’Université de Montréal.

Pour l’instant, Québec fait environ 4500 tests par jour pour la COVID-19. Ceux-ci sont réservés aux patients dans les hôpitaux et dans les CHSLD ainsi qu’aux travailleurs qui font des métiers essentiels. Or, pour savoir si l’épidémie reprendra à la suite du déconfinement, il faudra tester la population.

« Il faudrait que toutes les personnes symptomatiques soient testées, mais je me demande si on sera capables de le faire », dit Nathalie Grandvaux.

« On va bien entendu tester, tester, tester la population pour voir comment le virus se propage – probablement, même, des personnes qui sont asymptomatiques », a assuré le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, lors du point de presse de mardi.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Horacio Arruda, directeur national de santé publique

Contrairement aux craintes, le ministère de la Santé et des Services sociaux a affirmé à La Presse que l’approvisionnement en réactifs et en écouvillons nécessaires aux tests est suffisant.

Radio-Canada a rapporté que Québec vise à augmenter le nombre de tests pour l’amener à près de 15 000 par jour. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a précisé à La Presse que ce sera un processus « continu », mais qu’il est « difficile pour le moment d’avoir un portrait précis du nombre de tests qui sera effectué semaine après semaine ». Les experts préviennent que les tests dans la population doivent se faire au moins une semaine avant le déconfinement pour fournir une base de comparaison, ce qui laisse très peu de temps.

Dans l’État de New York, le gouverneur Andrew Cuomo a promis qu’une « armée » de travailleurs serait déployée pour retracer les chaînes de transmission. Le ministère de la Santé n’a pu préciser combien de personnes se consacreront à cette tâche au Québec, nous invitant à contacter chacune des 18 directions régionales de santé.

3. Les risques dans les milieux vulnérables sont minimisés

« Si on a, aujourd’hui, un nouveau cas dans un CHSLD, je ne pense pas qu’on ait démontré qu’on allait pouvoir contrôler la transmission dans cet environnement. Je pense qu’on est encore dans la gestion de la crise », dit Nathalie Grandvaux, du centre de recherche du CHUM et de l’Université de Montréal.

Le professeur Benoît Mâsse juge aussi que ce critère n’est pas respecté.

4. Des mesures préventives ont été implantées dans les lieux de travail

Québec a précisé quelques règles concernant le retour au travail, notamment en fixant un nombre maximal d’employés dans les entreprises manufacturières.

« Ce n’est plus les mêmes usines, ça ne sera plus les mêmes milieux, ça ne sera plus les mêmes magasins qui vont rouvrir comme ils étaient avant. Ils vont mettre de la distanciation », a précisé Horacio Arruda.

« Tout le monde me semble à la page pour instaurer des mesures dans les entreprises. Ici, je pense que le gouvernement a fait du bon travail », juge Nathalie Grandvaux.

5. Le risque de cas provenant de l’extérieur est bien géré

Ce critère est respecté. Les frontières du Canada demeurent pratiquement fermées, dont celle avec les États-Unis qui le restera au moins jusqu’au 21 mai. Le fédéral a réitéré mardi qu’une éventuelle réouverture tiendrait compte de la propagation du virus. Les déplacements entre les provinces sont aussi limités, même si les règles pourraient éventuellement s’assouplir.

6. Les communautés sont mobilisées

Même si le déconfinement soulève de nombreuses questions et oblige les citoyens à « reprogrammer » leurs réflexes, Nathalie Grandvaux n’est pas inquiète à ce sujet. « Ce qui nous prouve que la communauté est vraiment partie prenante, c’est que les mesures de distanciation sont très bien respectées dans l’ensemble. Je trouve même que c’est exceptionnel. Il y a énormément d’information et d’éducation qui sont véhiculées à travers les médias, et les points de presse quotidiens par les premiers ministres provincial et fédéral contribuent à ça. »