Un groupe de chercheurs universitaires déplore un « manque criant de données sur la pandémie » à la veille du déconfinement et exhorte le gouvernement Legault à dévoiler les statistiques permettant, entre autres, de calculer le « surplus de mortalités » survenues au Québec par rapport aux années précédentes.

« Actuellement, les projections du gouvernement québécois sont faites dans une boîte noire; nous n’avons pas accès aux données brutes des calculs », regrette l’instigatrice du mouvement, Simona Bignami, professeure au département de démographie de l’Université de Montréal et cosignataire d’une lettre ouverte transmise à La Presse.

« Par rapport à d’autres pays, il y a tout un ensemble de données qui nous manquent. La France, par exemple, donne presque en temps réel le profil démographique des personnes hospitalisées ou infectées. En Allemagne, ils estiment chaque jour le R0, cet indicateur du taux de reproduction du virus, qui est un paramètre fondamental pour planifier la réouverture. Nous, nous n’y avons pas accès à cette information du tout », ajoute la chercheure.

La publication de l'âge et du sexe des personnes infectées et hospitalisées au Québec pour la COVID-19 permettrait aux scientifiques de savoir ce qui se passe « à l’extérieur des CHSLD », et comprendre comment la maladie « déborde » des centres d'accueil vers le personnel de la santé, puis dans la population, affirme Mme Bignami. L’analyse des données aiderait aussi à mieux « guider l’élaboration de politiques » nécessaires pour naviguer à travers la pandémie, plaident les neuf chercheurs qui ont cosigné sa lettre ouverte.

Plusieurs des signataires militent pour que Québec dévoile le nombre total de décès survenus depuis le début de l’année, toutes causes confondues. L’information permettrait d’évaluer la mortalité réelle due au virus, indépendamment du nombre de tests de dépistage réalisés, en la comparant à la courbe de décès normale. Ce calcul est appelé « excès de mortalité » par les démographes.

Sur la base des données de décès récentes fournies par le National Center for Health Statistics, des chercheurs de Yale soutiennent que la crise a provoqué un « excès de mortalité » de 15 400 morts aux États en date du 4 avril. Il s’agit du double du nombre de décès officiellement attribué à la COVID-19. Le New York Times affirme, sur la base du même calcul, que le nombre de décès liés à la crise est sous-évalué de 7 200 morts en France, de 4 200 dans la ville de New York et de 400 en Suède.

La revue médicale The Lancet a publié la semaine dernière un texte exhortant les gouvernements de dévoiler les données de mortalité sur une base hebdomadaire, puisqu’il s’agit de «la façon la plus objective de comparer » la crise entre les différents états et « d’en tirer les leçons nécessaires ».

L’Institut de la statistique du Québec affirme qu’il lui faut un délai de 24 mois pour publier les statistiques de mortalité officielles et vérifiées. Des données provisoires, représentant 98% des décès, sont cependant publiées 3 à 4 mois après les faits. Elles ne tiennent toutefois pas compte des inscriptions tardives, de certains décès survenus hors Québec ou de cas soumis à l'attention des coroners.

Les données préliminaires pour le mois d’avril, qui a connu l’apogée de la vague de décès, ne seront en principe pas connues avant le mois de juillet.

« Il y a un peu de paternalisme de la part des instituts de statistique, affirme le directeur de l’Institut sur la retraite et l’épargne du HEC Montréal, Pierre-Carl Michaud, un des signataires de la lettre ouverte. Je pense qu’il faut pousser la machine pour qu’elle sorte les données plus rapidement, même si elles sont imparfaites. C’est mieux d’avoir des données avec des petites faiblesses qui sont analysées par des experts que pas de données du tout », croit-il.

« Chaque jour, on met notre crédibilité en jeu quand on publie des chiffres. Si on ne fait pas notre job correctement, ne vous inquiétez pas, il y a des collègues qui vont rapidement nous le dire », assure M. Michaud.

Avec la collaboration Francis Vailles