Beaucoup plus discrets qu’à l’habitude, les partis de l’opposition ne sont pourtant pas moins actifs. La Presse s’est entretenue avec les trois chefs de l’opposition à Québec.

« Il y a qu’une seule équipe, et c’est celle du Québec ». Le chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, ne pensait jamais si bien dire lors de l’ajournement des travaux à l’Assemblée nationale, le 17 mars. Le mot « partisanerie » le fait d’ailleurs tiquer lorsque La Presse le joint à son bureau de circonscription, à Matane.

« Le parlementarisme est suspendu, la politique est faite de beaucoup de choses », prend-il soin de préciser. Pascal Bérubé reçoit des dizaines d’appels par jour. Il les prend tous. La veille, il a fait diffuser un appel automatisé chez 10 000 aînés de sa circonscription. « On est tous dans la même équipe », réitère-t-il.

Notre rôle est vraiment de rassurer la population, résume quant à lui le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Pierre Arcand.

« On parle aux maires, aux organismes communautaires, aux citoyens […] ; les gens ne font plus la différence. On n’est plus l’opposition pour eux, on est au gouvernement », illustre-t-il.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Arcand, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

On n’est pas dans un mode actuellement d’essayer de gagner des points. Je pense qu’il faut qu’on gagne des points pour les Québécois. C’est ça, le plus important.

Pierre Arcand, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, est du même avis : « On est tout le monde derrière l’équipe Horacio Arruda. » Dès que le gouvernement Legault a choisi de placer la santé publique en priorité, on était derrière lui, résume Mme Massé. « Pour nous, c’était ça qu’il fallait faire. C’est pour ça que ce n’était pas difficile de dire à M. Legault : “On va travailler avec vous”. »

« Canal ouvert » avec Legault

Deux fois par semaine, les trois chefs des partis de l’opposition s’entretiennent avec le premier ministre, François Legault, pour faire le point sur la situation. L’entretien peut durer entre 45 minutes et 1 heure. Tour à tour, les chefs transmettent ce qu’ils entendent sur le terrain, leurs réflexions et leurs propositions.

Les formations ont par ailleurs un point de contact direct avec l’entourage du premier ministre. 

« Tout de suite, l’information se rend », précise le chef libéral, Pierre Arcand. « Et quand ce sont des sujets où je sens qu’il faut une intervention du premier ministre, je lui en parle directement », ajoute-t-il.

« J’ai toujours un plan de discussion », indique de son côté Pascal Bérubé. « Je sais exactement ce que je vais dire, les dossiers et les suivis. Ce n’est pas juste pour discuter de façon générale, c’est très précis. C’est exactement la même préparation que lors d’un conseil des ministres », illustre-t-il. 

« Les gens l’ignorent, mais au début d’un conseil des ministres, il y a toujours un point “situation politique” où les ministres sont appelés à faire état de leurs observations », indique celui qui a été ministre sous le gouvernement de Pauline Marois.

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Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Les canaux sont ouverts. […] Le gouvernement n’hésite pas à mettre de l’avant des solutions pour qu’il y ait le moins d’impacts possibles dans la population. […] Nous, on relève des éléments qui sont absents. Certains se sont réglés, d’autres pas encore, mais on les rappelle [à M. Legault].

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Critiques en coulisses

Les partis de l’opposition ne cachent pas avoir quelque peu adapté leur rôle « plus traditionnel » en ces temps de pandémie. Leurs propositions, comme ils l’expliquent, sont faites directement auprès du gouvernement ; leurs critiques aussi.

« On s’est donné un mécanisme où on ne prend pas le gouvernement par surprise. Ce n’est pas comme pendant la période de questions », illustre Mme Massé. Elle cite la sortie publique de sa formation pour que Québec ordonne une période de grâce pour le paiement des loyers. « J’avais parlé avec M. Legault de ce dossier », dit-elle.

Pierre Arcand se souvient quant à lui, au début de la crise, lorsque la ligne 811 connaissait des ratés. « Un moment donné, je me suis dit : “Là, je fais quoi ?” Si ce n’est pas réglé, il va falloir que je le sorte de façon beaucoup plus publique. […] Dans mon esprit, notre rôle est bien différent », a-t-il expliqué.

