(Montréal) Malgré l’urgence, beaucoup de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence n’ont pas encore vu la couleur de l’argent annoncé par Ottawa et Québec pour les aider, plus d’un mois après la déclaration d’urgence sanitaire causée par la COVID-19.

Et pourtant, leurs besoins sont grands, car les mesures de confinement imposées exposent encore plus les femmes à des situations de violence.

Et puis, la COVID-19 met de la pression sur un système d’aide déjà étiré au maximum : la maladie entraîne toutes sortes de dépenses additionnelles, car plus d’employés sont nécessaires pour accueillir et aider les femmes — mais aussi pour désinfecter les lieux, où vivent beaucoup de femmes à l’étroit, et donc à risque de devenir des foyers d’éclosion. Il faut payer le temps supplémentaire des employés, le matériel sanitaire et la nourriture : plusieurs de ces maisons dépendent normalement des banques alimentaires, qui sont débordées de demandes.

Ottawa a annoncé une aide d’urgence de 26 millions pour les maisons d’hébergement le 4 avril dernier. Il a demandé à l’organisme Hébergement Femmes Canada de distribuer les sommes.

Or, les maisons ailleurs au pays ont déjà reçu de l’argent, mais pas celles du Québec.

Car le gouvernement québécois a plutôt choisi de négocier avec Ottawa afin de recevoir l’argent — sa part est de 6,4 millions — et de le distribuer lui-même. Mais les sommes n’ont pas encore été versées.

Quant aux 2,5 millions annoncés le 27 mars par Québec pour aider les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, le gouvernement Legault a choisi de verser l’argent aux CISSS et aux CIUSSS pour qu’ils répartissent eux-mêmes les sommes sur leurs territoires.

Or, sauf dans la région de Montréal, l’argent n’est pas encore rendu dans les comptes de banque des maisons d’hébergement.

La réponse des CIUSSS et des CISSS est à géométrie variable, a commenté en entrevue Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes du Québec.

À Montréal, la région a reçu au total 600 000 $. Les maisons, elles, ont obtenu entre 10 000 $ et 15 000 $ chacune, rapporte-t-elle.

Mais dans bien des cas, cette somme avait déjà été dépensée par les maisons pour faire face aux problèmes — et aux coûts — causés par la COVID-19, dit-elle.

Aide d’urgence d’Ottawa

La façon de procéder choisie par Québec, « ça crée un délai », souligne Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Si elle constate le retard dans le versement de l’argent, Mme Riendeau loue, tout comme Mme Monastesse, la très grande collaboration de la ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest.

Mme Monastesse souligne qu’il faut environ un an avant qu’une entente Québec-Ottawa de ce type ne soit finalisée. Ici, elle a été conclue en trois semaines.

Ailleurs au pays, le premier versement fédéral d’environ 33 000 $ a été remis aux maisons d’hébergement.

Aide d’urgence de Québec

Pour ce qui est de la remise de l’aide provinciale en espèces sonnantes, « nous sommes en négociation depuis un mois à ce sujet », a indiqué Mme Monastesse.

Ce montant par région est calculé en fonction des besoins en services sociaux généraux et du taux d’infraction pour violence conjugale, indique le ministère de la Santé.

Mais ce sont les CIUSSS et les CISSS qui gèrent les débours.

Et ils n’ont pas tous la même approche, souligne Mme Monastesse.

Certains CIUSSS ont conservé une portion de l’argent remis par Québec pour payer les « lieux alternatifs d’hébergement ». Un tel lieu est nécessaire lorsqu’une femme est contaminée par la COVID-19, ou en attente de ses résultats de test : elle ne peut rester dans la maison d’hébergement régulière pour ne pas contaminer les autres. Mais la loger ailleurs — et la nourrir — entraîne des coûts inhabituels.

Ce lieu sert aussi à accueillir de nouvelles femmes et leurs enfants, qui vont y faire leur quarantaine avant d’intégrer une maison régulière, a indiqué Julie Grenier, la directrice adjointe partenariat au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Cette précaution prise a aussi pour but de protéger les femmes qui craignent de quitter leur résidence où règne la violence par crainte de contracter la COVID-19 dans un refuge.

À Montréal, une somme de 350 000 $ (sur les 600 000 $ octroyés à la région montréalaise) a été conservée pour un lieu d’hébergement alternatif.

Cette solution a été mise en place d’un commun accord avec les directions des maisons d’hébergement de la région, a ajouté Mme Grenier.

Mais cela ampute d’autant l’argent remis aux maisons pour leur fonctionnement au quotidien.

La situation n’est pas partout pareille, souligne Mme Monastesse : en Estrie, le CIUSS a décidé d’assumer lui-même les coûts de l’hébergement alternatif et a remis tout l’argent de Québec aux maisons. Dans Lanaudière, tout l’argent a aussi été remis aux maisons, mais elles doivent payer elles-mêmes pour les lieux alternatifs.

Les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence ne sont pas au bout de leurs peines, croient Mme Monastesse et Mme Riendeau : « On s’attend à une recrudescence de la demande lors du déconfinement ».