Pendant que la COVID-19 fait des ravages dans les CHSLD de la région de Montréal, à Rimouski, la maladie est surtout un sujet que l’on suit à la télévision. Depuis 12 jours, aucun nouveau cas n’a été enregistré dans tout le Bas-Saint-Laurent. Avec seulement 34 cas, la région est la moins touchée du Québec, toutes proportions gardées.

« C’est sûr que, tranquillement pas vite, on commence à être irrités. On donne encore la chance au coureur : François Legault est un économiste et un pragmatique. Mais on commence à se dire que ce qui se passe à Montréal, ça vous regarde », lance Jonathan Laterreur, directeur général de la Chambre de commerce de Rimouski-Neigette.

Des données de l’Institut de santé publique du Québec montrent en effet que si le feu de la COVID-19 brûle fort à Montréal et aux alentours, l’épidémie semble maîtrisée dans plusieurs régions du Québec. En plus du Bas-Saint-Laurent, d’autres régions, dont l’Outaouais, la région de Québec, le Saguenay–Lac-Saint-Jean ou Chaudière-Appalaches, connaissent une évolution plutôt modeste des nouveaux cas de COVID-19 sur leur territoire.

Cela soulève une question difficile : faut-il commencer à alléger les mesures de confinement dans ces régions ? Ou, dit autrement, est-il toujours légitime de paralyser le Québec au complet pour un problème qui est, en grande partie, montréalais ?

Malgré son impatience, Jonathan Laterreur tient à affirmer qu’il est « important et même vital qu’on suive les mesures ministérielles ». 

On prend ça extrêmement au sérieux, et si jamais on avait à déconfiner ici, on est d’avis qu’il va même falloir resserrer les mesures comme le lavage de mains et la distanciation et être plus vigilants encore.

Jonathan Laterreur, directeur général de la Chambre de commerce de Rimouski-Neigette

Il estime toutefois que, tout en gardant les frontières de la région fermées, on pourrait graduellement ouvrir les commerces du Bas-Saint-Laurent aux habitants locaux afin de donner un peu d’oxygène aux entrepreneurs étant donné qu’il ne semble plus y avoir de transmission locale.

Mardi, en point de presse, François Legault a évoqué l’idée de « rouvrir graduellement l’économie », tout de suite après avoir évoqué la différence entre Montréal et le reste du Québec. Le directeur de santé publique, Horacio Arruda, a aussi parlé d’épidémies « différentes » en évoquant le cas de Montréal, de sa ceinture, du « centre du Québec » et du « Grand Nord ».

Des régions vulnérables

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, estime qu’on aurait tort de croire que le pic de l’épidémie est déjà passé en région. Selon lui, c’est plutôt qu’il n’est pas encore arrivé.

« Les régions sont épargnées pour l’instant. Invariablement, à un certain moment, elles seront touchées, à moins qu’elles ne soient scellées indéfiniment. Il y a eu le même discours aux États-Unis pour les États qui semblaient épargnés par l’épidémie. Ce n’est pas une question de si, mais bien de quand l’épidémie arrivera dans les régions », dit-il.

Ariane Doucet-Michaud, porte-parole du CISSS du Bas-Saint-Laurent, rappelle quant à elle que le faible nombre de cas dans la région signifie aussi que la population est très peu immunisée contre la COVID-19. Faut-il alléger les mesures dans la région ? « Il est un peu trop tôt pour se prononcer sur des scénarios qui ont été évoqués dans un point de presse national », dit-elle, admettant toutefois sentir une impatience de la part de la population locale.

Ça vient d’élus locaux, de journalistes régionaux, de différentes radios parlées de notre territoire. Ils se sentent paralysés. On leur rappelle tous les jours que ce n’est pas parce qu’il y a de la reprise économique que la distanciation sociale va être chose du passé.

Ariane Doucet-Michaud, porte-parole du CISSS du Bas-Saint-Laurent

« Les régions demeurent un grand bassin de personnes susceptibles de s’infecter et on sait que ça ne prend pas beaucoup de cas pour démarrer une épidémie locale, alors la prudence est de mise », affirme Benoît Mâsse, de l’Université de Montréal. L’expert rappelle aussi que le nombre de cas détectés en région dépend des tests qu’on y effectue, et qu’un déconfinement devra être appuyé par une forte capacité de tests afin de repérer d’éventuelles résurgences de l’épidémie.

Les épidémiologistes Benoît Barbeau, de l’UQAM, et Marc-André Langlois, de l’Université d’Ottawa, soulignent qu’il faut tenir compte de la capacité diagnostique spécifique à chaque région, ainsi que de la proportion de personnes âgées. Ils ajoutent que le confinement des régions en même temps que Montréal peut être comparé à ce qui serait arrivé si on avait confiné tout le Québec au début de mars plutôt qu’à la mi-mars. Il y aurait eu moins de cas et de morts, mais l’acceptation sociale aurait peut-être été moindre.

« À Shawinigan, on demeure prudents sur le terrain. Disons qu’on a fait partie des manchettes avec le CHSLD Laflèche et qu’on espère éviter une éclosion dans une autre résidence », dit pour sa part Frédéric Picotte, directeur médical du groupe de médecine de famille universitaire de Shawinigan et professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal.

Il faut dire qu’au prorata de sa population, la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec est au quatrième rang des plus touchées de la province après Laval, Montréal et Lanaudière.

« De ma position de médecin de famille et de première ligne, la situation semble encore trop imprévisible pour reprendre la médecine normale chez nous », insiste le Dr Picotte.