En temps normal, le sergent Ranger Michael Cameron est appelé à secourir des chasseurs perdus ou des familles dont la motoneige est tombée en panne. Cette fois, c’est chacun des habitants de son village de Salluit qu’il espère garder en sécurité.

Le sergent Cameron et ses dizaines de confrères Rangers répartis dans les 14 communautés inuites du Grand Nord québécois ont été les premiers soldats appelés au front de la lutte contre la COVID-19.

Ils font partie d’une unité de réserve méconnue, chargée de maintenir une présence militaire dans les régions les moins peuplées du Canada — leurs régions.

Quand les autorités de la santé du Nunavik ont eu besoin d’un coup de main pour préparer leur réponse à la pandémie, c’est vers eux qu’elles se sont tournées.

« Nous avons peur en voyant le nombre de cas de COVID-19 dans le monde, a expliqué M. Cameron en entrevue téléphonique avec La Presse. Si le virus devait entrer dans les communautés par un porteur asymptomatique, ça pourrait avoir un impact énorme sur les Inuits du Nunavik. »

Des cliniques temporaires à monter

Depuis le début de la pandémie, une quinzaine de personnes ont été déclarées positives à la COVID-19 dans la région, essentiellement dans le village de Puvirnituq. Salluit a rapporté le premier cas de la région en mars, mais la personne malade est guérie et ne semble pas avoir transmis le virus à quiconque.

La propagation de la maladie inquiète les autorités de la santé locales, parce qu’elles ne disposent pas des ressources hospitalières du « sud » du Québec. Chaque évacuation aérienne est complexe, tributaire de la météo et pose un risque de contamination pour les professionnels qui accompagnent le malade. En plus, la pénurie de logements qui sévit oblige nombre d’Inuits à vivre en grande promiscuité, compliquant les isolements à la maison.

Depuis le début d’avril, la région s’est donc barricadée : les vols réguliers avec le reste de la province ont été interrompus, tout comme les vols entre les villages. Un couvre-feu a été imposé de 22 h à 6 h pour limiter la circulation entre les résidences et empêcher les réunions.

Le sergent Cameron et ses collègues ont été appelés à patrouiller dans les villages pour s’assurer de rappeler les consignes de sécurité aux récalcitrants. 

Nous allons dans les lieux publics — l’épicerie, le dispensaire, le bureau de poste — pour faire respecter les règles de distanciation de deux mètres. Au début, les gens n’étaient pas au courant, mais maintenant, ils s’habituent.

Le sergent Michael Cameron

Michael Cameron est normalement garde-chasse pour le gouvernement régional.

Au cours des tout derniers jours, du matériel est arrivé dans la région, notamment de grandes tentes qui pourront servir de cliniques temporaires, afin d’éviter de mêler patients infectés et patients non infectés. À Salluit, l’installation était « presque terminée » mardi après-midi.

« Être prêts pour le jour où le virus arrive »

À Aupaluk, le plus petit village du Nunavik avec quelque 200 habitants, le caporal-chef Martin Scott fait lui aussi de la patrouille et du travail manuel.

M. Scott est l’un des rares Rangers à ne pas être inuit : il a grandi en Ontario et a déménagé dans le nord du Québec pour devenir enseignant il y a 31 ans. Il occupe maintenant une multitude d’emplois dans le village : responsable local de la réinsertion sociale des criminels, agent local du câblodistributeur, commissaire scolaire…

« Les Rangers sont très respectés dans la communauté, a-t-il affirmé. Nous tentons d’aider de toutes les façons dont nous pouvons. »

« Même si nous n’avons pas de cas dans notre communauté [ni dans les communautés voisines], nous rappelons à tout le monde qu’ils doivent pratiquer la distanciation physique et rester à la maison autant que possible afin d’être prêts pour le jour où le virus arrive, s’il arrive, a-t-il expliqué. Nous allons aussi sur le territoire en motoneige pour visiter des camps familiaux pour leur rappeler amicalement que tout le monde devrait obéir aux règles. »

Sauver une famille coincée d’un blizzard destructeur est certainement une mission plus flamboyante que celle-ci, « mais nous sommes fiers de faire notre part pour stopper le virus », assure le caporal-chef Scott.