Oh ! que j’aimerais l’écrire, la chronique sur le déconfinement. Avec les dates, les régions, les activités…

Mais je ne sais pas où trouver la personne qui « sait ».

Acceptons tout de suite ceci : on va avancer dans le noir, éclairés par des mouches à feu…

Depuis le début, les autorités politiques dans le monde disent s’appuyer sur les données de la science pour combattre la pandémie.

Jusqu’ici, c’était relativement facile : restez chez vous, disait la science. Il y a une bibitte dehors, évitez-la. Parfait. Facile à comprendre, facile à expliquer, facile à prouver.

À quelques nuances, délinquances et coups de gueule près, c’est ce que le monde entier a fait. S’enfermer.

Aller en sens inverse, déconfiner, est beaucoup plus compliqué. Même en se fondant sur la science. J’allais dire : surtout en se fondant sur la science.

Parce que… la science elle-même se gratte la tête.

Et pour résoudre l’équation politique, pour prendre la bonne décision, il y a pas mal plus de données à considérer. Et pas mal plus d’opinions divergentes.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

« Il faut un plan de déconfinement qui repose sur un certain nombre de principes », écrit notre chroniqueur.

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Ces derniers jours, on a mis en opposition dans les médias les propos de François Legault et ceux de la responsable de la Santé publique fédérale.

Parce que François Legault a justifié en partie la réouverture de l’économie et de la société par la nécessité d’acquérir une « immunité de groupe ». D’avoir dans les rues assez de gens ayant eu le virus pour avoir les anticorps suffisants.

Le lendemain, la Dre Theresa Tam disait que rien ne permet de s’appuyer sur l’immunité de groupe pour justifier un « déconfinement ». Elle s’appuyait elle-même sur les prises de position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La preuve n’est pas faite avec ce nouveau virus que l’attraper une fois, c’est s’en protéger.

Ni l’OMS ni la Dre Tam n’ont dit qu’il n’y aurait pas d’immunité de groupe. C’est normalement le cas, et on espère que ce soit le cas pour ce coronavirus aussi.

Ils ont simplement dit : on ne le sait pas encore. On a rapporté des cas de gens « guéris » qui ont développé la maladie une deuxième fois. Même maladie qui a ressurgi, ou deuxième infection séparée ? Ce n’est pas clair encore.

Leur job est donc de dire au monde : on n’a pas la preuve que c’est comme la varicelle. Vous ne pouvez pas fonder vraiment votre politique de réouverture là-dessus.

On connaît encore assez mal ce virus. La liste des symptômes est assez extraordinaire, quand on y pense. Ça va de… rien du tout à une toux persistante en passant par la fièvre, les courbatures, les maux de ventre, l’écoulement nasal, les migraines… Qui l’a, qui ne l’a pas, qui l’a eu… En vérité, on n’en a aucune foutue idée le moindrement précise.

Revenons donc à cette contradiction apparente entre le discours de M. Legault et celui de la Dre Tam.

On raffole de ces trucs, journalistiquement parlant : une chicane, une divergence de points de vue, youppi ! Et en prime, Ottawa-Québec…

Mais M. Legault a insisté sur deux points. Premièrement, on ne peut pas confiner les gens éternellement et les faire sortir d’un seul coup. Deuxièmement, la réouverture se fera progressivement.

Qui dira le contraire ?

L’Association des pédiatres du Québec a pris position : il faut déconfiner les enfants. Autant il fallait procéder au confinement, autant on est au point où les risques de cet enfermement commencent à dépasser les avantages.

Nulle part dans leur communiqué n’est-il question d’immunité de groupe. On la souhaite. Mais on ne le sait pas. Les impératifs généraux de santé des enfants commandent néanmoins de les remettre progressivement en contact avec les autres enfants, dit l’association. Santé mentale, alimentation à l’école, socialisation, stress, sécurité… Tout ça n’est pas négligeable.

Autrement dit, même sans preuve de l’immunité de groupe, un chemin vers la réouverture de la société est souhaitable. L’incertitude scientifique va cohabiter avec cette décision.

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Évidemment, il faut y aller prudemment. Ça aussi, c’est le travail de la Santé publique fédérale de le rappeler. Parce qu’à partir de maintenant, on entre dans un débat d’opportunité politique. Et d’une province à l’autre, d’une région à l’autre, les pressions et les techniques pour rouvrir l’économie vont inévitablement diverger.

Il faut un plan qui repose sur un certain nombre de principes. Si on a confiné la planète, ce n’est pas parce que ce virus est le plus mortel jamais vu. C’est parce qu’il est extrêmement contagieux et sournois ; et qu’il risque de faire exploser les systèmes de santé.

Avant de rouvrir, donc, il faut que ces systèmes soient sous contrôle.

On ne peut plus se fier ici au nombre de « cas » positifs. Au Québec, on a diminué radicalement le nombre de tests. Ils ne sont plus accessibles à la population générale. Le nombre de « nouveaux cas » rapportés quotidiennement, les courbes qu’on en tire : ça ne sert absolument à rien d’un point de vue statistique. Est-ce que la courbe des cas s’aplatit ? Impossible de l’affirmer.

Si on se concentre sur le nombre d’hospitalisations, difficile de prétendre qu’on a aplati la courbe. Dimanche, on rapportait 1518 hospitalisations, une hausse de seulement neuf cas. C’est tout de même 50 % de plus qu’il y a 10 jours. Les cas aux soins intensifs (215) sont stables depuis plusieurs jours. Mais on n’assiste pas à une diminution. Il y a des éclosions dans des hôpitaux (je n’ai rien dit des centres de soins de longue durée).

Est-on vraiment au point de bascule ? Pas sûr.

Aux États-Unis, où les États ont le dernier mot, la Maison-Blanche a émis des lignes directrices pour la réouverture. Malgré le discours enthousiaste du président Trump, ce plan est prudent. Avant même de passer à la première phase (qui ne comprend pas le retour en classe), le gouvernement américain exige une diminution constante des cas rapportés sur une période de 14 jours et une situation maîtrisée dans les hôpitaux.

On n’y est pas encore, de toute évidence.

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Mais si on ne connaît pas les dates et les adresses du déconfinement, c’est une très bonne chose de commencer à en parler, de dire sur quels principes on s’appuiera, comment et pourquoi on le fera. Parce qu’il faudra le faire.

Même si personne n’a toutes les réponses. Même s’il faut apprendre à vivre avec le risque.