De l’aveu même du premier ministre, qui les a personnellement remerciés lors de l’un de ses points de presse quotidiens, les lumières qu’apportent ses collègues de l’opposition sont essentielles.

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Pascal Bérubé, chef intérimaire du Parti québécois

Dans bien des cas, [nos propositions] ont été considérées, voire appliquées par le gouvernement, et on s’en réjouit.

Pascal Bérubé, chef intérimaire du Parti québécois

« Comme on est dans la même équipe, on ne s’en réclame pas publiquement. C’est sûr que c’est difficile, on aimerait ça [le dire], mais moi, je le sais, et mon équipe aussi. […] On le fait pour le collectif. On ne le fait pas pour nous », dit Pascal Bérubé. 

L’exemple Barrette

L’un des exemples les plus éloquents est celui de Gaétan Barrette, ancien ministre de la Santé et député libéral. Réputé pour être un adversaire politique pugnace, il a mis de côté son habit de parlementaire pour agir en vulgarisateur, notamment sur les réseaux sociaux. « C’est la crise qui était pour moi le moteur, a-t-il indiqué à La Presse. Il y avait un enjeu de participer à ça, et c’est ce que j’ai fait. »

Radiologiste et ex-président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, M. Barrette participe à une douzaine d’entrevues par jour sur la COVID-19 dans différents médias. Si certains le découvrent sous un autre jour, le principal intéressé explique que le rôle qu’il joue actuellement « est plus dans [sa] normalité que [sa] vie parlementaire ».

« Je ne passe pas ma vie à m’obstiner. Ce n’est pas ça, ma vie », lance-t-il.

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Gaétan Barrette, ancien ministre de la Santé et député libéral

La vie parlementaire, c’est une pièce de théâtre, en quelque sorte. Les parlementaires s’attaquent, s’obstinent, se lancent des flèches […]. C’est vraiment comme une cour de récréation. Quand la cloche sonne à la fin de la période de questions, c’est très cordial.

Gaétan Barrette, député libéral

Il n’hésite pas à dire par ailleurs que s’il avait été assis sur la chaise de la ministre de la Santé, Danielle McCann, il aurait lui aussi « des hauts et des bas ».

« Il n’y a rien de parfait […], mais pendant la crise, ce n’est pas le temps de faire ce chialage-là. Après, il y aura une espèce de post-crise. Il faudra apprendre de ça. Il y a des choses à apprendre. Je pourrais en nommer tout de suite, maintenant, mais je ne le fais pas parce que ce n’est pas le bon moment. Mais il va falloir le faire », résume-t-il.

Rôle à reprendre

Les chefs des partis de l’opposition s’entendent sur le fait qu’ils devront reprendre « au bon moment » leur rôle plus traditionnel. 

« Il va falloir reprendre parce que l’opposition a un travail à faire, qui va évidemment tenir compte de ce qu’on vit dans le ton, mais il faudra un espace pour que les débats soient publics », dit Pascal Bérubé, prenant exemple sur le fédéral, qui a instauré une sorte de « reddition de comptes » en proposant un Parlement virtuel.

La leader de Québec solidaire souhaite que des pratiques parlementaires restent après la crise. « Ce canal d’ouverture avec le gouvernement, on veut l’entretenir et viendra le jour où il faudra regarder toutes ces décisions-là et se poser des questions. On espère qu’il y aura cette même ouverture lorsqu’on parlera de la relance », dit-elle. 

À Québec, les travaux doivent reprendre le 21 avril.

Ce qu’ils pensent de la gestion de crise du gouvernement Legault

Je pense qu’ils agissent de façon responsable dans le moment. Tout n’est pas parfait. Mais je crois que, dans les circonstances, ils ont fait ce qui devait être fait.

Pierre Arcand, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

À partir du moment où l’on s’est mis le nez dans le vent avec la Direction de santé publique, je pense que c’était l’unique choix à faire. Je trouve ça extrêmement judicieux comme choix, et c’est pour ça qu’on l’appuie.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

On sent qu’on est entendus, qu’on est considérés, alors je ne veux pas donner de note générale, mais je vais dire que nous, nos attentes, elles sont comblées.

Pascal Bérubé, chef intérimaire du Parti québécois