Le nombre de cas de COVID-19 augmente dans les pénitenciers, ce qui a incité les avocats criminalistes au Canada et un groupe de défense des détenus à demander à nouveau aux gouvernements fédéral et provinciaux de réduire le nombre de personnes dans les établissements carcéraux.

Dans tous les pénitenciers fédéraux, on recense maintenant 42 cas confirmés, une hausse de près de 30 % en une seule journée. Le Service correctionnel indique que 208 détenus ont passé le test de dépistage. C’est au Québec que l’on compte le plus grand nombre de cas, avec 19 détenus infectés ; la Colombie-Britannique en compte 15.

Au Québec, on signale des éclosions à l’Établissement Joliette pour femmes, où 10 détenues sont infectées par le coronavirus, et à la prison de Port-Cartier, où sept détenus sont atteints. À l’Établissement de Mission, en Colombie-Britannique, le nombre de cas est passé mercredi de deux à 11, tandis que sept détenues étaient atteintes à l’Établissement pour femmes de Grand Valley, en Ontario.

Le virus a également été dépisté chez des dizaines d’agents des services correctionnels aux établissements de Port-Cartier, Joliette et Donaconna, au Québec, et Grand Valley, en Ontario. Le Syndicat des agents correctionnels du Canada a indiqué jeudi que 31 de ses membres étaient maintenant infectés à Joliette.

Par ailleurs, le ministère de la Sécurité publique du Québec signale jusqu’ici un seul cas confirmé de COVID-19 chez les personnes incarcérées dans des prisons provinciales et trois au sein du personnel. La relationniste Louise Quintin soutient que les personnes incarcérées à risque d’être atteintes, qui présentent des symptômes ou qui sont infectées, sont immédiatement isolées et confinées à leur cellule, dans des secteurs d’isolement ou de quarantaine.

D’autre part, depuis le 20 mars, les personnes condamnées à une peine discontinue n’ont plus à se présenter dans un établissement de détention : un contact téléphonique est fait par le ministère « pour s’assurer que la personne respecte les conditions qui lui sont imposées, notamment d’être présente à son domicile ». De plus, toutes les visites aux détenus, les groupes de soutien et les activités bénévoles sont suspendues depuis le 14 mars. La visioconférence, les « visioparloirs » et la comparution par téléphone sont utilisés pour la tenue des comparutions, a indiqué Mme Quintin.

Un argument pour la peine

L’Association canadienne des avocats criminalistes a transmis à ses 1600 membres une déclaration sous serment, à déposer devant un juge, du docteur Aaron Orkin, médecin, épidémiologiste et professeur adjoint à l’Université de Toronto. Cette déclaration pourra être déposée devant un juge lors de la détermination de la peine d’un prévenu.

John Hale, vice-président de l’association, a expliqué que la pandémie est un nouveau facteur qui doit être pris en compte lorsqu’un juge décide de la peine à imposer. « Tout le concept est maintenant renversé avec la COVID-19, parce que d’un point de vue de santé publique, une personne peut être plus dangereuse pour la communauté si elle est gardée dans une prison très peuplée où la maladie peut se propager », a-t-il plaidé.

La déclaration du docteur Orkin, publiée par l’association, indique qu’une épidémie dans un pénitencier fédéral ou une prison provinciale ne serait pas différente de la propagation du virus dans d’autres endroits clos.

« L’expérience acquise avec les navires de croisière, les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée démontre qu’il est extrêmement difficile, voire impossible, de limiter une épidémie de coronavirus dans des milieux de vie regroupés, en particulier ceux qui ont des quartiers étroits, des toilettes partagées et des installations de restauration, ou lorsque le personnel se déplace entre les personnes confinées dans leur chambre », précise le médecin.

Il est fort probable que des cas de COVID-19 surgiront dans presque tous les établissements correctionnels au Canada, ce qui signifie que presque tous les détenus seront exposés d’une manière ou d’une autre, dit-il. « La seule méthode disponible pour réduire considérablement les infections et les décès qui en résultent est donc de réduire la population dans ces milieux. »

Réduire la population carcérale

Selon Catherine Latimer, directrice de la Société John Howard du Canada, les épidémiologistes du monde entier soutiennent que les prisons amplifient la contagion. Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient au moins éliminer la double occupation des lits et faire sortir les personnes âgées qui ont des problèmes de santé chroniques, car la distanciation sociale est pratiquement impossible, a-t-elle estimé en entrevue.

« Je pense qu’on doit retirer immédiatement les personnes qui peuvent être gérées en toute sécurité dans la communauté, pour réduire la population carcérale aussi rapidement que possible. »

Mme Latimer soutient que la Commission des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada connaissent déjà les détenus qui ont été définis comme « à faible risque », par exemple ceux qui ont été approuvés pour une libération conditionnelle, une semi-liberté ou d’autres absences temporaires sans escorte.

En fait, l’Ontario, la Colombie-Britannique, Terre-Neuve-et-Labrador et les Territoires du Nord-Ouest ont déjà commencé à éviter d’envoyer dans des prisons des centaines de personnes, ou leur ont accordé des absences temporaires. Des délinquants purgeant une peine le week-end ont également été libérés dans de nombreuses provinces.

Des professionnels de la santé ont publié mardi une lettre ouverte exhortant les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à cesser d’admettre des personnes dans les pénitenciers et les prisons, et à libérer le plus de détenus possible.

Mme Latimer estime qu’il ne serait pas difficile de trouver des endroits pour ceux qui sont libérés, afin qu’ils puissent s’isoler en toute sécurité — dans des hôtels, des motels, des résidences universitaires et d’autres installations vides.